Soins palliatifs: pas seulement pour la fin de vie

Dernière mise à jour 11/04/24 | Article
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Cette branche de la médecine fait peur car elle évoque la mort. Pourtant, un grand nombre de personnes peuvent tirer profit d’une mise en place précoce d’un tel accompagnement.

Dépasser le contexte de la maladie

Yves Philippin est psychologue au Service de médecine palliative des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Il se rend au chevet des patients hospitalisés à la Clinique Joli-Mont et à l’hôpital Bellerive. Il explique: «Mon approche est très différente de celle des psychologues installés en cabinet. Dans leur cas, les personnes viennent exprès pour une séance. À l’hôpital, ce sont souvent les soignants qui constatent une détresse psychologique chez des patients. Certains n’ont pas envie de parler, je ne m’impose pas. Je ne souhaite pas être une contrainte de plus.» Le spécialiste est également là pour apporter son soutien à la famille, seule ou en compagnie du proche malade. «J’essaie d’offrir un espace de parole où tout le monde peut exprimer ses doutes, ses états d’âme et ses émotions. Je tente surtout de dépasser le contexte de la maladie, de mieux connaître la personne. La pathologie rompt une certaine continuité dans la vie du patient, je l’aide à renouer avec lui-même et à se focaliser sur le moment présent.» Un moyen efficace pour ne pas se laisser dépasser par les angoisses inéluctables d’un futur très incertain.

Pour beaucoup de gens, les soins palliatifs renvoient l’image d’une personne sur son lit de mort dont les soignants tentent de soulager les toutes dernières souffrances avant l’inéluctable trépas. Étymologiquement, l’adjectif palliatif provient du latin pallium, qui signifie couvrir d’un manteau, donc protéger, réconforter. «Ce terme donne l’impression que l’on désigne quelque chose qui ne sert à rien. Il entraîne beaucoup de malentendus car les gens pensent que de tels soins sont réservés aux mourants. C’est faux. Les soins palliatifs sont destinés aux personnes qui souffrent d’une maladie incurable, ce qui ne veut pas dire que leur mort est imminente», explique la Pre Claudia Gamondi, cheffe du Service de soins palliatifs et de support du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).

Mais de quoi s’agit-il précisément? Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les soins palliatifs visent à améliorer la qualité de vie des patients –et de leur famille– confrontés aux problèmes associés à des maladies potentiellement mortelles, qu’ils soient d’ordre physique, psychosocial ou spirituel. Avec le vieillissement de la population et l’augmentation des maladies chroniques, ils s’adressent à de plus en plus de gens. Toujours selon l’OMS: 40millions de personnes seraient concernées. Les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), par exemple, mènent «depuis cinq ans une politique de santé intégrative. Elle implique notamment une prise en charge précoce et holistique des patients souffrant d’une maladie incurable, que ce soit dans les services de cardiologie, neurologie, gériatrie, entre autres», explique la Pre Sophie Pautex, cheffe du Service de médecine palliative des HUG.

Le CHUV table également sur une meilleure identification des patients nécessitant des soins palliatifs et cela le plus tôt possible. «Ce type de soins concerne tous les professionnels de la santé. Évidemment, la gériatrie et l’oncologie sont davantage concernées que d’autres spécialités, mais il est important d’agir dans tous les domaines avant que les symptômes n’empirent», précise la Pre Gamondi.

Aussi en dehors de l’hôpital

Tout comme il est important de planifier des soins palliatifs en dehors de l’hôpital. Les médecins de ville sont en première ligne, mais aussi les soignants des CMS ou des EMS. «Ils peuvent déjà dispenser des soins palliatifs généraux pour apaiser la douleur, mais aussi pour apporter écoute et réconfort aux malades et à leurs proches», poursuit la Pre Gamondi. La Pre Pautex partage cet avis: «Il est primordial de les intégrer hors de l’hôpital pour que tous les patients aient le même accès et bénéficient de la même qualité de soins.» Cela permet également d’éviter un grand nombre d’hospitalisations.

Si certains soins de fin de vie très techniques nécessitent un appareillage compliqué difficile à proposer à la maison, d’autres approches palliatives générales peuvent être dispensées à domicile ou en EMS. Des équipes mobiles sont d’ailleurs sollicitées pour se rendre au chevet des malades, que ce soit chez eux ou en résidence, et prodiguer un soutien général.

La Dre Eve Rubli Truchard, médecin au Service de gériatrie et à la chaire de soins palliatifs gériatriques du CHUV, donne un exemple concret: «Une personne qui souffre d’insuffisance cardiaque consécutive à des infarctus va présenter différents symptômes physiques et psychologiques. Son état n’est pas guérissable, elle va avoir besoin de soins palliatifs. Il est alors très important de discuter avec elle de la suite de sa prise en charge. Les professionnels formés en soins palliatifs sont également là pour expliquer les traitements possibles, anticiper ses souhaits et discuter avec elle et ses proches. Ces soignants ne prennent pas uniquement en compte la douleur, mais aussi tous les autres aspects physiques, psychologiques et spirituels.» L’essentiel est de garantir la meilleure qualité de vie possible à tous les malades incurables. «On pourrait penser que les soins palliatifs sont un échec de la médecine qui n’a pas réussi à guérir. Si on regarde cela en fonction de la mort inéluctable, c’est juste mais aussi absurde, car on est tous mortels. Cependant, améliorer la qualité de vie de la personne, lui permettre de maintenir une vie sociale agréable, alléger les symptômes, ralentir la progression de la maladie sont autant de succès liés à la mise en place des soins palliatifs», explique le Pr Ralf Jox, directeur de l’Institut des humanités en médecine de l’Université de Lausanne (UNIL).

Les experts s’accordent à dire que les besoins en soignants spécifiquement formés vont augmenter et que des formations post-graduées seront indispensables pour répondre à la demande.

Faciliter les décisions concernant la fin de vie

La région lausannoise a testé un processus de discussion entre professionnels et patients afin de mieux les accompagner dans leurs décisions en cas d’urgence vitale ou de fin de vie.

Rédiger des directives anticipées pour s’assurer que, le moment venu, l’on ne subira pas des soins lourds non souhaités pour rester en vie est une bonne idée. Dans la pratique cependant, les choses ne se passent pas toujours comme prévu. Soit les directives ne sont pas suffisamment claires et précises pour que les équipes soignantes puissent les mettre en pratique, soit elles ne sont même pas portées à la connaissance de ces dernières et de l’entourage de la personne incapable de décider pour elle-même. À cela s’ajoute un manque de connaissance des soins possibles et de leurs conséquences, ainsi que la difficulté à se projeter dans une situation de dépendance ou d’urgence vitale.

«Pour éviter cela, il est important que quiconque souhaite rédiger des directives anticipées soit accompagné par un professionnel dûment formé. Ces trois dernières années, près de cent facilitateurs et facilitatrices ont suivi la formation mise sur pied par la chaire de soins palliatifs gériatriques du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Celle-ci s’adresse uniquement à des personnes qui travaillent déjà dans le monde de la santé ou du social», explique Daniela Ritzenthaler, pédagogue spécialisée et éthicienne clinique auprès de cette chaire.

La formation du personnel, puis la mise en pratique de ce rôle de facilitateur auprès des institutions qui prennent en charge les malades, s’inscrit dans le cadre du Projet de soins anticipé (ProSA)* du Réseau santé région Lausanne (RSRL) débuté en 2018 et en phase d’implémentation depuis 2020. «L’objectif du ProSA est que son accès soit facilité aux personnes qui en ont le plus besoin dans le canton de Vaud, notamment toutes celles suivies par des services de soins palliatifs, d’oncologique gériatrique ou en long séjour. À l’heure actuelle, il ne concerne que quelques structures de soin volontaires, comme des EMS, des services hospitaliers, des réseaux de soins ou encore quelques CMS. Les facilitateurs et facilitatrices employées par ces institutions se mettent au service d’une patientèle fragile pour leur proposer d’aborder ensemble les questions qui touchent aux soins à venir en cas d’incapacité de discernement», explique Lila Devaux, cheffe de projet au RSRL.

Concrètement, un premier entretien est mené avec le patient. Il aborde des questions d’ordre général sur ses valeurs et sa façon de percevoir les derniers moments de sa vie. «Lors de cette première rencontre, le représentant thérapeutique de la personne est déjà impliqué. Ainsi, les informations sont les mêmes pour tout le monde», poursuit Daniela Ritzenthaler. Le deuxième entretien vise à traduire en objectifs thérapeutiques les souhaits formulés. Mener de telles discussions nécessite des compétences relationnelles et de communication, mais aussi médicotechniques, afin de bien expliquer ce que chaque décision implique au niveau de la prise en charge le moment venu. «Les équipes soignantes ne sont pas toujours à l’aise pour aborder la mort avec leurs patients. Elles ressentent un véritable besoin d’améliorer leurs compétences, d’avoir les bons outils, ce qu’apporte justement la formation qui leur est destinée. Il est primordial de ne pas attendre qu’il soit trop tard pour proposer le ProSA aux malades», conclut Lila Devaux.

* www.projetdesoinsanticipe.ch

Soutenir les équipes de soins palliatifs

Confrontés sans cesse à la mort et à la souffrance, ces professionnels ont particulièrement besoin d’aide et de réconfort pour ne pas s’épuiser. Une étude pilote vaudoise s’intéresse à leur santé mentale.

Les équipes de soins palliatifs sont particulièrement exposées à la souffrance de leurs patients. La plupart des institutions proposent déjà à ces soignants un soutien psychologique et des supervisions par des psychologues ou des psychiatres, mais malheureusement cela ne suffit pas toujours. «Dans le cadre de mon travail de master, j’ai demandé à un panel de professionnels confrontés à la souffrance et à la mort de répondre à plusieurs questionnaires évaluant leur santé mentale. Ceux qui vont le mieux mettent en avant l’importance du soutien dont ils jouissent auprès des collègues ou des proches. Cette catégorie était principalement composée de soignants qui œuvrent en deuxième ligne, comme consultants. Parmi les personnes qui vont le moins bien, il y a davantage de personnel qui travaille au chevet des patients et est ainsi confronté tous les jours, pendant plusieurs heures, à leur souffrance», explique Anne-Catherine Delafontaine, psychologue travaillant à l’Ensemble hospitalier de la Côte (EHC) et chargée de recherche à la chaire de psychologie palliative au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).

La troisième catégorie de participants sont plus neutres sur le plan de leur santé mentale mais aussi plus désengagés professionnellement. «Un des éléments majeurs ressortant de cette recherche est l'importance du sens au travail: il protège contre la détresse psychologique et améliore aussi le bien-être. C’est la raison pour laquelle le projet pilote qui est développé actuellement se base sur ce concept. Il débutera au printemps2024 dans le Service de gériatrie et réadaptation gériatrique du CHUV, notamment», explique Mathieu Bernard, directeur de la Chaire de psychologie palliative de l’hôpital vaudois. Concrètement, les soignants qui le souhaitent participeront à une journée de discussion et de réflexion. «Nous voulons partir de quelque chose de très concret: quelles sont vos valeurs personnelles? Sont-elles en adéquation avec celles de votre travail? Si ce n’est pas le cas, comment y remédier? Environ 20 à 30% du personnel en soins palliatifs présente des difficultés émotionnelles. Leur souffrance ne doit pas être niée car cette confrontation constante à la mort est très difficile», poursuit Mathieu Bernard.

L’étude menée par Anne-Catherine Delafontaine a toutefois mis en évidence l'aspect positif des moments de partage informels. «Discuter dans les couloirs entre collègues, aller prendre un café ensemble sont des instants très appréciés des équipes soignantes. Ils font office de soupape très efficace.»

Bien qu’il soit difficile de côtoyer la mort tous les jours lorsque l’on travaille avec certains patients condamnés, certains professionnels parviennent à en tirer du positif. «En effet, ils réussissent à mieux apprécier les bonheurs simples de la vie et réalisent parfois à quel point être en bonne santé est précieux», explique la psychologue. Et Mathieu Bernard de conclure: «La confrontation à la mort peut aussi permettre d’être davantage dans le moment présent et changer la perception que l’on a de la vie.»

Le monde du handicap de plus en plus confronté aux soins palliatifs

Les équipes soignantes et celles éducatives doivent renforcer leur collaboration afin que les personnes concernées puissent rester en foyer.

Quelle que soit la maladie dont souffre une personne, les soins palliatifs doivent lui apporter un soulagement global, tant sur le plan physique que psychique ou encore spirituel. Certains malades sont toutefois plus fragiles que d’autres lorsque leur état nécessite une approche palliative. C’est le cas des personnes en situation de handicap. «Comme tout un chacun, elles ont le droit d’avoir un accompagnement en fin de vie qui respecte leurs droits, leur dignité inaliénable et leurs valeurs. Elles nécessitent toutefois une attention particulière car leur handicap les rend encore plus vulnérables», explique Stéphanie Perruchoud, philosophe du soin, du handicap et du vieillissement au Centre interdisciplinaire de recherche en éthique de l’Université de Lausanne. Jocelyne Métrailler, infirmière dans l’équipe mobile de soins palliatifs du Centre hospitalier du Valais romand (HVS), constate: «Les soins palliatifs dispensés aux personnes en situation de handicap vont à contre-courant d’une société basée sur la performance. Travailler en équipe est indispensable pour proposer un accompagnement avec une juste présence et des soins adaptés à leurs besoins.»

Des équipes socio-éducatives mobilisées

Laetitia Probst-Barroso, éducatrice spécialisée et responsable de missions chez palliative vaud, explique: «Ce qui diffère fondamentalement entre la prise en charge palliative des personnes en situation de handicap et de celles qui ne le sont pas, ce sont les professionnels qui s’en occupent. Dans le premier cas, il s’agit d’équipes soignantes, dans le second, d’équipes socio-éducatives, principalement. En tant qu’éducatrice, je n’étais pas formée aux soins… C’est une des raisons qui m’a poussée à former mes paires dans ce domaine, afin que l’approche palliative puisse se faire en foyer, en évitant ainsi des hospitalisations inutiles et délétères pour le résident. Les éducateurs accompagnent les personnes sur de longues périodes. Ils tissent un lien fort avec elles et ils ont à cœur qu’elles puissent vivre leurs dernières heures dans les meilleures conditions. Il faut donc les former pour que cela devienne possible.»

Jocelyne Métrailler précise: «Avec le vieillissement des personnes accueillies en institutions spécialisées, la demande en soins devient plus importante. Il faut donc renforcer les liens entre le pôle soignant et celui éducatif.» Pour y parvenir, un tronc commun de formation est en cours d’élaboration. Il ne faut pas oublier que les deux domaines ont une approche totalement différente. Les éducateurs sont formés pour stimuler la personne et maintenir ses acquis en mettant en place des projets socio-éducatifs. Les soignants se concentrent davantage sur la souffrance et la façon de l’atténuer. «Lorsque les aspects médicaux prennent beaucoup de place dans la vie d’une personne en situation de handicap, il est très important que les éducateurs continuent à mettre en place des projets», poursuit Laetitia Probst.

Les trois expertes mettent en avant l’importance d'une bonne collaboration et communication entre la famille, la personne malade, les équipes soignantes et celles socio-éducatives. «Plus la vulnérabilité du patient est importante, plus la responsabilité de l’entourage est grande», conclut Stéphanie Perruchoud.

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Paru dans Planète Santé magazine N° 52 – Mars 2024

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