«Cela prendra beaucoup de temps, mais on arrivera à venir à bout des tumeurs cérébrales»

Dernière mise à jour 10/12/18 | Questions/Réponses
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Discipline médicale récente, la neuro-oncologie traite les patients souffrant d’une tumeur au cerveau ou de la moelle épinière. Directeur clinique de l’unité de neuro-oncologie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), Andreas Hottinger est à la pointe dans ce domaine. Son équipe a été très impliquée dans une étude internationale visant à traiter le glioblastome*, un cancer cérébral très agressif, à l’aide d’un champ électrique de faible intensité. Cette technique permet de prolonger la survie de certains patients.

Bio express

1970 Naissance à Zurich.

1995 Diplôme de la Faculté de médecine de l’Université de Lausanne (UNIL).

2001 Doctorat en sciences et médecine de l’UNIL.

2002 Formation post-graduée en neurologie à l’Hôpital de l’Ile de Berne.

2005 Fellow en neuro-oncologie au Memorial Sloan Kettering Cancer Center à New York, Etats-Unis.

2007 Chef de clinique au Département d’oncologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).

2011 Médecin-associé aux Départements de neurosciences cliniques et d’oncologie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), responsable de l’Unité de neuro-oncologie.

Vous êtes le seul neuro-oncologue en Suisse à être à la fois neurologue et oncologue. Quel est l’intérêt de cette double formation?

Elle a des avantages indéniables, car les patients que nous prenons en charge combinent des problèmes liés à leur tumeur cérébrale –qui relèvent de l’oncologie– et des problèmes neurologiques dus à la présence de lésions dans le cerveau.

La neuro-oncologie est-elle une discipline récente?

Elle a été développée à la fin des années 1970 par l’Américain Jerome Posner, avec qui j’ai eu la chance de travailler au Memorial Sloan Kettering Cancer Center à New York. La neuro-oncologie est une discipline à cheval sur plusieurs domaines de la médecine, ce qui a un impact sur le traitement des patients. En effet, les oncologues ne sont pas spécialisés pour prendre en charge les problèmes neurologiques de ces patients et les neurologues ne sont pas formés pour utiliser les médicaments anticancéreux. L’interdisciplinarité est l’une des caractéristiques principales de cette discipline, puisque nous travaillons de manière très étroite avec les neuroradiologues, les neurochirurgiens, les neuropathologues, les spécialistes de neurohabilitation et les services de soins palliatifs. C’est cela qui est passionnant.

Les neuro-oncologues s’occupent donc des patients souffrant d’un cancer au cerveau?

Oui. Il faut préciser qu’il existe deux catégories de tumeurs cérébrales: d’une part, celles qui se développent dans le cerveau, dites «primaires», et d’autre part les métastases provenant de la dissémination de tumeurs affectant d’autres organes. Mais nous ne faisons pas que nous occuper des patients atteints de tumeurs du système nerveux, car tous ceux qui sont atteints d’un cancer peuvent avoir des troubles neurologiques. Ceux-ci peuvent être dus à la tumeur elle-même, à des métastases (par exemple dans les vertèbres qui compriment la moelle épinière et entraînent des problèmes pour bouger les bras ou les jambes) ou aux effets secondaires des traitements oncologiques (qui, chez certaines personnes, peuvent notamment provoquer des épisodes de confusion). Si on prend en charge ces patients rapidement, on peut parfois prévenir ces complications, ce qui augmente leur autonomie et leur qualité de vie.

Les traitements de certains cancers (mélanome ou poumon, notamment), ont connu de gros progrès au cours de ces dernières années. Est-ce le cas aussi des cancers du cerveau?

Il y a eu des avancées, mais elles sont plus modestes et ne touchent pas les mêmes domaines que les progrès réalisés dans les autres types de cancer. L’une d’elles concerne la prise en charge des patients. Contrairement à d’autres cancers, une tumeur au cerveau se manifeste généralement comme un coup de tonnerre: brusquement, on ne peut plus bouger un bras, on a des troubles de la sensibilité ou de la mémoire. Le parcours du patient ressemble donc souvent à des montagnes russes. Il commence souvent par un séjour aux urgences, suivi par une opération faite par les neurochirurgiens. En fonction du type de tumeur identifié, il peut ensuite avoir besoin d’un traitement de radiothérapie, de chimiothérapie ou des deux combinés. Au CHUV, nous travaillons étroitement tous ensemble dès le départ pour assurer une prise en charge optimale.

Y a-t-il eu également des avancées dans le domaine du diagnostic?

Les techniques d’imagerie, notamment l’IRM, s’améliorent constamment. On peut ainsi de mieux en mieux localiser les anomalies et donc planifier de manière optimale l’intervention chirurgicale ou les traitements de radiothérapie. Ces progrès permettent aussi de suivre avec précision l’efficacité du traitement.

Et en ce qui concerne les traitements?

Grâce à de nouvelles techniques, la neurochirurgie est de plus en plus précise. Il en va de même de la radiothérapie, lors de laquelle nous pouvons adapter les doses de rayonnement et ainsi diminuer les effets secondaires tout en maintenant une efficacité maximale. Dans certaines situations précises, notamment en cas de récidive, nous disposons aussi de nouveaux outils de radiothérapie, comme le gamma knife ou le cyberknife. Cet appareil permet de traiter des lésions du cerveau à l’aide de rayons envoyés avec une extrême précision sur la tumeur, sans endommager les tissus sains environnants et surtout sans intervention chirurgicale. Pour ce qui est de la chimiothérapie, un gros progrès a été fait en 2005 dans le traitement du glioblastome avec l’arrivée du témozolomide. Ce médicament a fait l’objet d’essais cliniques coordonnés par mon prédécesseur au CHUV, le Pr Roger Stupp, qui est l’un des pionniers de la neuro-oncologie en Suisse.

Une autre avancée importante dans la lutte contre le glioblastome est l’utilisation d’un champ électrique. Votre équipe a joué un rôle important dans l’affaire.

En effet, notre équipe a été très impliquée dans une étude internationale à laquelle ont participé 750 patients de 64 hôpitaux.

Comment un champ électrique peut-il agir contre le cancer?

On place sur le crâne rasé du patient quatre électrodes reliées par un câble à un dispositif muni d’une batterie qui génère un courant électrique de faible intensité. Avec la bonne intensité et la bonne fréquence, un champ électrique ne perturbe pas le fonctionnement normal des cellules, mais il empêche leur multiplication. Dans le cerveau, qui ne contient normalement que très peu de cellules qui se divisent, il bloque donc surtout les cellules cancéreuses. Il faut porter l’appareil dix-huit heures par jour pour en tirer des effets bénéfiques. C’est contraignant mais, étant donné la sévérité du glioblastome et son mauvais pronostic, plus de la moitié de nos patients acceptent le traitement. Cela dit, cette technique est une arme supplémentaire, elle ne se substitue pas aux traitements habituels.

Est-ce que cela donne de bons résultats?

Si pour la plupart des patients le bénéfice est plutôt modeste, il est tout de même important pour certains d’entre eux. Grâce à ce traitement, on a réussi à doubler le nombre de personnes qui sont encore en vie après cinq ans.

L’immunothérapie, qui consiste à aider le système immunitaire à lutter contre les cellules cancéreuses, pourrait-elle être utilisée dans le cas d’un cancer du cerveau?

Il y a eu plusieurs essais cliniques visant à traiter les tumeurs du cerveau par immunothérapie mais, à ce jour, tous ont échoué. Il y a encore beaucoup de recherches à faire pour comprendre le fonctionnement du système immunitaire au niveau du système cérébral. Toutefois, pour l’avenir, cela reste une piste importante.

Globalement, pensez-vous que l’on pourra venir à bout des tumeurs cérébrales?

Oui, je le pense! Cela risque de prendre beaucoup de temps, mais je reste absolument optimiste. Si on ne l’est pas, on n’est pas à sa place en neuro-oncologie.

_____

* Le glioblastome est le plus fréquent des cancers du cerveau. Heureusement, il est rare –moins de 5 personnes sur 100’000 sont diagnostiquées chaque année– mais il est très agressif.

Paru dans Planète Santé magazine N° 32 - Décembre 2018

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