Ce que les (nouveaux) auto-tests changent

Dernière mise à jour 07/02/19 | Article
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Infection urinaire, carence en fer, allergie ou encore intolérance au gluten, il est désormais possible de se tester, sans le moindre encadrement médical. Une chance? Rien n’est moins sûr à en croire les médecins, sauf pour le dépistage de deux maladies: le VIH et le cancer colorectal. Explications.

L’expérience est tentante: appliquer une goutte de sang sur un auto-test et après quelques minutes savoir si notre fatigue est liée à une carence en fer, nos maux de ventre à une intolérance au gluten, notre toux à une allergie. Le principe des auto-tests est commun à tous: confronter un échantillon de salive, de sang ou encore d’urine à un révélateur capable de déceler la présence d’un anticorps ou d’une hormone, par exemple.

Sauf que le tableau n’est pas si clair. «Hormis le fait que la fiabilité des auto-tests est souvent contestable, l’un des reproches que nous pouvons leur adresser est qu’ils ne fournissent pas de chiffres, mais uniquement un résultat positif ou négatif, déplore le Pr Nicolas Senn, directeur de l’Institut universitaire de médecine de famille à Lausanne. Or cela suffit rarement. Les auto-tests dédiés aux allergies par exemple détectent la présence d’immunoglobulines E (IgE), autrement dit, d’anticorps produits par le corps en cas d’allergie. Ils vont donc au mieux révéler un terrain allergique, mais sans répondre aux vraies questions: à quoi la personne est-elle allergique? Quelle est la sévérité de l’allergie? Seuls des tests cutanés et une analyse de sang ciblée pour tester les IgE spécifiques à tel ou tel allergène permettent de faire cet état des lieux et prendre les mesures adaptées.»

Aucun chiffre officiel

S’ils s’intègrent dans une tendance générale à quantifier soi-même sa santé par appareils de mesure ou smartphones interposés, pour le Pr Senn, nombre de ces auto-tests résonnent comme une aventure inachevée: «Certes ils démultiplient les outils diagnostics dans les mains du patient. Mais les auto-tests sont pour la plupart passés directement des laboratoires d’ingénierie aux étagères des pharmacies sans passer par un raisonnement en termes de soin. Dès lors, bien souvent, leur utilisation se solde par un rendez-vous médical car, soit le patient a obtenu un résultat négatif et il n’est pas plus avancé sur ce qui le préoccupait, soit ce résultat est positif et une consultation est nécessaire pour confirmer et affiner le résultat afin d’entreprendre une prise en charge concrète».

Tandis que la liste des auto-tests disponibles ne cesse de s’allonger, il n’existe pas de données sérieuses pour en dresser le bilan. «Aucun système n’a en effet été mis en place pour évaluer l’ampleur du phénomène. Nous partons du principe qu’une personne qui obtient un résultat positif va de toute façon entrer dans le système de soin et qu’à partir de là, elle sera suivie d’un point de vue médical et éventuellement statistique», explique Daniel Koch, responsable de la division Maladies transmissibles de l'Office fédéral de la santé publique (OFSP).

Intérêt de santé publique

Si l’accueil réservé à ces nouveaux outils apparaît donc pour le moins frileux, deux d’entre eux se distinguent et s’attirent même les encouragements du corps médical. Il s’agit des auto-tests pour les dépistages du VIH et du cancer colorectal. «Ils font exception et c’est tant mieux, se réjouit le Pr Senn. Ils sont l’exemple même d’un processus qui a été mené jusqu’au bout.» Leur mérite? Favoriser un vaste dépistage d’intérêt public et avoir donné la preuve de leur efficacité.

«Les auto-tests de dépistage du VIH? Je n’y vois que des points positifs, s’enthousiasme la Pre Alexandra Calmy, médecin adjointe agrégée à l’Unité VIH/SIDA des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Ils sont arrivés au bon moment, dans un contexte où chacun ressent le besoin de s’autonomiser, mais également à une époque où la prise en charge du VIH est métamorphosée: bien sûr la maladie fait toujours peur, mais nous disposons désormais de traitements permettant de viser non plus simplement l’augmentation de la durée de vie, mais aussi de sa qualité.» Susceptibles de révéler une maladie transmissible, ces auto-tests ont fait figure d’exception en pharmacie en nécessitant une dérogation de Swissmedic. Ils ne sont apparus sur le marché qu’en juin 2018. «Aujourd’hui, nous ne pouvons que les recommander aux personnes qui souhaitent se dépister», estime la Pre Calmy. Les critères à remplir? «Le premier est de se sentir prêt et savoir comment joindre un soignant en cas de question ou si le test s’avère positif. Le site www.aids.ch par exemple, répertorie les lieux de soin spécifiques», recommande la spécialiste. Autres impératifs: utiliser un auto-test marqué du symbole «CE» garantissant sa qualité et réaliser le test au moins trois mois après la prise de risque supposée.

Quant au dépistage du cancer colorectal, deux options sont possibles: la coloscopie, pratiquée par un gastro-entérologue, ou le recours à un auto-test dit «immunologique», à se procurer auprès du médecin traitant ou en pharmacie. Son objectif: détecter la présence de sang occulte (autrement dit invisible à l’œil nu) dans les selles, signe de la présence possible de polypes ou de cancer. L’avantage? «Très fiables, ces auto-tests offrent un accès facilité à un dépistage essentiel, explique le Pr Frédéric Ris, médecin au Service de chirurgie viscérale des HUG. Et pour cause, dans le cadre du cancer colorectal, on estime qu’une vie est sauvée tous les 100 patients dépistés, c’est une proportion énorme. Préconisé tous les deux ans dès 50 ans, surtout en cas d’antécédents familiaux, de saignements visibles dans les selles ou de changements inexpliqués du transit, ce dépistage permet une anticipation pour une maladie qui est facilement curable si on la détecte tôt. C’est un exemple réussi d’un outil permettant à chacun d’être davantage acteur de sa santé tout en favorisant la prévention.»

Auto-tests versus Smarter medecine

Nous tester, nous mesurer, multiplier nos données… est-ce bien raisonnable? «D’une façon générale, il est difficile de recommander des dépistages par auto-tests pour des investigations qui ne sont pas réalisées dans le cadre d’une consultation médicale, se positionne le Pr Nicolas Senn, directeur de l’Institut universitaire de médecine de famille à Lausanne. Pratiquer certains d’entre eux n’a pas de sens non seulement d’un point de vue médical, comme tester les hormones thyroïdiennes ou la ferritine chez une personne fatiguée depuis seulement quelques jours, mais aussi, plus largement, au regard d’un objectif actuel de médecine plus durable porté en Suisse par le mouvement Smarter medecine». Né dans la continuité du courant américain Less is more, il associe l’action d’acteurs clés du système de santé. Son objectif: repenser certaines pratiques médicales avec l’idée de soigner mieux sans démultiplier les prescriptions, examens ou actes médicaux mais au contraire en les limitant quand leur utilité est contestable. «Tandis que l’offre technologique inonde le marché et les cabinets médicaux, nous devons tous avoir en tête le risque de surmédicalisation, qui est un danger tant pour le système de soin que pour l’individu lui-même», alerte le Pr Senn.

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Paru dans Le Matin Dimanche le 20/01/2019.

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