«Il faut adopter de nouvelles stratégies pour lutter contre les maladies neurologiques et psychiatriques»

Dernière mise à jour 19/03/18 | Questions/Réponses
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Professeur au département des neurosciences fondamentales de l’Université de Lausanne, Andrea Volterra étudie le fonctionnement du cerveau. Alors que la plupart de ses collègues se focalisaient sur les neurones, il s’est passionné pour un autre type de cellules cérébrales, les astrocytes. Jusqu’alors considérés comme de simples éléments de soutien, ces derniers communiquent avec les neurones et en assurent le bon fonctionnement. Ils pourraient même ouvrir de nouvelles pistes pour l’élaboration de traitements des maladies neurologiques et psychiatriques contre lesquelles les médecins sont encore très démunis.

BIO EXPRESS

1957 Naissance à Bologne, Italie.

1982 Docteur en pharmacologie, université de Milan.

1986 Chercheur à l’université de Columbia, New York.

2001 Nommé professeur à l’Université de Lausanne (UNIL).

2004 Membre du Comité lémanique du Centre d’Imagerie BioMédicale (CIBM).

2006 Membre de l’Academia Europæa (qui fait partie des électeurs des prix Nobel en physiologie et médecine).

2006-2012 Directeur du département de biologie cellulaire et de morphologie de UNIL.

2014 Membre de l’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM).

2017 Lauréat du Prix Théodore Ott en neurosciences de l’ASSM.

Planète Santé: Vous avez un doctorat en pharmacologie et l’on vous retrouve spécialiste de neurosciences. À priori, il n’y a rien de commun entre ces deux disciplines.

Pr Andrea Volterra: Dès le départ, je me suis spécialisé en neuropharmacologie, une discipline qui vise à développer des médicaments agissant sur le système nerveux. J’ai donc toujours été passionné par le cerveau. Pour un scientifique, les deux défis les plus complexes et les plus fascinants sont de savoir comment est fait l’univers et comment fonctionne le cerveau.

Pourquoi cette passion pour le cerveau?

C’est le centre de commande de l’organisme et, en même temps, c’est lui qui nous permet d’entrer en relation avec le monde extérieur, qui est responsable de notre intelligence, de notre créativité, de nos émotions. C’est lui qui fait de nous des êtres humains.

Vous avez étudié une classe particulière de cellules cérébrales, les astrocytes. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser tout particulièrement à eux?

Pendant longtemps, les spécialistes des neurosciences ne se sont intéressés qu’aux neurones. Mais le système nerveux central renferme d’autres types de cellules, en particulier des astrocytes qui, dans plusieurs régions cérébrales, sont encore plus nombreux que les neurones, lesquels ne fonctionneraient pas sans eux. Les astrocytes constituent l’autre moitié du cerveau et ils sont en quelque sorte la face cachée de la lune. En les étudiant, on a de meilleures chances de comprendre les maladies cérébrales.

Astrocytes: ce nom évoque l’astronomie. Est-ce un hasard?

Non, en effet ces cellules ont été appelées ainsi car elles ont la forme d’une étoile.

Où se trouvent-elles?

Elles sont distribuées dans toutes les régions du cerveau et placées les unes à côté des autres, comme les pièces d’un puzzle.

Et quel est leur rôle?

Elles appartiennent à la glie, qui est la «colle» cérébrale. Pendant longtemps, on a cru que ces cellules constituaient de simples échafaudages soutenant les neurones et leur apportant les nutriments nécessaires à leur survie. Toutefois, il y a une trentaine d’années, grâce aux techniques d’imagerie, on s’est aperçu que les astrocytes faisaient bien plus. Ils participent à la communication entre les neurones et peuvent modifier et intégrer les informations que ceux-ci s’échangent entre eux. Plus on les étudie, plus on découvre leur importance. Lorsqu’à l’aide des techniques de la génétique on rend silencieux des gènes de ces cellules chez des animaux modèles, on constate que cela perturbe certains aspects de leur comportement, comme leur sommeil ou quelques-unes de leurs fonctions cognitives.

On est donc loin d’un simple rôle d’échafaudage?

Oui. Cela devient fascinant, car on constate que les élaborations cérébrales sont plus complexes que ce qu’on imaginait. Cela signifie aussi que lorsque les communications entre les neurones dysfonctionnent, les astrocytes y sont sans doute pour quelque chose. Ils interviennent donc probablement dans la genèse des maladies neuropsychiatriques. La plupart des neuroscientifiques –que j’appelle les «neurones-scientifiques»– n’en sont pas encore convaincus. Il faut dire que cette vision des choses complique encore l’étude du système nerveux qui est déjà en soi une tâche très complexe (rires).

Vous êtes considéré comme un pionnier dans ce domaine. Quel a été votre apport?

Les neurones communiquent entre eux en se transmettant des signaux électriques ainsi que des messagers chimiques, les neurotransmetteurs, qu’ils s’échangent dans des zones appelées synapses. Mes collègues et moi avons été les premiers à montrer que les astrocytes relâchent eux aussi des transmetteurs qui influencent le comportement de ces synapses. Ensuite, nous avons mis au point des techniques d’imagerie d’avant-garde qui nous ont permis de mieux comprendre la communication entre les astrocytes et les neurones, qui passe par un langage différent de celui utilisé par les neurones entre eux.

Et qu’avez-vous découvert?

Nous avons constaté que, pour communiquer avec les neurones, les astrocytes utilisent notamment des molécules qui, lorsqu’elles sont produites en quantité excessive, jouent un rôle important dans les réactions inflammatoires se produisant dans certaines maladies cérébrales. Nous avons pu établir qu’un tel processus peut conduire au dysfonctionnement des synapses, notamment dans les circuits neuronaux de la mémoire.

Vous avez travaillé sur la sclérose en plaques. Pourquoi vous êtes-vous penché sur cette maladie?

Les neurologues ont constaté qu’au moins la moitié de leurs patients atteints de sclérose en plaques ont aussi des problèmes cognitifs. On ne comprenait pas pourquoi, puisqu’il s’agit d’une maladie neuromusculaire qui se caractérise par l’inflammation de la myéline, la gaine qui entoure les fibres nerveuses. En étudiant des animaux atteints de cette pathologie, nous avons découvert que les molécules inflammatoires induisent un dysfonctionnement des astrocytes, lesquels modifient négativement l’activité des synapses dans des régions cérébrales dévouées au stockage des mémoires. C’est ce mécanisme qui pourrait donc être à la base des complications cognitives dans la sclérose en plaques.

Est-ce que le même mécanisme pourrait intervenir dans d’autres maladies?

C’est fort probable. On sait que dans la maladie d’Alzheimer, dans certains troubles psychiatriques, notamment la dépression, ou dans des infections cérébrales, il se produit aussi des réactions inflammatoires autour des circuits neuronaux de la mémoire.

Quelles implications pourraient avoir vos travaux?

Ils ont un impact important sur le plan conceptuel. Jusqu’ici, les scientifiques ont essayé de comprendre les maladies neurodégénératives en se concentrant uniquement sur les neurones. On constate maintenant qu’il faut s’intéresser aussi à ce que l’on nomme le «micro-environnement neuronal».

C’est-à-dire?

Il s’agit des cellules qui se trouvent au voisinage des neurones et qui communiquent avec eux. Pour vous montrer que ce micro-environnement est important, je vous donne un exemple: nous avons travaillé sur les démences qui affectent certaines personnes atteintes du sida. Or, le virus VIH n’infecte pas les neurones. En revanche, il infecte les cellules de la glie, notamment les astrocytes. Ces derniers libèrent alors de fortes quantités d’un neurotransmetteur (le glutamate) qui est transmis aux neurones et provoque leur mort lente. Les astrocytes jouent donc un rôle crucial dans le développement des maladies neurodégénératives.

Toutes ces recherches pourraient-elles ouvrir la voie à de nouveaux traitements des maladies neurologiques et psychiatriques contre lesquelles la médecine est démunie?

Je l’espère fortement. Pensez que cela fait plus d’un siècle que la maladie d’Alzheimer a été décrite et que l’on ne dispose encore d’aucune thérapie efficace pour la traiter. Pour les maladies psychiatriques, le tableau est encore plus sombre. Il faut donc explorer de nouvelles pistes, car je pense qu’il est réellement nécessaire d’adopter de nouvelles stratégies pour lutter contre ces différentes pathologies.

Et les astrocytes pourraient fournir l’une de ces pistes?

Je crois que oui. Par exemple, on s’est aperçu qu’il existe des dizaines, voire des centaines de molécules inflammatoires. Or, on a constaté récemment que seules deux ou trois d’entre elles sont plus dangereuses que les autres, et qu’elles agissent sur les neurones par l’intermédiaire des astrocytes. Pour l’industrie pharmaceutique, elles pourraient constituer des cibles précises pour l’élaboration de nouveaux médicaments.

C’est donc une source d’espoir?

Oui. Je ne peux pas vous affirmer que cela conduira à de nouvelles thérapies, mais cela vaut certainement la peine d’essayer.

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Paru dans Planète Santé magazine N° 29 - Mars 2018

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