Le fléau de la souffrance au travail

Dernière mise à jour 22/01/24 | Article
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La souffrance au travail est un problème de santé publique. Près de la moitié des employés y serait confrontée. Les entreprises, qui doivent légalement prendre soin de la santé de leurs collaborateurs, semblent avoir pris conscience de cette réalité. Sans pour autant parvenir à y remédier totalement.

Le burnout, conséquence ultime d’un stress chronique

«Le burnout, aussi appelé syndrome d’épuisement professionnel, est une problématique spécifique de la souffrance au travail», rappelle Catherine Vasey, psychologue à Vevey. Il correspond à un épuisement, autant physique et émotionnel que mental, dû à un stress chronique en lien avec le poste de travail occupé. «Il s’agit d’une réaction physiologique, mesurable, qui évolue sur le long terme, décrit la spécialiste. L’accompagnement, pour être le plus efficace possible, doit se faire le plus tôt possible, idéalement avant l’arrêt de travail, au cours de la phase de résistance au stress.» Le burnout n’est pas une dépression, même si les symptômes sont parfois proches (les causes sont, elles, bien différentes). La sédentarité et les nouvelles technologies seraient deux facteurs de risque importants dans l’apparition d’un burnout. «Nous devons mieux gérer ces nouveaux outils, estime la psychologue. Nous savons les utiliser techniquement mais devons maintenant apprendre à les utiliser humainement.»

Insomnie, stress, angoisses, irritabilité, nervosité, fatigue extrême… maux de tête et boule au ventre viennent souvent compléter le tableau. Sans oublier le manque de motivation, les problèmes de concentration et de mémoire, et donc d’efficacité, ou encore les ruminations de pensées. Les signes de la souffrance au travail ne trompent pas. «Et ces symptômes en engendrent d’autres, ajoute Catherine Vasey, psychologue à Vevey et spécialiste du burnout*. Ainsi, les personnes concernées vérifient sans cesse ce qu’elles font et mettent en place de nombreux autocontrôles. L’une des caractéristiques principales de la souffrance au travail est d’ailleurs le nombre d’heures supplémentaires effectuées.»

Cette souffrance regroupe plusieurs problèmes, comme le burnout (lire l’encadré), le harcèlement, les violences, les conflits, tous ayant un lien direct avec l’activité professionnelle.Au quotidien, les personnes ne trouvent plus de sens à leur travail. Dans un premier temps, elles cherchent des solutions pour réduire leur stress et leurs difficultés, mais elles finissent par développer un sentiment d’impuissance. «La souffrance au travail est un long processus qui se développe sur plusieurs mois, explique la psychologue. Mais, à un moment, il devient tout simplement impossible de poursuivre son activité.»

Le stress, principal responsable

La source du problème est le stress généré par des situations conflictuelles, des missions imprécises, un management délétère. L’infantilisation des employés, le manque de reconnaissance, des cadences de travail intenables ou encore une mauvaise communication peuvent également provoquer d’importantes difficultés chez les employés. Leur entreprise leur en demande trop, dans des délais trop courts.

Les responsabilités dans la souffrance au travail restent multiples. «Le travail prend toujours plus de place, notamment en raison des nouvelles technologies, qui font que nous avons tous notre bureau dans notre poche, mais aussi à cause des besoins d’instantanéité et de rapidité de notre société», regrette Donald Glowinski, chercheur en neuropsychologie, directeur du programme de formation Compétences émotionnelles à l’Université de Genève et professeur à la Haute École de la Santé La Source.

Bouger, se ressourcer

Sur son lieu de travail, il peut justement être important de résister à la tentation de répondre immédiatement aux sollicitations, «une hyperactivité conduisant à un épuisement permanent», insiste Donald Glowinski. Pour tenter de réduire la souffrance au travail, des changements peuvent aussi être testés. «Prendre soin de soi, s’épanouir grâce à une nouvelle activité ou encore s’obliger à se détacher de son travail lorsqu’on arrive chez soi peuvent être des conseils utiles», poursuit-il. Des mesures qui peuvent aider à remettre le travail à sa juste place dans sa vie et à laisser à bonne distance ses soucis professionnels. Se ressourcer et récupérer au mieux de sa semaine sont également importants. Pour parvenir à se décharger du stress accumulé au quotidien, une stratégie peut être de faire du sport, se défouler, respirer profondément ou pourquoi pas chanter.

Donald Glowinski plaide également pour une meilleure prise en compte des émotions au sein des entreprises. «Effectuer un travail sur ses compétences émotionnelles est selon moi très important. Il est possible de comprendre les situations qui génèrent du stress et ainsi de mieux les anticiper et les gérer, développe-t-il. On peut ensuite impliquer son équipe et voir comment s’organiser autrement, notamment pour prévenir et limiter l’apparition de ce stress.»

Les entreprises sommées d’agir

Concrètement, des outils et des formations existent et aident les entreprises à prévenir et lutter contre les souffrances au travail. Ainsi, certaines disposent de personnes de confiance, vers qui il est possible de se tourner en cas de difficultés.  «Il faut encore que les responsables détectent mieux les difficultés rencontrées par leurs employés, note Catherine Vasey. Ils doivent bien identifier les problèmes pour pouvoir vraiment les résoudre.» Un impératif dicté par la loi puisque, pour la souffrance au travail, il existe des contraintes légales. Les employeurs ont en effet l’obligation d’agir pour préserver la santé physique et psychique de leurs employés, et de mettre en place des mesures de prévention.

Depuis une vingtaine d’années, une prise de conscience de la part des entreprises a donc émergé. Mais il reste encore beaucoup à faire. Des changements indispensables puisque la nouvelle génération de travailleurs ne semble pas prête à sacrifier sa santé mentale et sa qualité de vie pour son travail. «Les réflexions menées autour de la semaine de quatre jours en sont une parfaite illustration», conclut la psychologue.

«Le stress chronique au travail, ça suffit!»

L’avis du Dr Olivier Spinnler, psychiatre à Lausanne

«Lorsque l’on parle de souffrance au travail, on a tendance à pointer du doigt les personnes qui en souffrent, alors que le problème ne se situe pas du côté des salariés. La moitié des personnes sont stressées au travail. Sur certaines annonces d’emploi, la résistance au stress est même requise! Or, autant il est important de savoir gérer un stress ponctuel, autant il est scandaleux d’avoir à faire face à du stress chronique. Si elles se souciaient vraiment de la santé de leurs employés, comme la loi le leur demande, les entreprises feraient ce qu’il faut pour éviter de stresser inutilement leurs collaborateurs. Au lieu de cela, elles continuent d’exiger des rendements absurdes et d’encourager la compétition, et laissent le travail envahir la vie privée. Sans parler des styles de management toxiques… Il faut le dire, le crier même: le stress chronique au travail, ça suffit! Je milite pour un rythme plus humain au travail. Il est temps d’agir. On gagnera même en productivité.»

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* Catherine Vasey, La boîte à outils de votre santé au travailet Comment rester vivant au travail, Éd. Dunod, 2020.

Paru dans Le Matin Dimanche le 21/01/2024