Peau, visage, mains: ces greffes hors du commun

Dernière mise à jour 19/12/17 | Article
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Un Français gravement brûlé a été sauvé grâce à de la peau de son jumeau, un Américain revit grâce à un nouveau visage: voilà deux cas récents porteurs d’espoir. Mais des difficultés subsistent.

De quoi on parle

Accidents, cancers ou infections peuvent conduire à des amputations, des brûlures ou des défigurations extrêmes. Pour soigner les personnes atteintes, et surtout améliorer leur qualité de vie, la médecine progresse à grands pas. Si certaines limites, notamment immunologiques, restent difficiles à dépasser, les greffes de peau, de visage ou d’avant-bras réalisées ces derniers mois sont porteuses d’espoirs.

Pendant que certains poursuivent le rêve fou de réussir des greffes de têtes (voir encadré), des interventions bien réelles permettent déjà de sauver ou d’améliorer la qualité de vie de patients brûlés, amputés ou défigurés. Ces dernières semaines, plusieurs équipes, en France et aux Etats-Unis, ont annoncé des interventions inédites, ou fait part des progrès impressionnants de patients ayant bénéficié récemment d’interventions hors normes.

Sauvé par son jumeau

Franck a été admis au service des grands brûlés de l’hôpital Saint-Louis de Paris en septembre 2016. Victime d’un accident du travail, le trentenaire était brûlé sur 95% du corps. Une étendue qui faisait craindre le pire au Pr Maurice Mimoun, spécialiste en chirurgie plastique et reconstructive qui a pris le jeune homme en charge. Les grands brûlés bénéficient le plus souvent de greffes de peau cultivée à partir de leur peau saine. Mais cette culture de tissus nécessite 3 à 4 semaines: un délai beaucoup trop long pour Franck. «Nous utilisons aussi de la peau prélevée sur des donneurs après leur décès, précise le Pr Mimoun. Mais dans ce cas, cela n’aurait pas permis de sauver Franck.»

C’est à son frère que Franck doit la vie. Arrivé rapidement à son chevet, Eric a expliqué aux médecins être le jumeau de Franck. «Quand on a su qu’ils étaient jumeaux homozygotes, c’est-à-dire "vrais jumeaux", on a repris espoir», raconte Maurice Mimoun. L’Agence de biomédecine française a auditionné Eric, et donné en un temps record son feu vert pour la réalisation de cette première mondiale: une transplantation de peau avec un donneur vivant.

«Nous avons prélevé la peau d’Eric et l’avons transplantée presque en simultané sur Franck», explique le Pr Mimoun. Pour minimiser les séquelles sur le corps du donneur ce sont des couches très fines de peau qui ont été prélevées, sur son crâne, son dos et ses cuisses: un dixième de millimètre, au lieu de deux ou trois habituellement. Ensuite, des perforations ont été réalisées dans ce tissu afin de créer une sorte de résille. «Cette greffe en filet transforme une large surface brûlée en de nombreuses petites plaies, qui vont cicatriser beaucoup plus facilement et beaucoup plus vite».

Au total, Eric aura donné –en trois fois– 45% de sa surface corporelle pour reconstruire la peau –et la vie– de son jumeau. «J’ai fusionné avec mon frère», a-t-il confié au Pr Mimoun. Les cicatrices sur son corps sont très légères, tout comme sur le visage de Franck, dont on a du mal à croire qu’il était totalement carbonisé il y a tout juste un an. «Cette intervention montre que, lorsqu’on disposera d’une peau universelle, on pourra traiter tous les brûlés, même extrêmes», commente Maurice Mimoun qui souligne que des progrès importants ont été réalisés dans le développement de peaux artificielles qui ne présenteraient plus de risque de rejet.

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La greffe de face en dernier recours

Le cas particulier des enfants

Le consentement éclairé et l’adhésion du patient aux soins et aux traitements à vie sont essentiels pour ces greffes hors du commun. Des conditions qui soulèvent des questions quant aux interventions réalisées sur les enfants, comme celle du petit Zion Harvey. Amputé des 4 membres, et déjà greffé du rein, il a reçu deux avant-bras en juillet 2015, à l’âge de 8 ans. Pour le Dr Aram Gazarian, il y a là un réel questionnement éthique, propre à cette greffe qui n’est pas vitale mais destinée à améliorer la qualité de vie. «On ne sait rien de la manière dont le consentement de Zion a été recueilli. Comment s’est-on assuré qu’il admettait l’idée de perdre ses mains greffées un jour, s’interroge le médecin. Le risque de rejet chronique est proportionnel au temps, et donc d’autant plus important que le receveur est jeune.»

Aucune greffe de visage n’a été réalisée à ce jour chez un mineur. «Les techniques classiques de reconstruction sont adaptables aux enfants, et en tenant compte des spécificités de croissance du visage, il est possible de prendre en charge les séquelles de traumatismes ou de maladie, dès le plus jeune âge», rassure le Dr Martin Broome.

Les rejets, ce sont aussi eux qui limitent aujourd’hui les greffes de face et d’avant-bras. Des interventions qui paraissaient encore impossibles il y a 15 ou 20 ans. Pourtant, depuis Isabelle Dinoire en 2005, 36 autres personnes ont bénéficié d’une greffe de visage. Mi-novembre, une vidéo montrait le dernier patient, Andy Sandness, opéré en juin 2016, rencontrant la femme de l’homme qui lui avait fait don son visage. Andy Sandness avait été défiguré en 2006 après avoir tenté de mettre fin à ses jours avec une arme à feu. Pendant dix ans, il a vécu sans bouche, sans dents et avec un trou à la place du nez. Il suit toujours un programme de rééducation intense mais peut désormais s’alimenter, et parle beaucoup mieux qu’avant.

La greffe de face pourrait-elle alors devenir plus fréquente? «Cette transplantation n’est pas censée devenir une option thérapeutique courante, prévient Martin Broome, médecin chef de chirurgie orale et maxillo-faciale au CHUV de Lausanne. L’idée est au contraire d’exploiter au mieux les techniques de reconstruction classiques pour éviter la greffe totale. Ses indications ont d’ailleurs été réduites, et elle n’est utilisée que quand il s’agit de la "moins mauvaise des solutions"». La transplantation de visage n’est pratiquée par aucune équipe en Suisse. Si un patient était éligible «il serait probablement envoyé vers une équipe étrangère qui a acquis une expérience dans ce type d’intervention», précise le Dr Broome.

Accepter l’échec

La greffe de face promet une augmentation de qualité de vie majeure aux patients qui subissent un handicap lourd, mais «en plus des risques liés à l’intervention chirurgicale lourde, le visage est un greffon très immunogène», précise Martin Broome. Des traitements anti-rejet puissants sont donc nécessaires, avec un risque pour le patient de développer des infections sévères, voire des cancers. «Sur trente-sept patients greffés, sept patients sont déjà décédés; cela pose une question éthique majeure», rappelle le Pr Emmanuel Morelon, chef du service de transplantation, néphrologie et immunologie clinique des Hospices Civils de Lyon (HCL). Sans compter qu’en cas de rejet, le retrait du greffon est très traumatisant pour le patient et peut conduire à des situations dramatiques.

Malgré le traitement immunosuppresseur, l’organisme lutte contre ce corps étranger qu’est le greffon. Un rejet chronique peut alors survenir, conduire à la perte du greffon et à son retrait. L’équipe lyonnaise, dirigée par les Pr Lionel Badet et Emmanuel Morelon (HCL), pionnière des greffes bilatérales d’avant-bras, a été confrontée à cette situation, 12 ans et demi après la greffe, pour un des sept patients transplantés. «Le rejet n’est pas systématique, mais sa possibilité doit être acceptée par les patients. Les mains greffées peuvent avoir une durée de vie limitée et être des "mains pour un bout de chemin"», commente le Dr Aram Gazarian, spécialiste en chirurgie de la main à la Clinique du Parc à Lyon, qui dirige l’équipe orthopédique ayant réalisé les six dernières transplantations.

Au cours des deux dernières décennies, chirurgiens et médecins sont parvenus à surmonter les écueils techniques de ces transplantations de l’extrême. Le prochain défi à relever est maintenant d’ordre immunologique. L’avenir de la transplantation repose sur des traitements anti-rejet encore plus efficaces, et surtout mieux supportés sur le long terme. Mais aussi sur des greffons artificiels, ne provoquant pas de réactions immunitaires, et qui permettraient de pallier le manque, toujours chronique, de donneurs.

Le projet fou de Sergio Canavero

C’est devenu une habitude: régulièrement Sergio Canavero, neurochirurgien italien, organise des conférences de presse pour partager les «avancées» de ses travaux. Génie pour certains, savant fou pour la plupart de ses confrères, le neurochirurgien est persuadé de pouvoir réaliser une «anastomose céphalosomatique», c’est-à-dire greffer une tête sur un corps! Il vient d’annoncer, le « succès » de la première greffe de tête humaine… réalisée sur des cadavres. Après cet essai, réalisé en Chine, Canavero et ses collègues annoncent une intervention en conditions réelles pour les prochains mois. Reste à trouver un volontaire, prêt à se faire décapiter pour la «science».

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Paru dans Le Matin Dimanche du 10/12/2017.

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