Entre justice et médecine
« Centrale de police : une dame de 80 ans vient d’être retrouvée morte par un proche au pied de son lit. Venez sur place pour la levée de corps. »
La Dre Sandra Burkhardt, médecin adjointe agrégée à l’unité de médecine forensique (UMF), rattachée au centre universitaire romand de médecine légale, raccroche le téléphone de garde et se rend sur les lieux. Elle examine le corps, relève les paramètres utiles pour estimer l’heure de la mort (température, lividité, rigidité), passe en revue les autres pièces à la recherche d’indices (désordre, médicaments), s’entretient avec les proches et la police. « Nous signons un certificat de décès s’il s’agit clairement d’une mort naturelle. Par contre, si nous relevons un indice ou signe de mort violente ou que l’origine du décès est indéterminée, nous établissons un constat de décès et la justice nous mandate en principe pour une autopsie », explique-t-elle. Dans ce cas, une boîte vide d’anxiolytiques sème le doute : serait-ce un suicide ?
Rendez-vous le lendemain matin au Centre médical universitaire. Gants en kevlar pour éviter toute blessure, blouse, bonnet, lunettes de protection, tel un chirurgien, et assistée d’un préparateur en pathologie et d’une stagiaire médecin, elle procède d’abord à l’examen externe. Puis, le corps est ouvert de haut en bas. Le costotome, sorte de ciseaux servant à couper les côtes, permet d’accéder aux organes. Bribes de conversations : « Mesures du foie : 23 x 10 x 5,5 cm. Le coeur fait 398 gr. Tu peux m’aider à sortir les intestins ? » Des prélèvements ont lieu sur chaque organe et seront envoyés pour analyse aux laboratoires d’histologie et de toxicologie.
Intérêt scientifique
Trois heures plus tard, et avant même ces résultats, la cause du décès semble connue et vraisemblablement naturelle: «Il y a une nécrose de la paroi de l’intestin sur 30 cm et les reins sont pâles parce que la personne a perdu beaucoup de sang. Elle est certainement morte d’une hémorragie interne consécutive à un infarctus de l’intestin», explique la médecin légiste. L’UMF procède à quelque 200 autopsies par an. Le contact quotidien avec des cadavres? «Ce n’est pas anodin. Il faut se couper de la réalité. Paradoxalement, les levées de corps sont plus difficiles: il y a une histoire, une ambiance, l’intimité de la personne, alors qu’en salle d’autopsies, l’intérêt scientifique prévaut sur le sentiment désagréable. Le soir, m’occuper des repas ou des devoirs m’aide à décompresser. »
Autre décor : la Maternité. Une infirmière prend en charge aux urgences gynécologiques une femme, victime d’un viol. Elle appelle la Dre Burkhardt et une collègue gynécologue pour un constat d’agression sexuelle. « Nous faisons une seule consultation pour éviter deux examens successifs à la victime. Ma mission est de constater les lésions sur l’ensemble du corps – hormis la zone génitale relevant de la compétence du gynécologue – et de procéder aux prélèvements médico-légaux au cas où la patiente dépose plainte auprès du procureur », explique-t-elle.
Expertises spéciales
Le médecin légiste est aussi amené à observer des lésions traumatiques sur les victimes de violence ou les auteurs présumés de délit, à la demande des autorités judiciaires et avec l’accord de la personne concernée. Il est sollicité dans d’autres situations, notamment l’estimation d’âge biologique chez des personnes se déclarant mineures au juge, l’expertise sur dossier en responsabilité médicale, l’évaluation d’une mise en danger de la vie, l’interprétation de lésions sur photographies, la participation à des reconstitutions, le témoignage au tribunal en qualité d’expert. « Nous sommes une interface entre justice et médecine. J’aime cette variété d’activités, ce contact avec les familles, la police, la justice, de pouvoir apporter un éclairage sur les éléments médicaux des dossiers », avoue la Dre Burkhardt.
Source
Pulsations - mars 2011 / Photos : Julien Gregorio / Phovea
Article original: http://www.hug-ge.ch/_library/pdf/Actualite_sante/Journal_Pulsations_03_2011/p10_11_REPORTAGE.pdf