Sommeil biphasique : dormir en un bloc de huit heures, une invention récente

Dernière mise à jour 03/05/21 | Article
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Le sommeil de nos ancêtres était structuré en deux périodes. Les insomnies nocturnes en seraient un vestige et non un trouble. Mais alors, dormir d’une traite est-il bon pour la santé?

Les chiffres

De 20 à 30 Le nombre de réveils par nuit moyen chez l’être humain

20 Le nombre de microréveils par heure

15 En minutes, le temps moyen d’endormissement de l’homme

1h30 La diminution de la durée du sommeil au cours du dernier siècle des cinquante dernières années

Les humains dorment depuis toujours. Mais ils ne l’ont pas toujours fait de la même manière. Comme le montrent les travaux de l’historien Roger Ekirch dont le livre «La grande transformation du sommeil» vient d’être traduit en français1, dormir de manière monophasique, c’est-à-dire en une fois, n’est devenu la norme qu’au moment de la révolution industrielle, avec l’arrivée de l’électricité. Avant, les gens allaient se coucher plus tôt, se réveillait vers minuit, avant de se rendormir jusqu’au matin. Ce sommeil biphasique, encore ancré en nous biologiquement, rappelle que se réveiller la nuit n’a pas toujours été considéré comme un problème. Les insomnies de type réveil nocturne en serait donc un vestige. Plus profondément, cette perspective historique montre que les troubles du sommeil sont un mal en grande partie propre à nos sociétés contemporaines. Pression et culte de la performance: l’angoisse autour du bien dormir n’a jamais été aussi forte. Résultat: un tiers de la population se plaint de mal dormir. Aujourd’hui, on dort peu – une heure et demie de moins qu’il y a un siècle – mais surtout très mal. Explications avec le docteur José Haba Rubio, médecin au Centre d’investigation du sommeil du CHUV et au Centre du sommeil de Florimont.

Dormir en une fois, une habitude récente

Le sommeil est un impératif biologique. Tous les animaux dorment, mais d’une manière différente les uns des autres. «Les espèces se sont adaptées à la pression évolutive, explique José Haba Rubio, médecin spécialiste du sommeil. Pour survivre, certains animaux ne peuvent pas se permettre de dormir plusieurs heures d’affilée. La girafe est bon exemple. C’est une proie qui, au vu de sa taille, ne peut que difficilement se cacher. La nuit, elle ne dort que deux heures. Le lion, qui n’a pas de prédateurs, dort lui jusqu’à quatorze heures par jour.» Chez l’homme également, le sommeil, comme bon nombre de fonctions biologiques, a évolué. On sait aujourd’hui que la grande majorité d’entre nous devrait dormir d’une traite environ sept à huit heures. Mais cela n’a pas toujours été le cas. «Nous sommes des animaux diurnes, poursuit le médecin vaudois. La lumière joue un grand rôle pour notre rythme d’éveil et de sommeil. Avant l’arrivée de la lumière artificielle et des activités de loisirs du soir, les gens allaient se coucher quand il commençait à faire nuit.» Avant de s’endormir, il n’était pas rare de passer une ou deux heures dans son lit avant de passer à une phase dite de premier sommeil. Les personnes se réveillaient ensuite quelques heures. Les Romains en profitaient par exemple pour faire la fête. Puis on se rendormait et se réveillait avant le lever du soleil qu’on attendait dans son lit. «Ce sommeil biphasique est ancré dans notre cerveau, détaille le docteur Haba Rubio. Des chercheurs américains ont fait des expériences d’extension du sommeil pour le prouver en faisant passer douze heures au lit à des volontaires. La première semaine, ces personnes dorment pour rattraper leur dette de sommeil, mais ensuite, ils développent le même sommeil biphasique que nos ancêtres.» Se réveiller la nuit fait donc partie de notre physiologie. C’est notre mode de vie actuel qui a conduit à une concentration extrême du sommeil qui fait que celui-ci se déroule maintenant en une seule phase. Un mode de fonctionnement qui n’est pas inédit d’ailleurs dans l’histoire d’homo sapiens. Un chercheur américain, Jerome Siegel, a ainsi constaté, en étudiant le sommeil de populations primitives qui vivent encore aujourd’hui sur plusieurs continents, que le sommeil du chasseur-cueilleur était relativement court et probablement «monophasique» comme le nôtre. Contrairement à nous, ce n’était toutefois pas la lumière, mais surtout la température qui influençait la durée du sommeil des premiers homo sapiens.

Se réveiller la nuit, un problème contemporain

Les cycles du sommeil

Après la période d’endormissement, nous enchaînons habituellement quatre à six cycles de sommeil – lent léger, lent profond, puis paradoxal – qui durent chacun environ une heure et demie.

Endormissement

Très variable d’un individu à l’autre, elle dure ne moyenne 15 minutes. Les muscles et les paupières se relâchent. Le sommeil est toutefois fragile.

Sommeil lent léger

Cette phase occupe environ la moitié de la nuit. Le sommeil est plus profond mais reste léger.

Sommeil lent profond

Le cerveau se met au repos et émet des ondes longues et amples. La respiration est régulière, le cœur bat lentement. C’est le sommeil le plus réparateur, il est difficile de s’en extraire.

Sommeil paradoxal

Les muscles sont flasques et le corps est comme paralysé. Par contre, les yeux bougent et le cerveau fonctionne à plein régime. C’est pendant cette phase que nous rêvons le plus.

En moyenne, une personne se réveille entre 20 à 30 fois par nuit et se rendort la plupart du temps tout de suite sans même remarquer qu’elle s’est réveillée. Certains d’entre nous sont toutefois plus sensibles à l’éveil nocturne que d’autres. Une mouche peut les réveiller. Cette sensibilité peut les prédisposer aux insomnies nocturnes, un type de troubles qui fait qu’on n’arrive pas à se rendormir une fois réveillé pendant la nuit. «Le problème vient du culte de la performance de nos sociétés contemporaines, note José Haba Rubio. Lorsqu’on se réveille la nuit aujourd’hui, on se met tout de suite à stresser. On se dit: comment tenir demain, comment être performant. L’angoisse nous fait entrer dans un cercle vicieux qui nous empêche de nous rendormir.» Or, le problème n’est pas de se réveiller mais de ne plus réussir à se rendormir ou à rattraper sa dette de sommeil à un autre moment de la journée. Ce que montre l’histoire du sommeil, et surtout sa période biphasique, c’est que se réveiller la nuit n’a pas toujours été un problème. Dans les tribus primitives qu’il a étudiées, le chercheur américain Jerome Siegel a d’ailleurs constaté que ces populations n’avaient pas mots pour décrire les insomnies nocturnes. Autrement dit: mal dormir n’existe pas chez eux, ce n’est pas un problème. Lorsque les humains dormaient en deux fois, se réveiller la nuit ne posait pas non plus de problèmes particuliers. Les troubles du sommeil sont en fait, en grande partie, des maladies de nos sociétés contemporaines qui ont transformé le fait de ne pas dormir en peur et en pression de ne pas pouvoir faire face aux défis du quotidien.

8 heures par nuit, la durée idéale?

Des sportifs, notamment les marins, ou les travailleurs de nuit ont un sommeil très fragmenté. Si nos ancêtres avaient un sommeil polyphasique, ce type de sommeil est-il vraiment mauvais pour la santé? Ou bien faut-il dormir huit heures d’une traite pour vraiment profiter des bienfaits du sommeil ? «La durée fait en tout cas partie de l’équation, répond José Haba Rubio. Chacun a son propre rythme et le temps de sommeil est vraiment variable d’une personne à l’autre. C’est comme la coupe d’une montagne. Il y a le début et la fin de la pente: ce sont les petits et les très grands dormeurs. Ces types de dormeurs sont toutefois rares.» La majorité d’entre nous devrait dormir environ sept à huit heures, ce qui semble une durée nécessaire à notre bon fonctionnement général. Mais la durée ne fait pas tout. Il faut aussi que le sommeil soit de qualité. Pour cela, les phases de sommeil «lent profond» (lire encadré), qui sont celles qui sont le plus réparatrices et essentielles pour nos fonctions cognitives, ne doivent pas être perturbées par des réveils inopportuns. Il faut donc que le sommeil soit le plus continu possible. Si le sommeil est très fragmenté, il est difficile de rentrer dans les phases de sommeil profond ce qui rend la récupération difficile. Se réveiller, pour autant qu’on se rendorme, n’est par contre pas un problème. Il existe un signe simple pour savoir si son sommeil est assez réparateur: l’absence de fatigue durant la journée.

Mal dormir, des conséquences immédiates et à long terme pour la santé

Ce qui nuit à l’endormissement

  • Eviter la lumière bleue (celle des écrans en particulier) avant d’aller au lit
  • Renoncer aux boissons stimulantes dès la fin de l’après-midi.
  • Ne pas rester couché si le sommeil ne vient pas au bout de 30 minutes : mieux vaut se lever et se recoucher lorsqu’on se sent somnolent.
  • Ne pas pratiquer d’activité physique ou intellectuelle intense avant le coucher.

Ce qui favorise l’endormissement

  • Manger léger
  • Respecter des horaires fixes de lever et de coucher, y compris les week-ends
  • Utiliser le lit exclusivement pour dormir ou pour les activités sexuelles
  • Prendre du temps pour se déconnecter avant de dormir (lecture, méditation etc.)
  • Dormir dans un environnement adéquat (calme, noir, ni trop chaud ni trop froid)

Lorsqu’on passe une ou deux mauvaises nuits, on constate rapidement des effets néfastes immédiats pour notre santé. Le sommeil est nécessaire à notre fonctionnement cérébral et si on ne respecte pas ce besoin, les disfonctionnements se font rapidement ressentir. Ne pas assez dormir fait qu’on mémorise moins bien et qu’on est souvent irritable. La fatigue et la somnolence ont aussi un rôle sur la vigilance qui peut conduire à des accidents qui auraient pu être évités dans un état normal. Mais ce n’est pas tout. De plus en plus d’études pointent aussi de nombreuses conséquences à plus long terme du manque de sommeil. En particulier, il augmente le risque de maladies cardiovasculaires et neurodégénératives. Mal dormir aurait aussi une influence sur les gènes qui régulent nos horloges internes. Dans une étude parue en 2019, des chercheurs de l’Université de Lausanne et de l’EPFL ont montré chez des souris que ces gènes pouvaient être endommagés par le manque de sommeil chronique et ainsi favoriser l’émergence de maladies non transmissibles à long terme. Pire: si les souris retrouvaient rapidement leur rythme de veille et de sommeil, les gènes restaient endommagés plus longtemps…

La sieste, cette autre phase du sommeil biphasique

Une zone de notre cerveau, le noyau suprachiasmatique, gère nos rythmes et notamment celui qui nous dit quel moment est favorable à l’endormissement. «Il y a des périodes de la journée où même si vous êtes très fatigué, vous ne pourrez pas dormir, explique José Haba Rubio. En anglais, on les appelle les forbiden gates of sleep. Par contre, la vigilance fluctue au cours de la journée, avec des phases biologiques qui ouvrent les portes du sommeil.» La période de début d’après-midi serait ainsi propice à la sieste. Entre 20 et 30 minutes de sommeil à ce moment suffirait à nous permettre de recharger nos batteries. «On ne fait pas des réserves de sommeil, prévient toutefois José Haba-Rubio. On rembourse plutôt la dette qui s’accumule au fur et à mesure des nuits trop courtes.» Une dette qui s’élèverait à 25-30 heures par personne active. Attention toutefois. Si on ne compte plus les études pointant les bénéfices de la sieste sur la créativité et l’attention, elle n’est pas faite pour tout le monde. Elle peut conduire à des problèmes d’endormissement chez les personnes qui ont déjà des difficultés à trouver le sommeil. Une sieste trop longue peut aussi perturber le sommeil de nuit de ceux qui dorment bien. Choisir de faire une sieste, comme aller se coucher d’ailleurs le soir, doit répondre à un besoin. Le principe de base est de s’écouter et dormir quand notre corps et notre esprit en ressentent l’envie.

Restriction du sommeil, LE médicament contre les problèmes d’endormissement

Lorsqu’une personne a de la peine à s’endormir, elle pense trop souvent que la solution réside dans la prise de somnifères. Or, ces derniers sont réservés à des crises aiguës. Ils ne devraient être utilisés que pendant une courte de durée, avec une date de fin claire du traitement. Pour lutter contre les problèmes d’endormissement, la méthode privilégiée par les spécialistes est la restriction du temps passé au lit. «On propose aux gens de réduire le temps passé au lit à six heures par exemple, explique José Haba Rubio. Avec cette légère dette de sommeil, on devient content d’aller au lit.» L’idée est d’imposer de cette manière des rythmes de coucher et de lever réguliers. «Dans les problèmes d’endormissement, ajoute le spécialiste, on constate souvent que les heures auxquelles les personnes concernées vont se coucher sont irrégulières. Une fois tôt, une fois tard. Ce n’est pas bon pour nos horloges internes.» Avec ce manque de rythme, il devient difficile pour le cerveau d’associer le lit au sommeil. Pour remettre les horloges en place, réduire le temps passé au lit et ne pas y rester éternellement mais seulement quand on a vraiment besoin de dormir: voilà la recette naturelle pour retrouver le chemin du sommeil.

 

Le Covid-19, pas bon pour le sommeil

Outre la situation anxiogène liée à la pathologie, la pandémie pose un problème central pour le sommeil, celui de la perte de rythme. «D’habitude, quand on va travailler, les gens vont se coucher vers onze heures et se lèvent vers six heures, remarque José Haba Rubio. Ils ont un rythme d’éveil et de sommeil régulier.» Avec le Covid-19, les horaires deviennent chaotiques. En restant à la maison pour travailler et en perdant nos habitudes de loisirs, la pandémie désynchronise nos horloges. Or, la synchronicité est essentiel au bon fonctionnement de nos vies. Selon le médecin vaudois, on se retrouve dans la même situation que les travailleurs de nuit. Un problème particulièrement important chez les jeunes qui, en l’absence de cours en présentiel, ont tenance à décaler leurs heures de coucher. «En perdant notre rythme habituel, on entre dans un cercle vicieux qui fait qu’on arrive plus à dormir correctement, conclut José Haba Rubio. Une dynamique qu’il peut être difficile d’inverser.»

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1. « La grande transformation du sommeil. Comment la révolution industrielle a bouleversé nos nuits », Roger Ekirch, postface de Matthew Wolf-Meyer, traduction de Jérôme Vidal.

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Paru dans L’Illustré le 28/04/2021.

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