La médecine de famille en pleine mutation

Dernière mise à jour 01/11/18 | Article
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Vieillissement de la population, augmentation des maladies chroniques, hausse des coûts de la santé: en Suisse comme dans de nombreux pays industrialisés, la médecine générale est confrontée à de nombreux défis. Lors d’un séminaire en juin dernier à Lausanne, des pays francophones ont partagé leurs expériences.

Les temps ont bien changé pour les médecins de famille. Au cours de ces dernières années, «du héros qui sait tout et qui travaille jour et nuit, on est passé au médecin faisant un large usage de la technologie au risque d’en oublier son patient», constate Monika Diebold, directrice de l’Observatoire suisse de la santé. Aujourd’hui, la balance tend à se rétablir pour faire du médecin «un homme ou une femme comme les autres qui a pris conscience des avantages de collaborer avec d’autres professionnels de la santé».

«Collaboration»: ce mot était au centre des discussions lors du symposium francophone des soins primaires, organisé le 18 juin 2018 à Lausanne par l’Institut universitaire de médecine de famille (IUMF), la Policlinique médicale universitaire (PMU) et le Service de santé publique (SSP) du canton de Vaud. Des professionnels de la santé venant de Belgique, de France, du Québec et de Suisse ont fait part de leurs expériences en la matière.

De nombreux défis

La médecine de premier recours doit évoluer car elle est maintenant confrontée à divers enjeux. À commencer par le vieillissement des médecins, dont la majorité, en Suisse, se situe entre 50 et 65 ans. La pénurie menace et certains pays comme la France comptent déjà un nombre important de déserts médicaux. À l’avenir, la situation risque encore de se compliquer dans la mesure où la plupart des jeunes médecins souhaitent travailler à temps partiel.

Par ailleurs, le vieillissement de la population s’accélère, les cas de maladies chroniques sont en augmentation, de même que les patients «complexes». Pour expliquer ce concept, Catherine Houdon, directrice de recherche au département de médecine de famille et médecine d’urgence de l’Université de Sherbrooke au Québec, décrit une patiente fictive, Mme Tremblay. Cette femme «de 52 ans, aux moyens financiers limités, est mariée à un homme qui, lorsqu’il a consommé de l’alcool, devient violent verbalement. Elle souffre d’hypertension, d’un excès de cholestérol, de diabète, d’asthme et d’anxiété». Elle n’a pas toujours accès à un médecin de famille et, quand elle a un problème, «elle va aux urgences». Mme Tremblay, explique la professeure québécoise, «est une bonne illustration de ces personnes qui présentent des interactions complexes entre des maladies chroniques, une précarité socio-économique et des troubles de santé mentale», et dont la prise en charge pose problème.

À ces défis s’ajoutent «les opportunités et les dangers de l’explosion technologique», selon les termes de Stéfanie Monod, cheffe du Service de la santé publique du canton de Vaud, ainsi que «la numérisation et l’arrivée en force des technologies de l’information dans le domaine de la santé dont on ne sait pas comment elles vont impacter les pratiques». Sans compter, bien évidemment, l’augmentation des coûts de la santé.

Maisons de santé

L’un des moyens envisagés pour relever ces défis est de renforcer la coopération entre les divers professionnels de la santé. Dans ce domaine, la Belgique a fait œuvre de pionnière en fondant des maisons médicales. «Le mouvement est né dans la fièvre des golden sixties, explique Hubert Jamart, médecin généraliste membre du bureau stratégique de la Fédération belge des maisons médicales. Des praticiens qui souhaitaient créer une médecine différente se sont associés à des infirmières, des kinésithérapeutes (physiothérapeutes, ndlr) des bénévoles et des patients. Leur principal objectif était de lutter contre les inégalités existant entre les patients, ainsi qu’entre les soignants».

Le phénomène a pris de l’ampleur, puisqu’il existe actuellement en Belgique 112 maisons médicales. Ce regroupement, sous un même toit, d’une équipe pluridisciplinaire, «permet au patient d’avoir accès quand il le souhaite à son propre médecin. Cela favorise aussi les échanges d’informations entre l’hôpital et le cabinet médical et assure la permanence des soins grâce à un système de garde». Les premières évaluations font apparaître que «cette démarche collective motive l’ensemble de l’équipe et l’incite à réfléchir en termes de qualité (des soins)», souligne Monique Fergusson, coordinatrice du programme d’évaluation DEQuaP à la Fédération belge des maisons médicales. En 2016, des maisons de santé regroupant divers professionnels autour de médecins généralistes ont également été créées en France. Dans la foulée a été mis en place le dispositif Asalée (Aide de santé libérale en équipe), «une structure innovante et évolutive qui permet la collaboration entre des médecins généralistes et des infirmières», explique Gaëlle Savigneau, infirmière déléguée à la santé publique Asalée. Ces professionnelles qui sont rétribuées par des fonds publics, assurent «des consultations de prévention, d’information, d’éducation à la santé et d’éducation thérapeutique» et peuvent aussi, sous délégation du médecin, prescrire certains actes (comme des examens biologiques). Cela «contribue à la continuité de la prise en charge des malades chroniques», constate l’infirmière, en précisant que «le patient reste au centre du dispositif».

Au Québec, les efforts de collaboration ont pris la forme de Groupes de médecine familiale (GMF) qui ont vu le jour en 2007. Ce modèle «est fondé sur l’adhésion volontaire des médecins à ces GMF qui se sont ouverts à d’autres professionnels, notamment aux infirmières et aux travailleurs sociaux. Certains groupes se lient par exemple avec au moins un pharmacien», précise Mylaine Breton, professeure au département des sciences de la santé communautaire de l’Université de Sherbrooke. Ces groupes reçoivent un financement public qui est calculé en fonction du nombre de patients inscrits, mais qui est pondéré pour tenir compte des conditions socio-économiques de ces derniers (un patient habitant un quartier défavorisé peut par exemple compter pour deux). En contrepartie, les GMF s’engagent à étendre leurs horaires d’ouverture (68 heures hebdomadaires) et à avoir un «taux d’assiduité» –qui mesure la fidélité des patients au groupe auquel ils sont inscrits– de 80%.

Organisations territoriales

Aussi important soit-il, le cabinet de médecine familiale n’est qu’un des chaînons du système de santé qui repose aussi sur les spécialistes, les hôpitaux et les services de soins à domicile. Afin d’intégrer au mieux ces diverses composantes, certains pays tentent désormais d’organiser les soins au niveau de larges territoires qui regroupent plus de 100’000 habitants.

C’est notamment le cas de la France, où des Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ont été créées. Elles sont composées «de professionnels de santé regroupés sous la forme d’une ou de plusieurs équipes de soins primaires, d’acteurs assurant des soins de premier et de deuxième recours (des spécialistes, ndlr) et d’acteurs médico-sociaux et sociaux», précise Hector Falcoff, médecin généraliste et président du pôle santé Paris 13, couvrant le treizième arrondissement de la capitale.

Dans ce territoire qui compte 187’000 habitants et où de fortes inégalités socio-économiques existent entre les différents quartiers, le pôle santé Paris 13 a permis de mieux coordonner les interventions, jusque-là redondantes, «entre les acteurs de l’hôpital, de l’assurance maladie et de la santé publique». Afin d’améliorer l’accès aux soins, il a suscité la création de maisons de santé à proximité des quartiers les plus défavorisés et mène des programmes de dépistage (du VIH et du diabète notamment) dans les foyers de migrants.

La Belgique, elle, s’est engagée dans une voie territoriale analogue avec son programme Integreo.

Améliorer la coordination en suisse

Dans ce cadre, où se situe la Suisse? Selon l’analyse de l’International Health Policy Survey 2015 du Commonwealth Fund, à laquelle elle participe sous mandat de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), 45% des cabinets de premier recours ne comptent qu’un médecin de famille, et 60% des médecins interrogés disent être en contact plus ou moins régulièrement avec des infirmier-e-s (qui travaillent pour des centres médico-sociaux par exemple) ou des gestionnaires de cas (lire encadré). Pour améliorer la coordination, la Confédération a mis sur pied plusieurs initiatives. Le projet «Soins coordonnés», lancé lors de la conférence Santé2020 en 2015, «a pour objectif de coordonner les traitements et les soins des patients atteints de maladies chroniques ou d’affections multiples», rappelle Monika Diebold. La directrice de l’Observatoire suisse de la santé cite aussi le programme de promotion de l’interdisciplinarité, piloté par l’OFSP, qui vise à «analyser la collaboration interprofessionnelle dans le domaine de la santé et à documenter les modèles de bonnes pratiques», ou encore la «Stratégie Cybersanté Suisse 2.0» (eHealth Suisse), dont les principaux objectifs sont d’introduire et de diffuser le dossier électronique du patient, ainsi que de coordonner la numérisation.

Des projets s’élaborent aussi au niveau cantonal. Sur mandat du Service de la santé publique du canton de Vaud, la PMU et l’IUMF développent ainsi un nouveau modèle de coordination en médecine de famille «qui vise en priorité les patients à complexité moyenne», souligne Nicolas Senn, directeur de l’IUMF et organisateur du symposium. Son objectif est notamment «d’améliorer le suivi des soins en optimisant la prise en charge des patients, de diminuer les hospitalisations et le recours aux services d’urgence, de développer un fonctionnement interprofessionnel au sein du cabinet ainsi qu’un partenariat médecine de famille-santé publique». Il repose sur trois piliers –le dossier électronique du patient, le gestionnaire de cas et le plan de soins. Au centre de celui-ci se trouve l’inscription des patients, qui permet «de savoir que tel patient est suivi par tel médecin».

Divers groupes de travail interprofessionnel s’efforcent maintenant de passer du concept à la pratique. Il ressort de leurs discussions que le modèle élaboré doit être «flexible et non limitatif, afin qu’il puisse être utilisé dans le plus grand nombre possible de cabinets, résume Regula Cardinaux, cheffe de projet à la PMU. Ses prérequis sont simples: chaque cabinet doit disposer d’un ordinateur pour la gestion administrative et d’une connexion internet. Il doit par ailleurs avoir –ou être prêt à créer– une liste de patients». Au cours de la phase pilote, qui devrait démarrer en 2019, ce mode d’emploi sera testé dans une dizaine de cabinets médicaux du canton. «À terme, estime Regula Cardinaux, il aboutira à un changement de fonctionnement du cabinet dans lequel un trinôme –médecin, assistante médicale, infirmière– travaillera avec le patient».

En Suisse comme dans les autres pays francophones, la tendance est donc au changement de pratiques. Comme le souligne Hector Falcoff, «les médecins ne doivent plus rester avec leur salle d’attente comme seul horizon».

Les gestionnaires de cas

Pour améliorer la prise en charge des patients «complexes», la tendance, en Suisse comme ailleurs, est de faire appel à des gestionnaires de cas. Il s’agit le plus souvent d’infirmières qui sont chargées «d’évaluer les besoins, les préférences, les buts et les priorités du patient», explique Catherine Hudon, directrice de recherche au département de médecine de famille et médecine d’urgence de l’Université de Sherbrooke au Québec, où cette approche est expérimentée.

Concrètement, elles «élaborent le suivi d’un plan de services individualisés et assurent l’éducation du patient afin qu’il puisse autogérer sa santé. Elles sont ainsi les premières répondantes du patient». Une évaluation qualitative de ce programme a mis en évidence «une diminution de la détresse psychologique et une amélioration du sentiment de sécurité» chez les patients qui en avaient bénéficié.

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Paru dans Planète Santé magazine N° 31 - Octobre 2018

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