Un espoir pour celles et ceux qui attendent une greffe du foie

Dernière mise à jour 24/10/22 | Article
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Une machine, conçue à Zurich, permet de conserver quelques jours des foies et même de réparer ceux qui sont endommagés, donc impropres à la transplantation. Un premier patient en a bénéficié.

En Suisse comme dans le reste du monde industrialisé, on manque cruellement d’organes disponibles pour la transplantation. Le constat est notamment valable pour le foie. «Entre 150 et 180 greffes sont pratiquées chaque année, alors qu’il y a entre 350 et 400 personnes sur la liste d’attente. Parmi elles, 10% décèdent faute d’avoir été transplantées», précise Franz Immer, directeur de Swisstransplant.

Pas de risque de rejet

L’organisme rejetant les corps étrangers, toute transplantation d’un organe provenant d’un donneur ou une donneuse s’accompagne d’un risque de rejet du greffon. Les personnes ayant reçu une greffe doivent donc prendre, à vie, des médicaments antirejet (immunosuppresseurs). Pour éviter cette contrainte, il faudrait pouvoir faire des autogreffes. C’est-à-dire réimplanter à une personne son propre organe, «par exemple après avoir enlevé les tumeurs et l’avoir reconditionné dans la machine. Cela supprimerait le besoin d’immunosuppression», précise le Pr Pierre-Alain Clavien, chirurgien à l’Hôpital universitaire de Zurich. 

Le foie ayant la particularité de se régénérer rapidement, «l’idée serait de prélever un ou deux segments du foie de la personne malade (qui pourrait vivre quelque temps avec le morceau d’organe qui lui reste) et de les mettre dans la machine pour les réparer», explique le chirurgien. Il ne resterait plus ensuite qu’à les transplanter au patient ou à la patiente, après lui avoir ôté l’organe natif. Toutefois, souligne le Pr Clavien, «il y a encore de nombreuses étapes à franchir» avant d’atteindre cet idéal.

L’un des principaux problèmes vient du fait que, comme de nombreux organes, le foie se dégrade rapidement quand il est hors de l’organisme. Privé d’oxygène et de nutriments, il commence à se détériorer au bout de 12 heures et devient alors inutilisable. Cet écueil a été surmonté grâce à la machine conçue par l’équipe du Pr Pierre-Alain Clavien, directeur de la Clinique de chirurgie et de transplantation de l’Hôpital universitaire de Zurich, et des ingénieurs de l’École polytechnique fédérale de Zurich, avec le soutien financier de la Fondation Wyss. 

Mimer le fonctionnement de l’organisme

«Le concept est très simple, explique le Pr Clavien. Il s’agit de faire croire au foie qu’il est toujours dans l’organisme.» La réalisation a été plus complexe et a demandé cinq ans de travail aux médecins et ingénieurs zurichois qui se sont efforcés de mimer le fonctionnement du corps. L’organe, perfusé par du sang, est relié à une pompe qui simule les fonctions du cœur, à un oxygénateur qui remplace les poumons et à une unité de dialyse qui supplante les reins. Il reçoit aussi des perfusions d’hormones et de nutriments habituellement issus de l’intestin et du pancréas. En outre, il est régulièrement mis en mouvement par un système renfermant un ballon faisant office de diaphragme, ce qui lui évite d’être comprimé contre le fond de la machine et de se nécroser. Traité de cette manière, il peut être conservé jusqu’à dix jours. Pour la transplantation, c’est une «révolution», selon Franz Immer. 

Réparer les organes endommagés

Pendant ce laps de temps, l’organe peut aussi être réparé. C’est important lorsqu’on sait qu’en Suisse, «environ 30% des foies disponibles sont rejetés par les centres de transplantation, car ils sont endommagés», constate Franz Immer. 

La Fondation qu’il dirige, précise le Pr Clavien, «nous a beaucoup aidés en mettant à notre disposition, avec l’accord des familles des défunts et défuntes, vingt-cinq foies inutilisables pour tester notre machine». Certains d’entre eux renfermaient une tumeur, d’autres étaient infectés. «Le foie étant seul dans la machine, on peut y injecter de grandes quantités de médicaments, notamment des antibiotiques, sans craindre de détériorer d’autres organes.» 

Reste que de nombreux foies disponibles ont un excès de graisse, «ce qui est la principale cause du refus de les transplanter», précise le directeur de Swisstransplant. Pour l’instant, ce problème n’est pas résolu, mais les équipes zurichoises y travaillent. Avec pour objectif de «transformer un foie inutilisable en un organe transplantable», souligne le Pr Clavien. 

Un premier patient greffé

Déjà, son équipe a expérimenté la technique sur un patient à titre compassionnel*. Une première mondiale. Le foie de la donneuse renfermait au départ une tumeur – qui, après analyse, s’est avérée bénigne – et il avait une infection qui a pu être traitée dans la machine. La transplantation a été pratiquée en mai 2021 et, plus d’un an plus tard, Thomas, le patient, «se sent très bien» (lire son témoignage en encadré). 

Forte de ce premier succès, l’équipe de l’hôpital zurichois va poursuivre son étude, en collaboration avec les Hôpitaux universitaires de Genève et peut-être d’autres en Suisse. Elle compte transplanter «des foies marginaux (c’est-à-dire qui ne sont pas rejetés, mais sont à la limite de ce qui est acceptable) à une vingtaine de patients inscrits sur la liste d’attente», précise le Pr Clavien. Par ailleurs, une start-up sera lancée prochainement pour commercialiser la machine. 

Si celle-ci tient ses promesses, «la transplantation – qui requiert des équipes hautement qualifiées, disponibles jour et nuit – pourrait devenir une chirurgie élective, donc non urgente, ce qui en réduirait les coûts», précise le Pr Clavien. Mais le principal objectif du projet est d’augmenter le nombre de foies – et sans doute d’autres organes – aptes à la transplantation. Donc de sauver des vies.

«Cette greffe m’a sauvé la vie»

«J’avais un cancer du foie qui, pendant plusieurs années, était bien contrôlé, témoigne Thomas, 64 ans. À partir de 2018, ma tumeur s’est mise à progresser. Les traitements n’ayant pas marché, les médecins m’ont proposé une greffe. J’ai dû répondre à un certain nombre de critères avant de pouvoir être inscrit sur la liste d’attente (des patients en attente d’un greffon, ndlr): me faire soigner les dents, ne pas boire d’alcool, etc. Mais, une fois que j’ai été accepté sur la liste, on m’a annoncé que l’attente pourrait durer jusqu’à un an. 

C’est alors que des professeurs de l’Hôpital universitaire de Zurich m’ont parlé de la possibilité de recevoir un nouveau foie. Ils m’ont bien expliqué qu’ils avaient un foie disponible qui n’était pas parfait à 100%, mais qu’ils l’avaient réparé dans une machine. Ils ont aussi souligné les risques que je prenais en restant sur la liste d’attente. Ils ont été très convaincants et j’ai accepté sans hésiter de participer à leur programme expérimental. 

J’ai été transplanté le 22 mai 2021 et je suis resté une quinzaine de jours à l’hôpital. Depuis, je prends bien sûr des immunosuppresseurs et quelques autres médicaments, mais pas grand-chose. 

Aujourd’hui, ça va tip top. Je me sens très bien. Je suis très content de pouvoir à nouveau mener une vie normale. Je fais du vélo, je travaille à 50%. Je suis heureux d’avoir été choisi pour cette greffe qui m’a sauvé la vie.»

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* Traitement réservé à une personne atteinte d’une affection grave pour laquelle aucun autre traitement n’est disponible.

Paru dans Le Matin Dimanche le 02/10/2022

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