La mort des soins palliatifs?

Dernière mise à jour 20/03/19 | Article
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La période de fin de vie amène réflexions, choix et décisions. Chacun doit pouvoir exprimer ses priorités pour traverser le plus sereinement possible le dernier stade de son existence. Les soins palliatifs ont justement pour rôle d’anticiper, soulager et écouter. Mais cet aspect fondamental des soins ne devrait-il pas être introduit plus tôt dans la prise en charge? La question est ouverte.

Lorsqu’on évoque la mort, nous avons tous (ou presque) le souhait de mourir en bonne santé, dans notre lit. Pourtant, ce n’est pas ce qui attend la plupart d’entre nous. Plusieurs études récentes indiquent que nous avons environ 70% de risques de mourir à la suite d’une ou plusieurs maladies chroniques, à l’hôpital. Un déclin progressif qu’il va donc falloir traverser, tout en prenant de nombreuses décisions thérapeutiques.

Les soins palliatifs prennent alors tout leur sens. Anticiper, soulager et écouter sont des éléments indispensables pour habiter pleinement le dernier stade de son existence. «Notre rôle est de prendre en charge les symptômes physiques et psychologiques de nos patients, détaille la Pre Sophie Pautex, responsable du Service de médecine palliative aux Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG). Un temps d’écoute et la communication doivent être au centre du processus de soin.» Une partie importante du travail des médecins en soins palliatifs consiste à anticiper les complications pour limiter au maximum les souffrances, tout en prenant en compte les priorités des patients.

Les soins palliatifs, définition

Selon l’Organisation Mondiale de la Sante (OMS), les soins palliatifs sont une approche destinée à améliorer la qualité de vie des patients (adultes et enfants) et de leur famille, confrontés aux problèmes liés à des maladies potentiellement mortelles. Ils préviennent et soulagent les souffrances grâce à la reconnaissance précoce, l’évaluation correcte et le traitement de la douleur et des autres problèmes, qu’ils soient d’ordre physique, psychosocial ou spirituel.

Le lieu de décès est justement l’une des principales priorités des personnes en fin de vie. Plus de 70 % de la population suisse déclare souhaiter mourir à la maison. Dans la réalité, le même pourcentage décède en institution (hôpital ou EMS). Un problème auquel les acteurs du système de santé essayent de répondre en développant notamment les soins à domicile. «En Suisse, nous distinguons deux types de soins palliatifs, explique le Pr Ralf Jox, directeur de la Chaire de soins palliatifs gériatriques au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). D’une part, les soins spécialisés pour des situations complexes, qui nécessitent l’apport des experts en soins palliatifs. D’autre part, les soins palliatifs généraux, effectués par tout professionnel de la santé, par exemple en EMS ou à domicile.» Cette branche, moins connue, est pourtant essentielle au système. «A l’hôpital, on a parfois de la peine à se rendre compte des priorités des gens, estime la Pre Samia Hurst, médecin et bioéthicienne aux HUG. On leur offre de la réactivité et des bons moyens pour les soulager. Pourtant, ce qu’ils souhaitent avant tout, c’est être dans un endroit familier, entourés de leurs proches.»

La technologie apporte déjà des progrès dans ce sens. En amenant des compétences médicales au domicile du patient, les temps d’hospitalisation sont raccourcis. Le personnel soignant dans les EMS est également de mieux en mieux formé pour accompagner les patients en fin de vie. Mais l’organisation générale des soins palliatifs reste en majorité cristallisée autour des hôpitaux. «Au Québec, la plupart de ces soins sont pris en charge par les centres de services communautaires de santé, explique le Pr Nago Humbert, fondateur de l’Unité de soins palliatifs pédiatriques au CHU Sainte Justine et professeur à l’université de Montréal. Ces organismes sont notamment chargés d’assurer le maintien à domicile. Et, dans presque chacun d’eux, on trouve une équipe médicale spécialement formée en soins palliatifs. Mais actuellement, le système est en danger à cause de la politique des gouvernements successifs qui ont cassé la première ligne de soins, comme les généralistes ou les pédiatres qui consultent en cabinet, pour tout rediriger aux urgences. Or c’est n’est pas le meilleur endroit pour prodiguer des soins emplis d’humanité.»

Inégalités d’accès

Si le système suisse de soins palliatifs est construit sur un solide réseau, les spécialistes admettent qu’une réorganisation est nécessaire. «Nous travaillons encore trop en silos, analyse la Pre Pautex. Il y a un vrai travail à faire pour améliorer la coordination entre chaque service et institution de soins.» Dans bien des cas, les soins palliatifs sont requis trop tard par rapport à l’évolution de la maladie. Ils gagneraient pourtant à être mis en place juste après le diagnostic. Une pratique qui reste pour l’heure encore trop souvent réservée aux personnes atteintes de cancer. «Aux HUG, 70 à 80% des patients admis en soins palliatifs spécialisés ont un problème oncologique, relève la Pre Pautex. Ce ne sont pas des bons chiffres.» Plusieurs voix s’élèvent en effet pour dénoncer une inégalité d’accès à ces soins. «Le cancer, ce n’est qu’une petite partie des pathologies pour lesquelles nous pouvons intervenir, ajoute le Pr Jox. Nous devrions augmenter la prise en charge de patients avec d’autres vulnérabilités, comme par exemple les personnes âgées avec une démence.» Mais les familles et les patients eux-mêmes ne sont souvent pas assez bien informés. Sans connaître les options qui existent, difficile de faire des choix.

Le tabou de la mort

Mais tout choix demande d’abord une discussion. Or, le tabou de la mort reste fortement ancré dans notre société. C’est en tout cas l’avis du Pr Daniel Scheidegger, président de l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM): «A l’époque, lorsqu’une personne âgée mourait, on la laissait quelques jours dans la maison pour que sa famille puisse lui rendre une dernière visite. Tout le monde avait déjà vu un corps mort. Mais aujourd’hui, tout cela est caché».

Le tabou touche également les médecins. L’organisation actuelle du système de santé a parfois tendance à déconnecter certains spécialistes de la notion de mort. «Je connais certains médecins qui n’ont jamais assisté à tout le processus de décès d’un patient», ajoute le Pr Scheidegger. Une construction sociale qui explique peut-être que les soins palliatifs n’aient pas encore la place qu’ils méritent dans notre système de soins. La Pre Hurst encourage donc les praticiens à oser ouvrir la discussion. «La plupart des patients en fin de vie ont beaucoup réfléchi à la question et sont volontaires pour en parler. Mais parfois, personne n’ose aborder le sujet en premier. C’est ce qu’on appelle la complicité du silence.» Mettre en place des lieux et des moyens pour en discuter sereinement serait un début de solution, mais semble pour le moment avoir de la peine à se concrétiser. «Pour beaucoup de médecins, la mort est perçue comme une grande défaite, analyse le Pr Scheidegger. Par conséquent, il leur semble plus facile d’ajouter un autre traitement plutôt que de se mettre autour d’une table pour en parler concrètement.»

Quand s’arrêter

Une tendance qui risque parfois de conduire à l’acharnement thérapeutique. Mais toute la difficulté est précisément de repérer à quel moment nous sommes peut-être en train de trop en faire. «On parle d’acharnement thérapeutique lorsque la médecine commence à faire plus de mal que de bien, définit la Pre Hurst. Plus le médecin connaît son patient, mieux il pourra adapter cette évaluation à ses priorités.» Malgré cela, les patients meurent souvent à l’hôpital, entourés de personnel soignant qu’ils connaissent mal.

Les spécialistes en soins palliatifs tiennent tout de même à signaler que dans leur discipline, c’est un phénomène qui reste rare. «L’acharnement thérapeutique est une notion difficile à définir, car chacun a sa propre vision, appuie la Pre Pautex. Mais je ne crois pas que nous en fassions trop. D’après mon expérience personnelle, c’est nettement plus fréquent que les proches ou le patient lui-même nous en demandent beaucoup.»

La question des coûts

Avouons que l’acharnement thérapeutique est aussi l’ennemi du financier. Ce n’est pas un secret: prescrire une chimiothérapie très chère à un patient qui ne le souhaite pas vraiment, ne contribue pas à réduire les coûts. Le système de santé en général a donc tout intérêt à assurer des soins palliatifs de qualité et soutenir la communication avec le patient. «Il a clairement été démontré que si nous respectons la volonté du patient et prévoyons un projet de soins anticipé, nous pouvons épargner des efforts et des coûts inutiles», souligne le Pr Jox. Introduire des soins palliatifs contribue donc à réduire les coûts, pour autant qu’ils soient appliqués de manière générale à tout le système et pas uniquement dans les services hospitaliers qui leur sont dédiés.

Il faut dire que la dernière année de vie d’une personne est celle qui coûte le plus cher en termes de soins. En 2017, une étude du Fonds national suisse (FNS) montrait que les coûts moyens d’assurance-maladie d’une personne dans sa dernière année de vie dépassent la barre des 30'000 francs. Les coûts habituels, qui varient en fonction de l’âge, se situent environ entre 3 500 et 6 700 francs par an. Pour la Pre Hurst, ces coûts plus élevés marquent les esprits justement car ils ne concernent pas la moyenne des gens. «Les coûts de la dernière année de vie sont plus élevés si on décède plus jeune, mais ce sont les coûts liés aux personnes âgées que les personnes retiennent. C’est comme si nous devenions plus sensibles dès que la population concernée s’écarte du "citoyen lambda". Avec nos impôts, nous finançons sans cesse des services publics pour tous, comme les routes, les écoles, etc. Mais nous oublions que ces services-là aussi sont chers, simplement parce que tout le monde les utilise.»

Directives anticipées

Beaucoup s’accordent à dire que le système mériterait d’être repensé, dans l’objectif d’être à la fois plus humain et plus efficace. Et lorsqu’on parle de solutions, les directives anticipées reviennent immanquablement sur la table. Il s’agit d’un document à remplir à l’avance pour fixer les mesures médicales que l’on approuve et celles que l’on refuse. Leur objectif est entre autres de permettre aux médecins de prendre plus facilement certaines décisions compliquées et de décharger les proches de lourdes responsabilités. Certains aspects pourraient toutefois être améliorés. «Plus de 50% de la population suisse ne connaît même pas l’existence de ces directives anticipées, relève le Pr Jox. Il y a donc déjà un gros effort d’information à faire à ce sujet.» La Pre Hurst constate quant à elle que ces directives sont souvent mal utilisées. «On a le droit de les remplir seul, mais je recommande vivement de le faire avec son médecin traitant. Il pourra vous conseiller et les "traduire" dans un langage qui correspond à la culture du monde médical. Vous mettez ainsi toutes les chances de votre côté pour que vos priorités soient bien comprises.»

Personnaliser et informer

Certains vont même plus loin en parlant d’advance care planning (projet de soins anticipé). Un concept qui s’appuie sur l’importance d’anticiper les traitements et soins à très long terme, en fonction des valeurs du patient. Contrairement à l’approche traditionnelle des directives anticipées, qui sont une démarche personnelle que l’on peut proposer aux patients, l’advance care planning devrait faire partie intégrante de chaque prise en charge. Cette réflexion va dans le sens de la médecine personnalisée, qui doit permettre d’ajuster le traitement en fonction des particularités individuelles de chaque patient.

Pour la plupart des spécialistes, la solution passe en tous les cas par l’humain. Et sur ce plan, pourquoi ne pas s’inspirer de l’esprit communautaire de nos voisins? «En Allemagne, le bénévolat fait partie de la culture du pays, témoigne le Pr Jox. Une grande partie de la population, quel que soit son métier, prend sur son temps libre pour accompagner des personnes en fin de vie.» Cette tradition a également pour avantage de rendre la population attentive à ce qu’engendre une telle situation. Un cercle vertueux, puisque plus les personnes sont informées, plus elles réfléchissent à leurs propres priorités. «Il faut vraiment que le grand public sache mieux ce que l’on fait, pour avoir moins peur de la fin de vie, ajoute le Pr Jox. L’information ne doit pas uniquement être transmise via le domaine médical. C’est une question de société, qui devrait être abordée de manière beaucoup plus large, par exemple à l’école ou dans les communes.»

Tout à réinventer

L’avenir des soins palliatifs semble donc s’inscrire en grande partie dans les soins communautaires et à domicile. «Dans quelques années, je ne suis pas certaine qu’il y ait encore beaucoup de soins palliatifs à l’hôpital, estime la Pre Pautex. Le travail du médecin devrait évoluer vers un rôle de coordinateur entre les différents membres du personnel soignant.» Le modèle actuel avec les patients au centre et des professionnels tout autour devrait donc être amené à évoluer. Un fonctionnement en partenariat, qui intègre aussi les proches, permettrait au patient de co-organiser son traitement. «Le patient sera en quelque sorte un chef d’orchestre», sourit Sophie Pautex.

Quand il s’agit de se tourner vers le futur, d’autres ont des visions plus radicales. «Je vais être un peu provocateur en disant cela, mais je crois que la notion même de soins palliatifs devrait disparaître, avance le Pr Humbert. Améliorer la qualité de vie des patients, prendre en charge leurs symptômes physiques et moraux, c’est quelque chose que nous devons faire avec chaque patient et pas uniquement dans une unité réservée aux soins palliatifs.» Un avis partagé par le Pr Scheidegger: «J’ai presque été déçu lorsque les soins palliatifs ont été introduits comme une discipline en tant que telle. Cela devrait simplement faire partie du travail de tous les médecins, dans tous les services».

La sonnette d’alarme est en tout cas désormais tirée. Il est urgent que la mort ne soit plus un tabou, aussi bien à l’hôpital qu'à la maison.

Le suicide assisté continue de faire débat

Le 25 octobre 2018, la Fédération des Médecins (FMH) a refusé les nouvelles directives sur la fin de vie soumises par l’académie suisse des sciences médicales (ASSM).

L’objectif de ce texte était d’adapter une série de directives à l’évolution de la société. Or, un aspect précis du nouveau document a retenu l’attention des médecins: la question du suicide assisté. Jusqu’ici, l’ASSM ne l’admettait que dans les cas où «la maladie dont souffre le patient permet de considérer que la fin de vie est proche». Selon ces nouvelles directives, l’aide au suicide devait être élargie aux personnes dont la maladie cause des «souffrances intolérables». C’est cette modification précise qui a entraîné le refus de la FMH.

A noter que ces directives ne sont pas des lois, mais plutôt une déontologie que chaque médecin est encouragé à suivre. Chacun conserve la possibilité de refuser d’accompagner un patient sur ce chemin. Pour de nombreux médecins cependant, cette modification était trop extrême, d’autant que les associations d’aide au suicide sont déjà habilitées à intervenir dans ce genre de situations. Le Pr Ralf Jox, directeur des soins palliatifs au CHUV, comprend les arguments des deux camps et admet que la question du suicide assisté est particulièrement délicate. Il regrette cependant que ces tensions aient entraîné le refus de la totalité des nouvelles directives. «Globalement, ce texte était très important pour répondre à l’évolution des besoins actuels des patients. C’est vraiment dommage que la FMH n’ait pas accepté au moins 90% des directives, en rejetant seulement celles à propos du suicide.»

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Paru dans Planète Santé magazine N° 33 - Mars 2019

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