La fibromyalgie est un mal qui n’a rien d’imaginaire

Dernière mise à jour 08/10/17 | Article
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Ce syndrome reste mal connu, mais les douleurs et la fatigue qu’il provoque sont bien réelles et perturbent la vie quotidienne. Certains patients ont l’impression de souffrir «d’une grippe qui n’en finit pas».

De quoi on parle

Début septembre, Lady Gaga annonçait qu’elle faisait une pause dans sa carrière à cause de douleurs et d’une dépression chronique. Dans le documentaire de Netflix «Gaga: Five Foot Two», la chanteuse a révélé le nom du mal qui la ronge: la fibromyalgie. Elle a voulu parler de sa «souffrance» en espérant «que les gens atteints des mêmes maux et qui verront le film sauront qu’ils ne sont pas seuls».

Des douleurs autour des articulations, une fatigue qui peut aller jusqu’à l’épuisement et un sommeil perturbé. Ce sont les principaux symptômes de la fibromyalgie. Ce syndrome mal connu et parfois controversé n’engage pas le pronostic vital, mais il est très pénible à supporter et peut perturber les activités professionnelles et quotidiennes au point de devenir handicapant.

La fibromyalgie tire son nom à la fois du latin fibra, qui signifie fibres, et du grec myos et algos –muscle et douleur. Elle touche en effet «les tissus mous –les muscles et les tendons–, donc l’environnement des articulations», explique Iohn Michael Norberg, médecin-cadre du service de médecine physique et rééducation du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et médecin-chef au Centre médical de Lavey-les-Bains.

Il s’agit d’un syndrome, comme on nomme les maladies caractérisées par un ensemble de symptômes. Parmi ceux-ci, il y a surtout des douleurs diffuses pouvant migrer d’une partie du corps à l’autre, accompagnées d’une grande fatigue. «Les patients nous disent qu’ils ont l’impression d’avoir une grippe qui n’en finit pas», remarque le médecin du CHUV. Pour parler de fibromyalgie, il faut en effet que ces manifestations durent plus de trois mois.

Signe qu’un certain flou règne encore autour de cette entité, sa définition a changé en 2010. Avant, elle était caractérisée par des douleurs dans dix-huit points. On parle désormais de zones douloureuses: coudes, épaules, nuque, hanches, etc. (voir infographie). De plus, maintenant «on prend en compte non seulement la douleur, mais aussi les autres manifestations cliniques –la fatigue, les troubles du sommeil et bien d’autres problèmes annexes– et on évalue la sévérité des symptômes».

Infog_Fibromyalgie

Les femmes sont les plus touchées

Cela n’empêche pas les controverses, certains médecins considérant qu’il s’agit d’une maladie imaginaire. «Il faut croire le patient et écouter ses plaintes, souligne Iohn Michael Norberg. Ce n’est pas parce que l’on ne trouve pas de lésion et que ses radiographies sont normales que le patient ne souffre pas.» D’autant que ce syndrome peut cacher différentes pathologies, notamment des troubles de la thyroïde, un diabète ou une polyarthrite rhumatismale. Il a d’ailleurs été reconnu comme une maladie rhumatismale par l’OMS en 1992 (mais en Suisse, elle n’est pas prise en compte par l’assurance invalidité).

Cette affection concerne 2 à 4% de la population, essentiellement les femmes (qui constituent 80 à 90% des cas). L’une des explications de cette inégalité se trouve dans le cerveau. Chez les personnes atteintes de fibromyalgie, l’imagerie cérébrale (IRM fonctionnelle) a en effet révélé l’existence «d’un dysfonctionnement des centres de régulation de la douleur qui augmente la susceptibilité à cette dernière et qui est probablement lié à des processus hormonaux».

Outre les perturbations hormonales, d’autres facteurs physiologiques (comme des anomalies du système nerveux) pourraient être à l’origine de la fibromyalgie. De même que des accidents ou des traumatismes provoqués par un deuil ou une séparation. «Ces événements ne font sans doute que précipiter les choses: ils agissent comme une allumette sur un état déjà prêt à s’embraser.»

Les personnes touchées ont souvent un profil psychologique caractérisé par une propension au catastrophisme et une kinésiophobie (peur d’effectuer certains mouvements par crainte qu’ils provoquent des douleurs). Elles souffrent aussi souvent de dépression ou d’anxiété, mais il est difficile de savoir s’il s’agit d’une cause ou de la conséquence du syndrome. En effet, les neurotransmetteurs (messagers chimiques qui permettent aux neurones d’échanger des informations) qui sont impliqués «dans la dépression et la douleur sont les mêmes».

Rester actif

Dans la mesure où l’on ne peut pas déterminer l’origine du syndrome (sauf s’il est la conséquence d’une autre maladie), on ne peut que soulager ses symptômes. On utilise des antalgiques simples (comme le paracétamol), des anti-inflammatoires et, en traitement de fond, «de très faibles doses d’antidépresseurs », précise le spécialiste. Les thérapies cognitives et comportementales apportent aussi des bénéfices, de même que la physiothérapie ou l’ergothérapie. «La prise en charge est pluridisciplinaire et nécessite de considérer le patient dans son ensemble», souligne Iohn Michael Norberg.

L’important, selon lui, est «de rester actif et de bouger», en faisant de la marche ou des exercices d’endurance. On peut aussi prendre des bains chauds, faire des cures thermales et pratiquer toutes les activités qui relaxent car, «associées à des exercices, elles peuvent aider».

Quoi qu’il en soit, il ne faut pas hésiter à consulter un médecin «quand les symptômes commencent à perturber ses activités quotidiennes», conseille le spécialiste de la douleur chronique. Car, il est important de le répéter, la fibromyalgie n’est pas un mal fictif.

Des dysfonctionnements dans le cerveau

Entre 60 à 80% des personnes atteintes de fibromyalgie souffrent aussi de dépression. L’hypothèse a donc été émise que le syndrome douloureux pourrait n’être qu’une sorte de dépression qui s’exprime au niveau physique. «Nous pensions que ce n’était pas le cas», dit Chantal Martin Soelch, professeure de psychologie à l’Université de Fribourg. Avec raison: ses travaux, menés en collaboration avec des médecins de l’Hôpital universitaire de Zurich, ont en effet montré que les deux entités avaient des origines neurobiologiques différentes.

La chercheuse s’est penchée sur la dopamine. Ce neurotransmetteur (messager chimique permettant la communication entre neurones) libéré lorsque nous nous attendons à recevoir une récompense, est en effet impliqué à la fois dans la fibromyalgie et dans la dépression. Elle a fait appel à une cinquantaine de volontaires (certains avec une fibromyalgie seule ou accompagnée de dépression, d’autres constituant un groupe contrôle). En utilisant une technique d’imagerie cérébrale (PET-scan), elle a mesuré la production de dopamine dans le cerveau de ces personnes qui étaient d’abord au repos, puis qui devaient faire une tâche leur laissant miroiter une récompense. Elles devaient jouer avec une sorte de «machine à sous» qui, parfois, leur permettait de recevoir de l’argent. «Nos précédentes études avaient montré que chez les personnes dépressives, la promesse d’une récompense ne libérait quasiment pas de dopamine », explique la psychologue. En revanche, chez celles qui souffrent de douleurs chroniques, «nous avons constaté que la réponse du système dopaminergique est très forte, elle est même aberrante, ce qui laisse penser que, dans leur cerveau, le système de régulation du neurotransmetteur dysfonctionne».

Ces résultats apportent de l’eau au moulin de ceux qui considèrent que l’une des causes de la fibromyalgie vient de changements qui s’effectuent au niveau cérébral. Ils pourraient aussi avoir des implications thérapeutiques. «En utilisant des méthodes psychologiques, comme celles basées sur la pleine conscience, il devrait être possible d’entraîner le système de récompense des personnes atteintes de fibromyalgie », précise Chantal Martin Soelch. Et peut-être ainsi de soulager leurs douleurs.

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Paru dans Le Matin Dimanche du 08/10/2017. 

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