L’hypertension artérielle: aussi une (dangereuse) affaire de femmes
Les chiffres* sont sans appel: entre 35 et 44 ans, seules 2,8% des femmes souffrent d’hypertension artérielle, mais ces valeurs montent à 57,2% au-delà de 75 ans, contre respectivement 6,3% et 55,8% du côté des hommes. Des différences qui s’expliquent par une multitude de facteurs, «notamment la protection hormonale du couple œstrogène-progestérone qui, jusqu’à la ménopause, préserve le système cardiovasculaire des femmes ainsi qu'un ensemble de processus impliqués dans la régulation de la tension artérielle», résume la Dre Sophie Hügli, cheffe de clinique au Service de néphrologie et hypertension des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et auteure d’une analyse sur le sujet parue dans la Revue médicale suisse (RMS)**.
Comment s’est passée votre grossesse?
L’hypertension artérielle survenant durant la grossesse – même si elle s’estompe dans les mois qui suivent –, la prééclampsie (hypertension associée à une atteinte des reins ou d’autres organes), un enfant prématuré ou d’un poids inférieur à la normale: autant de «drapeaux rouges» qui devraient avoir leur place dans le suivi médical d’une femme tout au long de sa vie. Et pour cause, ils constituent des facteurs favorisant l’apparition d’une hypertension artérielle dix, vingt ou trente ans plus tard, et augmentant le risque cardiovasculaire. «En raison des bouleversements hormonaux et physiologiques qu’elle implique, la grossesse a de multiples impacts sur l’organisme en temps réel, mais également pour le restant de la vie, rappelle la Dre Sophie Hügli, cheffe de clinique au Service de néphrologie et hypertension des HUG. En présence de ces "drapeaux rouges" une vigilance s’impose donc, par exemple au travers d’un contrôle annuel de la tension artérielle et d’une prévention efficace.»
À noter que, comme chez les hommes, l’âge lui-même tend à se muer en ennemi des artères. Se rigidifiant au fil des années, celles-ci peinent à s’adapter aux afflux impétueux de sang émanant du cœur. Résultat: les valeurs de tension s’élèvent insidieusement.[1] Non prise en charge, l’hypertension artérielle met à mal la santé des organes, en particulier le cœur, le cerveau, les reins et les yeux. À l’instar de l’âge, l’hygiène de vie et les prédispositions familiales interviennent dans l’équation, pouvant atténuer le risque d’hypertension artérielle ou, à l’inverse, l’aggraver. Les leviers clés: la prévention et une prise en charge adaptée.
Et c’est là que le bât blesse souvent, en particulier chez les femmes à l’approche de la ménopause et plus encore après. «L’hypertension artérielle, comme les maladies cardiovasculaires telles que l’infarctus du myocarde, reste assimilée à des pathologies masculines. Or, passé la ménopause, les femmes deviennent autant, voire plus à risques face à de telles pathologies. Le problème: l’hypertension artérielle féminine n'est pas seulement minimisée, elle est aussi moins bien prise en charge», alerte la Dre Hügli.
Facteurs de risque spécifiques
En cause? D’abord des spécificités, aussi déterminantes que mal connues. «On sait par exemple qu’il existe des facteurs de risque propres aux femmes: certains éléments inhérents à la grossesse (lire encadré), mais également aux bouleversements hormonaux, physiologiques et psychologiques survenant lors de la ménopause», souligne la Pre Antoinette Pechère-Bertschi, médecin adjointe agrégée, responsable du Centre d’hypertension des HUG et co-auteure de l’article paru dans la RMS. Et de préciser: «L’effondrement des œstrogènes et de la progestérone a une incidence sur la santé des artères, mais également sur le métabolisme. Davantage de cellules adipeuses sont par exemple stockées au niveau du ventre, or on sait que cette graisse abdominale est particulièrement délétère pour le système cardiovasculaire. Par ailleurs, le virage de la cinquantaine peut aller de pair, pour de nombreuses femmes, avec des excès de stress et d’anxiété liés à de nouvelles étapes de vie (lire encadré). L’ensemble de ces facteurs contribue à augmenter le risque cardiovasculaire et d’hypertension artérielle.»
Si le diagnostic de l’hypertension artérielle est relativement aisé, il reste insuffisant. En Suisse, relève l’article de la RMS, «27% des hommes et 31% des femmes hypertendus ne sont pas diagnostiqués». Avant d’ajouter: «Certaines études rapportent également davantage d’hypertension artérielle résistante chez les femmes après 49 ans.»
S’ouvre ici le second problème: les traitements eux-mêmes. «Une vaste palette de médicaments permet de traiter l’hypertension artérielle, mais ces traitements se heurtent, chez les femmes, à deux obstacles, indique la Pre Pechère-Bertschi. Le premier est lié au fait qu’elles ne métabolisent pas les médicaments de la même manière que les hommes. En jeu notamment: des différences liées au pH gastrique, à l’activité du foie ou à celle des reins. Autant de paramètres qui peuvent aboutir à des effets secondaires accrus ou à des problèmes de surdosage.» Or, et c’est le second obstacle, «nous manquons cruellement de données pour mieux comprendre et traiter l’hypertension féminine car les femmes restent aujourd’hui nettement sous-représentées dans les études cliniques, souligne la Dre Hügli. Les raisons sont historiques, nombreuses et complexes, et aboutissent à des participations n’excédant guère les 30%… Un chiffre qui peine à évoluer malgré des conséquences négatives bien réelles».
Et la Pre Pechère-Bertschi de conclure: «L’hypertension artérielle est un fléau dramatique, mais en partie évitable si elle est traitée de façon adéquate. Mieux prendre en charge les femmes qui en sont atteintes est un enjeu majeur qui passe par des changements en profondeur, depuis le dépistage jusqu’à la recherche médicale qui les excluent encore beaucoup trop.»
Prendre (vraiment) soin de soi
Un moral chahuté par les changements hormonaux et, au choix ou tout à la fois: enfants quittant la maison, vie professionnelle assombrie, divorce en vue ou à peine digéré… Le virage de la ménopause peut s’accompagner pour de nombreuses femmes d’une multitude de facteurs favorisant une anxiété ou un état dépressif faisant eux-mêmes le nid de l’hypertension artérielle et de ses complications cardiovasculaires. La solution? «Elle n’est pas unique, chaque patiente a sa propre histoire. Mais certaines difficultés doivent pouvoir être accueillies avec bienveillance lors des consultations, estime la Pre Antoinette Pechère-Bertschi, médecin adjointe agrégée, responsable du Centre d’hypertension des HUG. C’est cette écoute attentive qui va permettre de trouver les bons leviers et la prise en charge adéquate. Bien sûr, pratiquer une activité physique régulière, limiter les moments de stress, soigner son alimentation et son sommeil sont des mesures essentielles, pour la santé en général et l’hypertension artérielle en particulier. Mais certains moments de vie ne rendent pas si simples ces bons réflexes… Et pourtant, ils peuvent aussi être moteurs d’un nouvel élan de vie.»
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* Source: Office fédéral de la statistique (OFS) – Enquête suisse de la santé 2017
** Huegli, S., Pechère-Bertschi, A. (2022), L’hypertension artérielle a-t-elle un genre?, Rev Med Suisse, 8, no. 795, 1689-1692.
[1] Pour rappel, on parle d’hypertension artérielle lorsque les mesures de pression artérielle dépassent régulièrement au moins l’une des deux valeurs de 140/90 mm de mercure au cabinet médical.
Paru dans Le Matin Dimanche le 18/12/2022
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Hypertension artérielle
On parle d'hypertension artérielle lorsque la pression systolique est supérieure à 140 millimètres de mercure (mmHg) et/ou lorsque la pression diastolique est supérieure à 90 mmHg.