«Une grande opportunité de faire évoluer la neuroréhabilitation»

Dernière mise à jour 11/04/24 | Questions/Réponses
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Inauguré en novembre dernier à Lavigny par le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), l’Université de Lausanne (UNIL) et l’Institution de Lavigny* elle-même, le NeuroRehab Research Center (NeuroRehab) laisse augurer d’une nouvelle ère dans le domaine de la neuroréhabilitation, en particulier pour les patients ayant subi un accident vasculaire cérébral (AVC) ou un traumatisme crânien sévère. Rencontre avec son directeur, le Pr Andrea Serino.

   

Qu’est-ce qui a motivé la création du NeuroRehab Research Center?

Bio express

1978 Naissance à Varese, Italie.

2001 Master en psychologie expérimentale à l’Université de Milan, Italie.

2002 Neuropsychologue au Centre de neurosciences cognitives à Césène, Italie.

2006 Doctorat (PhD) en psychologie expérimentale et professeur assistant à l’Université de Bologne, Italie.

2012 Scientifique au Centre de neuroprosthétique de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).

2016 Responsable des neurosciences chez MindMaze SA.

2017 Professeur assistant (boursier FNS) de l’Université de Lausanne (UNIL) au Service de neuropsychologie et neuroréhabilitation du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et directeur du Laboratoire MySpace du CHUV.

2022 Professeur associé de l’UNIL au Service de neuropsychologie et neuroréhabilitation du CHUV et directeur du NeuroRehab Research Center, CHUV-UNIL.

Pr Andrea Serino: Ce nouveau centre s’inscrit dans le projet SUN (Service universitaire en neuroréhabilitation), né de la volonté du canton de Vaud, du CHUV, de l’UNIL et de l’Institution de Lavigny de créer un nouveau service de neuroréhabilitation visant à repenser les structures de soins existantes sur le site de Lavigny et du CHUV. Un pilier fondamental de ce projet est le NeuroRehab Research Center, qui réunit sur un même lieu des mondes parfois séparés: la recherche, la prise en charge clinique et l’ingénierie pour l’innovation technologique, le tout à proximité immédiate des patients. Dans un domaine comme la neuroréhabilitation, optimiser ces synergies est fondamental pour améliorer les soins. Cette structure est une grande opportunité de la faire évoluer.

Qui sont les patients concernés?

Le NeuroRehab Research Center s’adresse principalement aux personnes souffrant de lésions neurologiques consécutives à un AVC ou un traumatisme crânien. Le plus souvent, les patients présents sur le site de Lavigny ont d’abord été pris en charge au CHUV aux soins intensifs puis pour les premiers temps de la neuroréhabilitation. Se poursuit ensuite à Lavigny la neuroréhabilitation intensive sur le plus long terme. Or beaucoup se joue encore durant cette phase pour favoriser la récupération de certaines facultés neurologiques.

Cela passe-t-il par l’innovation technologique?

En partie, c’est certain. Aujourd’hui, la neuroréhabilitation avance avec deux nouveaux piliers majeurs: la recherche et l’innovation. La première est clé: mieux comprendre le fonctionnement du cerveau permet, et permettra, de mieux le «réparer» quand il subit des lésions. Quant à l’innovation, les possibilités sont infinies, dans des spécialités aussi variées que la réalité virtuelle, la robotique, la neuro-imagerie ou encore la stimulation cérébrale non invasive. Nous pouvons nous réjouir de la richesse des compétences de la région lémanique dans ces divers domaines. Le NeuroRehab réunit ainsi des experts en ingénierie venant notamment du CHUV, de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et de diverses start-up. Tout l’enjeu: proposer aux patients les meilleures options thérapeutiques possibles selon les connaissances scientifiques actuelles et développer des neurotechnologies au plus près de leurs besoins.

En pratique, comment cela s’organise-t-il?

Le processus reste le même que pour tout projet relatif à la recherche médicale, à savoir l’élaboration de prototypes, les phases de développement, les tests de faisabilité en laboratoire et la validation au travers d’études cliniques respectant la rigueur méthodologique. Au sein du NeuroRehab, les laboratoires de recherche étant implantés à proximité immédiate des structures de soin, ces diverses étapes profitent pleinement des interactions permanentes possibles entre les protagonistes clés que sont les chercheurs, les scientifiques, les soignants et les patients eux-mêmes.

Sommes-nous aujourd’hui à un tournant de la neuroréhabilitation?

J’en suis convaincu et cela est nécessaire. En effet, il faut que nous puissions aller plus loin dans ce qui est proposé aux patients concernés, en termes de soins, de thérapies personnalisées, mais également de suivi, y compris après l’hospitalisation. Aujourd’hui, de nombreuses personnes qui quittent l’hôpital, après des semaines ou des mois de traitement, souffrent encore de déficits en lien avec le traumatisme crânien ou l’AVC qu’elles ont subi. Et bien souvent, l’offre de soins s’effondre: l’écart entre le nombre d’heures de soins proposés à l’hôpital et celui qui est possible à domicile est bien trop important. Or ces thérapies restent indispensables, tant pour maintenir les progrès accomplis que pour aller plus loin encore dans la récupération fonctionnelle. Cet aspect de la prise en charge est une préoccupation pour de nombreux pays. Il est notamment en lien avec un dilemme quasi mathématique: en neuroréhabilitation comme dans bien d’autres domaines de la santé, les besoins ne cessent d’augmenter, mais le nombre de soignants diminue et les défis financiers se multiplient.

Quelles sont les pistes pour faire face à cette situation?

Dans ce contexte, la neuroréhabilitation doit absolument changer de paradigme. La télémédecine va jouer un rôle majeur. L’idée n’est pas du tout de laisser le patient seul à distance ou de se passer des soins prodigués à domicile par les physiothérapeutes ou les ergothérapeutes par exemple, mais de trouver des solutions pour augmenter l’offre de soins et la personnaliser au maximum. Et cela passe, entre autres, par de nouvelles innovations technologiques.

Lesquelles par exemple?

La réalité virtuelle offre des perspectives nouvelles inouïes. Munis de casques spécifiques (casques VR), les patients peuvent se plonger dans des jeux immersifs spécialement conçus pour stimuler certaines facultés cérébrales. Les innovations sont croissantes dans ce domaine, qui va bien au-delà de simples «jeux». On parle ici de véritables outils thérapeutiques. Une autre piste en développement pour stimuler la neuroréhabilitation à domicile: la mise en place d’un système connecté à l’hôpital permettant aux patients de poursuivre leurs entraînements avec un suivi précis, si besoin en temps réel, par leurs soignants.

Tout cela ouvre des pistes nouvelles, y compris pour le système de santé lui-même…

Absolument. Ce sont des aspects sur lesquels nous nous penchons également, notamment dans le cadre d'un projet national financé par Innosuisse, impliquant de multiples partenaires, que nous coordonnons, SwissNeuroRehab, avec des experts travaillant en étroite collaboration avec l’État, les services cantonaux et les assurances. Le changement de paradigme en cours passe invariablement aussi par des réflexions structurelles, administratives et financières pour que ces nouvelles modalités de soins soient possibles.

Reste le cerveau lui-même et ses mystères encore bien gardés… La recherche avance-t-elle également dans ce domaine?

Oui, même si beaucoup reste à découvrir. Une chose est sûre: depuis quelques années, un virage s’est opéré dans la compréhension du cerveau grâce notamment aux progrès de l’imagerie médicale. Nous prenons notamment conscience que le cerveau est bien plus complexe que ce que nous imaginions. Longtemps, nous avons par exemple pensé que son fonctionnement était organisé en régions presque cloisonnées, en charge de traiter des données spécifiques. Or tout porte à croire que les choses ne sont pas aussi «simples» et que les interactions entre ces zones sont permanentes et extrêmement élaborées.

Pourtant, certains mystères se dissipent, comme en témoignent régulièrement les publications scientifiques…

Oui, car tout en mesurant l’immense complexité du cerveau, nous avons aussi accès à de plus en plus de données et à des systèmes d’analyse informatiques particulièrement performants, comme l’intelligence artificielle par exemple. Et les progrès pourraient encore s’accélérer dans les années à venir grâce notamment au perfectionnement des méthodes d’enregistrement. La mise en place de dispositifs plus invasifs –par le biais d’électrodes directement implantées dans le cerveau par exemple– pourrait déboucher sur des découvertes spectaculaires. L’espoir qui en découlera sera bien sûr de nouvelles perspectives de prise en charge des maladies et des lésions neurologiques.

______

* www.ilavigny.ch

Paru dans Planète Santé magazine N° 52 – Mars 2024

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