Le dépistage du cancer de la prostate ne doit pas être systématique

Dernière mise à jour 28/01/16 | Article
Une étude des Hôpitaux universitaires de Genève vient d’évaluer avec une précision sans précédent les dangers inhérents à la pratique systématique du dosage sanguin du PSA. Une information claire et complète adressée à tous les hommes concernés est plus que jamais nécessaire.

Le cancer de la prostate est un cancer fréquent. En 2012, plus d’un million de cas ont été diagnostiqués dans le monde. Dans le même temps, ce cancer a été à l’origine d’un peu plus de 300 000 morts prématurées. Les spécialistes considèrent qu’il représente 8% de l’ensemble des cancers et 15% de ceux de l’homme. C’est aussi (comme celui du sein ou du col de l’utérus) un cancer qui peut être dépisté de manière périodique par un dosage sanguin de «l’antigène spécifique de la prostate» (PSA) –une technique disponible depuis le milieu des années 1990 et qui a, depuis, fait l’objet de nombreuses controverses.

Ce problème avait déjà été soulevé il y a trois ans. Plus récemment, Christophe Iselin, médecin-chef du service d’urologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), avait précisé les termes du débat après une modification des recommandations officielles américaines concernant le meilleur usage de la recherche des taux sanguins de PSA.

Vingt années de dépistage

Aux Etats-Unis, en effet, l’introduction de ce dépistage a eu des conséquences dommageables: plus d’un million d’hommes ont été traités pour un cancer de la prostate, la plupart d’entre eux pouvant malheureusement être attribués à un «surdiagnostic». Dans ce contexte, de nombreuses organisations, comme l’U.S. Preventive Services Task Force (USPSTF) et le Swiss Medical Board, en sont venues à décourager le test PSA chez les patients asymptomatiques. En 2014, la Société suisse de médecine interne générale (SGIM) a inscrit le dépistage par PSA parmi les cinq procédures à éviter. Et la Société suisse d’Urologie (SSU) a rédigé des recommandations nuancées tenant compte de la situation spécifique de chaque patient.

Où en est-on aujourd’hui? Une étude des Hôpitaux universitaires de Genève a analysé les données de vingt années de dépistage de cette lésion cancéreuse et elle en souligne les avantages et les risques dans une étude qui vient d’être publiée dans la revue Preventive Medicine1. Dirigés par le Dr Idris Guessous, médecin adjoint agrégé au Service de médecine de premier recours des HUG, les auteurs montrent que le recours au dépistage a fortement augmenté durant les vingt dernières années – et que la pratique de ce dépistage est corrélée avec le milieu socio-économique, l’éducation et le type d’emploi des hommes dépistés. Les auteurs soulignent aussi que les bénéfices inhérents à ce dépistage ne sont pas confirmés dans tous les cas, ce qui justifie une information claire et complète des hommes concernés quant aux enjeux d’une telle pratique.

Paradoxe socio-économique

Point important: ces auteurs démontrent que le niveau social joue aujourd’hui un rôle paradoxal dans le cas du cancer de la prostate. «Plus qu’un facteur de protection, un statut socio-économique élevé devient, dans ce cas, un facteur de risque», expliquent-ils. Ils ajoutent que la Suisse ne dispose pas d’un programme de dépistage systématiquement proposé. Pour autant, à Genève, plus de 60% des médecins et des spécialistes en urologie le recommandent systématiquement à leurs patients de 50 ans et plus (et ce en dépit du fait qu’il ne soit en général pas remboursé par les caisses-maladies).

L’étude dirigée par le Dr Idris Guessous est la première à s’intéresser au niveau national à vingt ans de dépistage. Elle se fonde sur des données du Swiss Health Survey publié par l’Office fédéral de la statistique. Au total elle prend en compte les données de 12 034 hommes d’un âge moyen de 63,9 ans, en majorité de nationalité suisse (87,6%), mariés (79,4%) et d’un niveau d’éducation de type secondaire (55,1%). Cette étude couvre la période 1992-2012 et fait apparaître une forte augmentation de la pratique de ce dépistage.

Il apparaît ainsi qu’en 1992, 55,2% des hommes de la cohorte avaient été dépistés au moins une fois par PSA, tandis que cette proportion est passée à 70% en 2012. « Cette hausse peut surprendre compte tenu du débat sur l’intérêt de ce dépistage, résument les auteurs. Elle peut être mise en rapport avec le taux de consultations auprès d’un médecin généraliste dans les douze derniers mois, ce qui incite à penser que ces derniers sont les principaux prescripteurs du dépistage, et cela malgré le manque de preuves au sujet de son efficacité. Les riches instruits sont paradoxalement les plus à risque: l’étude souligne de fortes disparités socio-économiques, les personnes à revenus élevés et à niveau éducatif poussé étant nettement plus souvent dépistées que les autres.»

Information claire

La tendance observée en Suisse est comparable à celle que l’on observe dans les pays développés tels que l’Australie et les Etats-Unis. «Dans cette situation complexe, une information claire sur les enjeux du dépistage, ses risques et ses bénéfices s’avère essentielle, concluent les auteurs de ce travail. En effet, dans les cas où les avantages du dépistage ne sont pas clairement établis, c’est le patient qui devrait pouvoir décider en toute conscience s’il souhaite se faire dépister. Les recommandations de la Société suisse d’Urologie dressent d’ailleurs une liste de dix points de discussion2 à aborder avec les patients au sujet du PSA et du cancer de la prostate.»

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1. Un résumé (en anglais) de la publication de Preventive Medicine est disponible ici: «Prostate cancer screening in Switzerland: 20-year trends and socioeconomic disparities». Cette étude a été conduite en collaboration avec des chercheurs américains de l’université d’Emory (Atlanta), de l’American Cancer Society, de l’Université de Lausanne, de l’Université de Genève et de l’Université Hébraïque de Jérusalem.

2. Cette liste est disponible ici: «Que signifie "homme informé"

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