Apnées du sommeil: les promesses de la neurostimulation

Dernière mise à jour 11/11/19 | Article
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Une nouvelle prise en charge des apnées du sommeil est disponible depuis peu au CHUV. Destinée aux patients en échec thérapeutique, elle repose sur l’implantation d’un neurostimulateur du nerf de la langue.

Les Suisses romands atteints d’un syndrome d’apnées obstructives du sommeil (SAOS) et auxquels les traitements actuels ne conviennent pas, ont désormais une alternative. Le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) propose une nouvelle prise en charge des SAOS: la stimulation électrique du nerf hypoglosse. Un milliard de personnes dans le monde seraient concernées par ces apnées nocturnes, or l’arsenal thérapeutique reste peu étoffé et les traitements disponibles ne sont pas efficaces pour tous les patients. Cette approche par neurostimulation est déjà utilisée depuis quelques années, principalement aux États-Unis, en Allemagne et aux Pays-Bas. Depuis, plus de 5000 personnes ont été prises en charge. Le premier patient romand a lui été opéré au CHUV il y a quelques jours.

La stimulation électrique du nerf hypoglosse, qui commande la langue, se fait grâce à un neurostimulateur, semblable à un pacemaker, implanté sous la clavicule. Il est associé à un capteur, placé sous la peau au niveau de la quatrième côte, qui permet de détecter le rythme respiratoire. Le stimulateur produit un courant électrique de faible intensité qui active le nerf hypoglosse pendant l’inspiration, via une électrode implantée dans le cou. «La langue est le plus gros muscle qui peut obstruer les voies aériennes supérieures. La stimulation électrique provoque son avancée et ainsi le dégagement du pharynx», explique le Pr Raphaël Heinzer, chef du Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil du CHUV. Grâce à une petite télécommande, le patient active lui-même le dispositif pour la nuit et l’éteint en journée. «Un centre proposant cette approche existe déjà en Suisse alémanique, et nous sommes heureux de pouvoir maintenant proposer cette technique aux patients romands», se réjouit le Pr Heinzer, qui prévient aussitôt que cette approche ne sera proposée qu’en cas d’échec des traitements classiques: «Il ne suffira pas de dire qu’on ne veut pas de la CPAP pour se voir proposer la neurostimulation!»

Après les traitements classiques

La CPAP (continuous positive airway pressure) est actuellement, en association avec des mesures hygiéno-diététiques, le traitement standard pour la plupart des apnées du sommeil modérées à sévères. Ce dispositif se compose d’un masque à porter durant la nuit et d’une machine qui propulse de l’air dans les voies aériennes pour lutter contre l’obstruction. «Il y a eu beaucoup d’évolutions technologiques et les CPAP sont maintenant beaucoup plus petites et faciles à transporter. Mais cela reste encore difficile à accepter pour certains patients», relève le Dr Karma Lambercy, responsable du secteur SAOS et ronchopathie du Service d’ORL et de chirurgie cervico-faciale du CHUV. Environ 15% des patients refuseraient d’emblée la CPAP et environ 20% abandonneraient le dispositif après quelques mois.

L’orthèse d’avancement mandibulaire constitue une alternative moins encombrante. Il s’agit d’une gouttière fine en plastique à porter la nuit et qui modifie la position de la mâchoire. «Les orthèses sur mesure offrent de très bons résultats, presque comparables à ceux de la CPAP, pour réduire les apnées, précise Karma Lambercy. Certains patients utilisent aussi l’orthèse en complément de la CPAP, par exemple quand ils doivent voyager.» Des orthèses thermoformables sont disponibles dans le commerce, mais elles n’offriraient cependant pas le même résultat que celles réalisées sur mesure: «Si un patient a essayé et n’a pas ressenti d’amélioration, cela vaut la peine de refaire un essai avec un modèle imprimé en 3D sur la base de son empreinte dentaire», relève le Dr Lambercy. L’assurance maladie de base rembourse le traitement par CPAP mais seulement une partie du coût de l’orthèse (300 francs environ restant à la charge du patient).

Une sélection fine des candidats à l’opération

L’échec de ces traitements de première ligne est une condition nécessaire pour envisager la neurostimulation, mais elle n’est pas suffisante. La sélection des personnes qui pourront être implantées sera assez drastique afin d’assurer les meilleurs résultats possibles: «Ce n’est pas une intervention lourde, mais il y a toujours des risques lors d’une chirurgie et nous devons réserver ce neurostimulateur aux patients qui en tireront le plus de bénéfices.» Tous les types d’obstruction de la gorge à l’origine des apnées ne répondent pas à cette approche. «Celles qui sont concentriques, c’est-à-dire quand le pharynx se referme un peu à la manière d’un sphincter, ne seront pas améliorées par cette stimulation, prévient le Dr Lambercy. Les meilleures indications sont les obstructions antéro-postérieures, où la langue et les tissus mous du palais s’affaissent et obstruent le pharynx.»

Afin de sélectionner au mieux les patients éligibles, le bilan, qui comprend un examen clinique et une polysomnographie, est complété par une «endoscopie du sommeil» ou DISE (drug induced sleep endoscopy). «Le patient est sédaté très légèrement avec un anesthésique pour reproduire des conditions proches de celles du sommeil. Avec un fibroscope inséré par une narine, on peut alors observer en temps réel ce qui se passe quand le patient ronfle et ce qui se produit au moment de l’apnée», détaille Karma Lambercy, qui réalise ces DISE. Les enregistrements vidéo obtenus au cours de ces examens sont un élément supplémentaire versé au dossier du patient et discuté lors de colloques transdisciplinaires hebdomadaires, organisés conjointement avec les membres du Centre du sommeil (CIRS), l’unité SAOS et ronchopathie, et la division maxillo-faciale et dentaire, en charge de la neuromodulation. L’implantation pourra être couverte par l’assurance maladie si la personne remplit tous les critères pour cette thérapie.

Cinq patients sont déjà sélectionnés pour être implantés dans les prochaines semaines, et à terme plusieurs dizaines pourraient être éligibles à cette thérapie chaque année en Suisse romande.

Des apnées aux causes très diverses

Les apnées obstructives peuvent survenir plus de 60 fois par heure et affectent fortement la qualité de vie et l’état de santé. Un audit américain estimait récemment que leur coût dépassait celui de l’hypertension artérielle et se rapprochait de celui du diabète. «On retrouve chez les patients des symptômes tels que des maux de tête au réveil, des troubles de la concentration et bien sûr des somnolences diurnes, rappelle le Pr Raphaël Heinzer, chef du Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil du CHUV. Mais on sait désormais qu’à plus long terme, ces personnes peuvent aussi avoir un risque accru d’hypertension artérielle et d’AVC, et peut-être d’autres maladies métaboliques telles que le diabète.» Certains patients sont cependant asymptomatiques et consultent surtout à cause de leur entourage. «Les personnes avec un SAOS ont des ronflements très intenses, qui perturbent souvent leur vie de couple, voire leur vie sociale, constate le Dr Karma Lambercy, responsable du secteur SAOS et ronchopathie du CHUV. Difficile de dormir en refuge, par exemple, quand vous pouvez empêcher tout un dortoir de fermer l’œil!»

Ces apnées du sommeil ont en commun d’être provoquées par une obstruction des voies aériennes supérieures, mais elles peuvent avoir des causes variées et concerner des patients très différents les uns des autres. «Le SAOS est très hétérogène et, une fois le diagnostic posé, il est très important de chercher les causes propres à chaque patient pour proposer une prise en charge personnalisée, insiste Karma Lambercy. Un SAOS chez une femme mince de 40 ans n’est pas identique à celui observé chez un homme obèse de 65 ans.» Certaines formes de visage peuvent, par exemple, augmenter le risque de SAOS. C’est le cas de la rétrognathie, quand la mâchoire supérieure est avancée et celle du bas en retrait. Une base de langue trop grosse peut aussi obstruer le pharynx durant le sommeil. Dans ces situations, une prise en charge chirurgicale peut être proposée. Il est aussi important de vérifier que l’obstruction ne vienne pas d’un problème ORL, des végétations ou une déviation de cloison nasale peuvent causer ou amplifier le SAOS. Certaines apnées peuvent être aussi d’origine positionnelle. Un dispositif empêchant de dormir sur le dos est alors généralement suffisant pour obtenir une nette amélioration.

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Paru dans Le Matin Dimanche le 10/11/2019.

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