«Le système vestibulaire est un véritable sixième sens»

Dernière mise à jour 30/07/17 | Questions/Réponses
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Cet organe sensoriel situé dans l’oreille interne est responsable de l’équilibre. Ses dysfonctionnements plus ou moins graves peuvent constituer un vrai handicap, comme l’explique le professeur Jean-Philippe Guyot.

En dates

1953 Naissance à Boudevilliers (NE).

1979 Diplôme de médecine de l’Université de Genève.

1994 Responsable de l’investigation et de la prise en charge des patients souffrant de troubles de l’équilibre au service ORL des HUG.

2002 Collaboration avec l’Université Harvard pour développer une prothèse vestibulaire.

2004 Direction du service d’ORL et de chirurgie cervico-faciale des HUG.

2007 Première mondiale: implantation de la prothèse, à Genève.

2010 Collaboration avec l’équipe du professeur Herman Kingma, de l’Université de Maastricht, pour inclure plus de patients dans la recherche.

Dire oui ou non de la tête, un geste qui semble anodin. Pourtant, quand on souffre de troubles de la fonction vestibulaire, impossible de faire ce type de mouvement sans être fortement désorienté. Le Pr Jean-Philippe Guyot, médecin-chef du service d’otorhino-laryngologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), présente cette mystérieuse fonction.

En tant que spécialiste de l’oreille, vous vous intéressez particulièrement à la fonction vestibulaire, un terme un peu obscur de prime abord.

Le système vestibulaire est un organe sensoriel situé dans l’oreille. Son anatomie est complexe: on parle de «labyrinthe». Il a pour rôle de transformer les informations de mouvement en signaux électriques, transmis ensuite au cerveau. En plus de servir à entendre, l’oreille interne permet de tenir en équilibre, comme des cannes sur lesquelles on s’appuie de manière constante. Mais le système vestibulaire ne sert pas seulement à se repérer dans l’espace: il stabilise les yeux lors des mouvements, il contrôle le sommeil (favorise l’endormissement), l’horloge biologique, le système limbique (les humeurs, etc.). C’est un véritable sixième sens!

Pourquoi cette fonction vous fascine-t-elle tant?

On connaît assez bien toutes sortes de maladies liées à cette fonction, mais il en est une qui est peu connue du grand public et même du monde médical: le «déficit vestibulaire total bilatéral». Au même titre qu’on peut être sourd ou aveugle, on peut être «délabyrinthé», et il n’existe à ce jour aucun traitement pour aider les patients concernés. Les implants cochléaires, qui peuvent rendre l’ouïe, ont été inventés dans les années 1980. J’ai donc eu envie de développer une solution similaire pour les déficits de la fonction vestibulaire.

Concrètement, comment se manifestent ces déficits?

Les patients souffrent de plusieurs symptômes. Premièrement, ils sont constamment déséquilibrés et font même des chutes. Leur vision est floue dès qu’ils bougent et ils ont des problèmes d’orientation spatiale. Tout cela entraîne des difficultés pour marcher, ils doivent faire attention à se déplacer dans la lumière, pour s’équilibrer grâce à des repères visuels. Certains n’osent même plus sortir de chez eux tellement les déplacements sont compliqués. Quand on prend le temps de discuter avec ces patients, ils évoquent tous une sensation d’ivresse sans qu’ils aient consommé une goutte d’alcool. La plupart du temps, ils ont honte de leur état. Leur tendance à marcher comme des ivrognes rend le regard des autres difficile à supporter. Leur situation est par ailleurs délicate sur le plan professionnel: le diagnostic n’est pas écrit sur leur front, ils sont donc très souvent mal jugés.

Quelles peuvent être les causes de ces problèmes?

La plupart du temps, elles sont inconnues. Il existe probablement un facteur génétique et on sait aussi que certains médicaments (notamment anticancéreux et antibiotiques) peuvent provoquer une perte irréversible de la fonction vestibulaire. Comme beaucoup de médecins connaissent mal cette fonction et que la cause des troubles n’est pas évidente, établir le diagnostic prend parfois beaucoup de temps. Il est donc urgent que ce problème bénéficie de meilleurs enseignements dans les facultés de médecine.

Combien de personnes souffrent de déficit bilatéral de la fonction vestibulaire?

On ne sait pas exactement, mais il est clair que leur nombre est largement sous-estimé. Il existe notamment des personnes qui naissent sans fonction vestibulaire. C’est le cas probablement d’environ un enfant sur deux mille ou trois mille. Un nombre qui va peut-être encore augmenter, car on sait aujourd’hui mieux les diagnostiquer. Normalement, avant qu’il ne sache marcher, un bébé rampe pour essayer d’accéder à un objet qui l’intéresse. En revanche, un bébé dont la fonction vestibulaire est altérée détourne son attention dès que l’objet se situe trop loin. Si son monde semble s’arrêter à la longueur de son bras, c’est un signe d’alarme.

Peut-on réapprendre à vivre sans cette fonction?

C’est compliqué, mais je pense que oui. La plupart de mes patients développent des stratégies pour se faciliter la vie. Ce qui leur fait souvent du bien, c’est de rencontrer d’autres personnes souffrant de la même maladie. Ils se sentent ainsi moins seuls et échangent des astuces pour la vie quotidienne. Dans cette optique, un groupe de parole est d’ailleurs en train de se constituer aux Hôpitaux universitaires de Genève.

La fonction vestibulaire est-elle aussi responsable de la peur du vide?

Oui, en partie. Le vertige des hauteurs est un phénomène complexe. Il faut savoir que le cerveau humain tient compte de différents indicateurs pour nous permettre de tenir debout. Tout d’abord la vision (centrale et périphérique), ensuite la fonction vestibulaire de l’oreille interne, et finalement la proprioception, qui renseigne le cerveau sur la position des diverses parties de notre corps. Quand toutes les informations sont concordantes, on se sent bien. En revanche, quand on se retrouve face au vide, trois éléments peuvent causer le vertige : la non-concordance des informations sensorielles, la vision indiquant un sol très éloigné alors qu’on est sur ses pieds et qu’on ne bouge pas, la perte de repères verticaux dans le champ visuel périphérique et la perte d’une « accroche » visuelle centrale. C’est un peu le même principe avec le mal des transports : il y a conflit entre le système vestibulaire, qui informe très rapidement le cerveau d’un mouvement, et le système visuel, très lent, qui l’en informe plus tardivement. Le malaise est semblable à celui que cause un film dont les images et les paroles sont mal synchronisées.

Avez-vous le vertige?

(Rires.) J’ai certainement un vertige des hauteurs, oui, mais je suis très résistant au mal des transports.

Une future neuroprothèse promet d’améliorer l’équilibre

Depuis de nombreuses années, le professeur Jean-Philippe Guyot travaille sur le développement d’une neuroprothèse capable d’améliorer l’équilibre des patients souffrant d’un déficit vestibulaire bilatéral. Celle-ci fonctionne grâce à un capteur de mouvements, du même type que ceux que l’on trouve dans les téléphones portables. Les informations sur le mouvement sont transformées en signaux électriques, puis transmises au cerveau par des électrodes implantées chirurgicalement au contact du nerf vestibulaire, juste derrière l’oreille interne. Si tout se passe bien, les implants vestibulaires devraient être mis sur le marché d’ici à cinq ans. La promesse d’une vie plus stable pour de nombreux patients.

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Paru dans Le Matin Dimanche du 30/07/2017.

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