«Nous portons les jugements qui nous arrangent»

Dernière mise à jour 12/04/23 | Questions/Réponses
PULS_mona_spiridon_jugements
Neuroscientifique à l’Université de Genève (UNIGE), Mona Spiridon est la commissaire de l’exposition «La nouvelle menace», en tournée dans les écoles romandes en 2023. Son objectif: mettre en lumière ces fameux biais cognitifs qui nous influencent sans cesse au quotidien.

    

«La nouvelle menace» invite à réfléchir sur nos biais cognitifs. De quoi s’agit-il?

Mona Spiridon Si le terme «biais cognitifs» semble assez technique, il fait écho à une réalité quotidienne pour chacun et chacune d’entre nous, théorisée dans les années 70 par un psychologue américain. Et pour cause, il correspond à l’ensemble des mécanismes mentaux qui influencent en permanence nos raisonnements. Nous voyons ainsi le monde à travers un prisme qui nous est très personnel, fait de nos croyances, de notre histoire ou encore de ce qui nous rassure. C’est pourquoi, inconsciemment, nous portons généralement les jugements qui nous arrangent…

L’exposition montre de façon interactive comment nos avis et préjugés se construisent, parfois bien loin de la réalité. Comment vous est venue l’idée de cette scénographie?

Tout l’enjeu était d’aborder la question des biais cognitifs de façon concrète et vivante, plutôt que par une approche trop théorique. En s’appuyant sur des vidéos aux scénarios distincts, l’exposition montre comment, à partir d’un même ensemble d’informations (données, interviews, etc.), nous adoptons un point de vue plutôt qu’un autre. La réflexion qui en découle est passionnante et complexe car les «ficelles» de la manipulation – révélées à l’issue du visionnage des vidéos – ne font pas tout: la manière dont nous nous forgeons nos opinions vient aussi de nos a priori.

Les biais cognitifs se déclinent aujourd’hui en une multitude de sous-catégories, comme les biais «de confirmation» ou «d’autorité». À quoi correspondent-ils?

Le biais de confirmation fait référence aux situations où nous ne gardons que les informations qui nous conviennent, en rejetant les autres. Le biais d’autorité réfère quant à lui à ce que nous croyons en fonction de la personne qui délivre le message. Ainsi, nous serons plus sensibles aux paroles d’un expert mondialement connu que d’une personne croisée dans la rue.

Ces notions, comme l’exposition elle-même, font écho à la pandémie de Covid-19 et aux prises de position qui ont jailli de toutes parts, dans un climat de flou et de tensions sans cesse exacerbé…

Oui, car les biais cognitifs sont encore plus marqués en période de crise et une vigilance accrue s’impose, y compris pour le monde scientifique lui-même, plus que jamais mis sur le devant de la scène durant la pandémie. Porté par des individus emprunts de leurs propres préjugés, il n’échappe pas à ce phénomène. Ce qui «sauve» la science, c’est la rigueur, l’éthique, le respect des temps de recherche incompressibles. Or le climat d’urgence et de pression qui a surgi a bouleversé ces garde-fous et parfois ouvert la porte à des prises de position hâtives, délétères et contraires à l’esprit scientifique.

Après avoir été proposée au grand public, l’exposition circule dans diverses écoles secondaires de Suisse romande, où elle s’accompagne de séquences pédagogiques, notamment sur l’art de l’argumentation et la notion d’esprit critique. Comment ces échanges sont-ils accueillis?

Très bien. Les élèves connaissent souvent peu ces notions, mais réalisent très vite qu’elles font partie intégrante de leur vie. Développer l’esprit critique, entre autres, est une nécessité pour leur permettre d’appréhender avec davantage de conscience le monde qui les entoure. Les discussions portent ainsi tant sur les réseaux sociaux et les contenus qu’ils délivrent que sur leurs interactions avec les autres.

Autant de situations influencées elles aussi par les biais cognitifs?

Tout à fait. Nos interactions sociales sont puissamment régies par ces biais. Ainsi, d’une personne que nous n’apprécions pas, par exemple, tout peut nous irriter: nous prenons ses mots pour des agressions, ses gestes pour des provocations, alors que, potentiellement, il n’en est rien. L’idée n’est pas de porter des jugements sur ces comportements, mais d’en prendre conscience. Il devient ainsi possible d’évoluer dans notre façon d’être, d’interagir, de penser, en apprenant à garder l’esprit ouvert plutôt que de nous enfermer dans nos certitudes.

_________

Plus d’infos: www.unige.ch/cite/evenements/exposition/seu/expositions-passees/nouvellemenace

Article repris du site  pulsations.swiss

Articles sur le meme sujet
PS52_andrea_serino

«Une grande opportunité de faire évoluer la neuroréhabilitation»

Inauguré en novembre dernier à Lavigny par le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), l’Université de Lausanne (UNIL) et l’Institution de Lavigny* elle-même, le NeuroRehab Research Center (NeuroRehab) laisse augurer d’une nouvelle ère dans le domaine de la neuroréhabilitation, en particulier pour les patients ayant subi un accident vasculaire cérébral (AVC) ou un traumatisme crânien sévère. Rencontre avec son directeur, le Pr Andrea Serino.
PULS_resolutions_debut_annee

Faut-il prendre des résolutions en début d’année?

90% des résolutions prises le 1er janvier seraient abandonnées. Le Dr Paco Prada, responsable du Service de psychiatrie de liaison et d’intervention de crise des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), explique pourquoi et suggère des pistes pour des changements durables.
PULS_douleur_mot_maux

La douleur, un mot pour des maux

Signal d’alarme de notre corps, la douleur n’est pas ressentie de la même façon chez tout le monde. Les explications du Pr Benno Rehberg-Klug, médecin adjoint agrégé au Service d’anesthésiologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Videos sur le meme sujet

Comment remédier à notre attention qui baisse?

Selon une étude du centre de recherche CERVO de l’Université Laval à Québec, l’attention – faite de concentration et de distraction – décline progressivement à partir de 26 ans.

Pourquoi je procrastine?

J’ai voulu affronter cette vilaine habitude avec Shékina Rochat, docteure en psychologie, et maître d’enseignement et de recherche à l’université de Lausanne.

L'amnésie globale transitoire: quand le cerveau n'encode plus rien

Lʹamnésie globale transitoire est une perte soudaine et temporaire de la mémoire.