Simuler le quotidien d’une personne atteinte de la maladie de Crohn

Dernière mise à jour 16/11/22 | Article
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Les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin touchent 1 personne sur 200 en Suisse et altèrent de multiples façons la qualité de vie. Un hôpital genevois propose de se mettre dans la peau d’un malade.

Une journée avec une MICI

Difficile de se rendre compte du quotidien des personnes atteintes d’une MICI tant que l’on ne l’a pas vécu soi-même. Afin de sensibiliser les proches des malades tout comme le personnel soignant, le Centre Crohn et colite de l’Hôpital de la Tour, à Meyrin, leur propose de se mettre dans la peau de ces malades le 4 novembre 2022. «Nous avons une cinquantaine de participants. Ils vont recevoir un kit pour vivre une journée en immersion qui se rapproche le plus possible de celle d’un patient MICI. Au moyen de l’application interactive "In their shoes", de jeux de rôle avec des acteurs, de restrictions diététiques et d’autres accessoires à découvrir le jour J, les participants expérimenteront les challenges auxquels font face au quotidien les personnes touchées par ces maladies. Le but ce cette expérience est de susciter la compréhension et l’empathie des soignants et des proches», explique la Dre Sophie Restellini, directrice du Centre Crohn et colite au Service de gastroentérologie de l’Hôpital de la Tour.

Repérer les toilettes les plus proches lors de chaque sortie, ne pas oser quitter son domicile à certaines heures de la journée à cause de diarrhées à répétition, ne plus manger afin de ne pas activer la digestion: voici quelques situations vécues par les personnes qui souffrent d’une maladie inflammatoire des intestins (MICI). Il en existe deux: la maladie de Crohn et la rectocolite inflammatoire. «Les MICI sont des maladies complexes qui se caractérisent par de l’inflammation dans une partie du tube digestif, due à une dérégulation du système immunitaire intestinal. Cette inflammation incontrôlée est responsable de lésions des tissus et de la chronicité de la maladie. Son origine semble à la fois liée à la génétique du patient et à des facteurs environnementaux, associés à une réactivité particulière de son système immunitaire», explique la Dre Sophie Restellini, directrice du Centre Crohn et colite au Service de gastroentérologie de l’Hôpital de La Tour et privat docent à l’Université de Genève.

Ces pathologies, parfois perçues comme honteuses, peuvent devenir très invalidantes pour les personnes qui en souffrent et l’entourage ne se rend pas forcément compte des souffrances qu’elles endurent. Raison pour laquelle le Centre Crohn et colite organise une journée de sensibilisation un peu particulière en proposant à des volontaires de se mettre dans la peau de ces malades (lire encadré). 

Pour rappel, les deux MICI ont des symptômes assez semblables: poussées douloureuses accompagnées de diarrhées, manque d’appétit, dénutrition, ulcères et aphtes dans le tube digestif, douleurs articulaires, grande fatigue. La principale différence entre la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique est que la première s’attaque à n’importe quelle partie du système digestif (de la bouche à l’anus), alors que la seconde se limite au côlon et au rectum. 

Une quinzaine de médicaments disponibles

Par le passé, la seule manière d’améliorer le quotidien des malades était de leur proposer de la cortisone pour calmer l’inflammation. «Elle a permis de sauver des vies dès les années 1950. Avant cela, les décès à cause d’une MICI étaient fréquents. Par la suite, certains immunosuppresseurs (des molécules qui affaiblissent le système immunitaire afin de limiter son action néfaste, ndlr) administrés à petites doses ont également permis de ralentir la progression des MICI. En 1998, les anticorps anti-TNF sont parvenus, pour la première fois, à arrêter l’évolution de la maladie chez certains patients», explique le Pr Pierre Michetti, directeur du Centre gastroentérologie Beaulieu à Lausanne et professeur à la Faculté de médecine de l’Université de Lausanne. 

Les TNF sont des protéines qui ont des propriétés pro-inflammatoires sur les cellules. Éviter qu’elles n’agissent sur celles-ci permet donc de préserver le système digestif. «Aujourd’hui, une quinzaine de médicaments sont disponibles pour tenter de bloquer la chaîne inflammatoire. Malheureusement, il n’existe toujours pas de traitement à vraie visée curative car les MICI sont dues à un désordre du système immunitaire qui agit différemment d’une personne à une autre. Le but des médicaments que l’on peut proposer aux patients est surtout de leur permettre de mener une vie normale», conclut le Pr Michetti. 

Dans des cas graves, il devient parfois indispensable de pratiquer une intervention chirurgicale pour court-circuiter une partie des intestins. Une poche est alors placée sur le ventre du patient pour récolter les selles, on parle alors de stomie.

« Mon côlon est à la retraite et j’ai repris une vie normale »

Juliette Mercier, 33 ans, a souffert de la maladie de Crohn pendant des années. Diarrhées, douleurs articulaires, fatigue rythmaient son quotidien. «J’ai commencé à avoir des symptômes à l’âge de 15 ans. Je devais aller aux toilettes cinq à six fois le matin avant d’aller à l’école. Une coloscopie a montré que j’avais la maladie de Crohn. Les diarrhées sont devenues de plus en plus fréquentes, de 2h du matin à 13h elles dictaient ma vie. J’étais un peu plus tranquille le soir.» La jeune femme, illustratrice et autrice de Ma Crohn de vie*, a fini par renoncer à toute vie sociale. Dénutrie, fortement amaigrie, elle a essayé quatre traitements expérimentaux différents sans succès. «À l’âge de 28 ans, une coloscopie a montré que mes intestins étaient dans un état si déplorable que cela engageait mon pronostic vital.» La stomie est alors la seule option et elle a radicalement changé la vie de Juliette Mercier. «Au début, je cachais ma poche, puis je m’y suis habituée. Mon côlon est totalement à la retraite et j’ai pu reprendre une vie normale. Je peux faire du surf, sortir sans me soucier de localiser les toilettes les plus proches, manger de tout.» Seul inconvénient majeur: le risque de déshydratation qui guette la trentenaire, car le rôle d’absorption des liquides exercé par le côlon n’est plus assuré. «Je bois trois litres par jour. J’ai repris les 19 kg perdus pendant ma maladie. Je me sens bien.»

 * Ma Crohn de vie, Juliette Mercier, Éd. Leduc Graphic, 2021

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Paru dans Le Matin Dimanche le 30/10/2022

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