Trouver un médecin de campagne, la croix et la bannière

Dernière mise à jour 11/07/13 | Article
Trouver un médecin de campagne, la croix et la bannière
La tribune de Pierre-Yves Béliat, médecin généraliste et président de la Société neuchâteloise de médecine.

«En m’installant devant mon nouveau docteur, j’ai poussé un ouf de soulagement et l’ai remercié de m’avoir acceptée! Ainsi se termine une sorte de safari dans le monde de la santé : alléluia, j’ai trouvé un généraliste, la perle rare, l’espèce en voie de disparition. Comme je suis jeune et en bonne santé, j’aurais peut-être pu me contenter des visites chez mon gynécologue, mais elles s’espacent car il n’a plus le temps pour les contrôles de routine, il est toujours débordé et stressé. De plus, j’ai adhéré à un modèle d’assurance que je n’ai pas trop bien compris, si ce n’est qu’il m’offre un substantiel rabais de prime mais que je dois d’abord m’adresser à un médecin de famille, dont la liste m’a été fournie; mais celle-ci comportait des médecins rayés des listes, des spécialistes et même le toubib de ma voisine, décédé il y a quelques années.

Mon ancien docteur, qui me connaissait depuis toujours puisqu’il s’occupait même des enfants, qui m’avait plâtré la jambe quand j’étais tombée à ski et qui connaissait trois générations, est parti à la retraite. Je suis allée le trouver pour lui souhaiter bon vent, il m’a remis mon dossier, une enveloppe A3 avec mon nom dessus. Le nouveau verra que j’ai guigné (pas pu m’empêcher) car je n’ai pas pu bien recoller le rabat. Je n’ai pas compris grand-chose à ces rapports avec leurs termes savants: essentiel, cryptogénétique, fonctionnel, on ne m’a pas dit que j’avais tout ça, je croyais que j’allais bien, faudra que je clarifie avec le nouveau; je vais repartir à zéro, arrêter de fumer, de manger trop et faire de la gymnastique pour maigrir.

Bon, je serais bien allée chez un nouveau docteur pour qu’il me suive longtemps. Celui-ci a l’air sympa, mais il n’est plus tout jeune, un peu bedonnant, déjà grisonnant et je crois qu’il m’a déjà jugée du haut de ses 25 années d’expérience, au travers de ses lunettes de myope.

Dans mon marathon téléphonique je me suis heurtée à des refus partout. Les plus récemment installés ne prennent plus de nouveaux patients. J’ai bien essayé le fringant cabinet médical de la ville d’à côté, visionnaire, aidé par les services publics, mais il se cantonne aux patients de son numéro postal. Le médecin de mon mari ne m’a pas acceptée car il ne pratique pas le “regroupement familial”. Je ne veux pas aller chez celui de mon premier conjoint qui connaît trop toutes nos histoires. Il y a bien un cabinet à côté de chez moi qui annonce: “ médecin praticien ”, mais on y pratique essentiellement les médecines parallèles et ce n’est pas mon truc. Me voici prise en charge, mais que vais-je faire de mes deux enfants qui ont besoin de vaccins? Même ma voisine, fraîchement arrivée du Portugal, n’a pas trouvé de place chez les pédiatres locaux qui n’acceptent que les nouveau-nés. Elle devra rouler 25 kilomètres pour les faire soigner, alors qu’on habite dans une ville importante. Bon, en cas d’urgence, je les emmènerai à l’hôpital, mais il paraît que la Hotline pédiatrique c’est un sacré Bronx. Comment voulez-vous qu’on s’y retrouve: les médecins praticiens ne pratiquent pas, les médecins de famille ne regroupent pas… les familles, donc on se demande pourquoi ils ont ce titre. Les généralistes ne veulent plus faire de petite chirurgie, et les pédiatres ne veulent pas voir mes enfants… espérons que ça ira avec mon nouveau médecin…»

  

Trouver un médecin de campagne, la croix et la bannière

Ainsi va le monde de la santé dans les régions périphériques où le manque de médecins se fait cruellement sentir et va s’aggraver dans les prochaines années, car nombre de thérapeutes ont la soixantaine et vont prochainement prendre leur retraite. Alors que certaines villes croulent sous les demandes d’installation de médecins étrangers, la plupart des régions vont manquer de bras. Le système actuel, très libéral, ne permet jusqu’à maintenant pas la gestion des installations. Les politiciens, aveuglés par l’augmentation des coûts de la santé, comprenant que l’offre crée la demande et s’imaginant que la démographie médicale en est la seule responsable, ont réagi il y a quelques années par la clause du besoin; ils ont bloqué les ouvertures de cabinets médicaux, toutes spécialités confondues. Cette décision fort discutable a, entre autres, maintenu les jeunes médecins dans les hôpitaux, et ainsi aggravé le manque actuel, spécialement chez les généralistes puisque les internes en ont profité pour se «sur-former».

Actuellement, la libre circulation des personnes permet aux médecins étrangers, de l’Union européenne ou ayant des diplômes reconnus par celle-ci, de s’installer; du coup on voit une masse de collègues fondre sur «L’Eldorado helvétique», essentiellement dans les régions réputées «attractives» de Genève, Bâle et du Tessin.

Afin d’éviter bien de déceptions pour ces confrères, une mauvaise couverture sanitaire et une augmentation des coûts de la santé forcément induite par la pléthore dans les cantons concernés, les autorités locales, conscientes enfin du problème, tentent de mettre en place une régulation qui serait hautement souhaitable. Les autorités fédérales, elles, veulent réintroduire la clause du besoin pour les spécialistes, ce qui nous jettera de nouveau dans cette infernale spirale et ne résoudra pas le problème des manques en périphérie, essentiellement de généralistes.

En fait le glas de la libéralisation à tout crin a sonné et les autorités devraient prendre les choses en main. Je vois quelques pistes:

  • augmenter les facilités d’accès aux études de médecine sans décourager les étudiants motivés. On a besoin de jeunes médecins (et du terroir, osons le dire!);
  • promouvoir la médecine de premier recours (internistes généraux, pédiatres) pendant les études et après celles-ci par des incitatifs financiers et de meilleures possibilités d’installation dans les régions périphériques;
  • gérer l’afflux de médecins étrangers dans les grandes villes en n’agréant pas à tour de bras; imposer par exemple un temps de travail préalable dans la région concernée et exiger la connaissance de la langue nationale parlée à cet endroit, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Offrir la possibilité d’une gestion cantonale des installations;
  • obtenir des statistiques fiables sur les besoins et les ressources. Elles n’existent toujours pas et il faudra y inclure l’ambulatoire hospitalier qui prend, par la force des choses, toujours plus d’importance. C’est normal que les populations se rendent davantage dans les services d’urgence, séduites par leurs plateaux techniques importants et leur disponibilité;
  • redéfinir les systèmes de garde et de médecine d’office en collaboration avec les services hospitaliers, principalement en périphérie; ceci est essentiel pour le maintien de confrères dans ces régions, sinon ils seront vite épuisés, et le sont d’ailleurs déjà. Il faut insister sur les collaborations entre la médecine libérale et les hôpitaux;
  • s’interroger sur les vraies raisons de l’augmentation, inéluctable, des coûts de la santé.

Actuellement la balle est dans le camp des politiciens. Des décisions doivent absolument être prises rapidement et l’introduction d’une nouvelle clause du besoin, même limitée aux spécialistes, est certainement une mauvaise idée. Que dire des assureurs, qui devraient être des acteurs constructifs du système de santé? Désorganisés, éclatés dans une multitude de caisses et de modèles d’assurance, divisés au point que leur organisation faîtière n’est plus représentative dans la majorité des cantons, ils ne sont plus des interlocuteurs valables, et sont ressentis plus comme une force oppositionnelle que constructive.

Il y a toujours dans l’air l’idée d’une caisse unique ou d’une séparation de l’assurance de base et des complémentaires. Les négociations tarifaires sont difficiles et butent sur des calculs d’épicier. On préférerait des réflexions plus approfondies. La «perte de l’obligation de contracter», un fantasme des assureurs (c’est-à-dire, la possibilité qui leur serait donnée de choisir les médecins avec qui ils veulent travailler), n’est certainement pas la bonne réponse aux problèmes de démographie médicale. Les patients sont d’ailleurs très attachés au libre choix de leur thérapeute.

Plaidons plutôt pour une régulation par les autorités, et acceptons-la si elle est à même de régler les graves soucis de couverture sanitaire qui vont être la principale préoccupation de ces toutes prochaines années!

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