Diabète: les inégalités sociales se creusent

Dernière mise à jour 12/10/20 | Article
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Les maladies chroniques sont plus fréquentes dans les couches défavorisées de la population. Une réalité que les politiques de santé ne prennent pas suffisamment en compte, comme le souligne une récente étude menée dans le canton de Genève.

Une belle montre, un grand appartement ou encore des vêtements de marque. Parmi les signes extérieurs de richesse, la santé est rarement évoquée. Pourtant, il s’agit bel et bien d’un marqueur des inégalités socio-économiques, y compris en Suisse. Doté d’un système de santé parmi les plus performants, notre pays ne parvient pourtant pas à niveler ces inégalités. Une étude* récemment publiée dans une revue du groupe British Medical Journal (BMJ) s’est penchée sur le diabète de type 2 (DT2) dans le canton de Genève entre 2005 et 2017. Elle atteste d’inégalités marquées, mais surtout croissantes, entre les catégories socio-professionnelles et selon les lieux d’habitation.

Maladie banalisée

Plus de 450’000 Suisses sont atteints d’un diabète de type 2 (DT2), une maladie chronique en voie de banalisation. «Le DT2 ne fait pas la Une des médias, c’est une maladie silencieuse et beaucoup de personnes ne savent pas qu’on en meurt. Pourtant les complications peuvent être sévères (cécité, amputation, insuffisance rénale, etc.). Et cette banalisation se retrouve aussi chez certains médecins. Or ce n’est pas parce qu’il existe des traitements que le problème est réglé, loin de là», rappelle le Dr François Jornayvaz, responsable de l’Unité de diabétologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et auteur de la publication. Les coûts de cette maladie chronique, sociétaux et individuels, sont très lourds et en croissance constante. D’où l’importance de mieux comprendre ses déterminants afin d’améliorer la prévention.

Les chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE), des HUG et d’Unisanté (Lausanne) ont utilisé pour cette étude les données collectées par le «Bus Santé» (lire encadré), qui permet d’obtenir une photographie représentative de la situation sanitaire et socio-économique des populations, dans les différentes communes du canton ainsi que dans les quartiers de la ville de Genève. «Les statistiques cantonales semblent rassurantes: la prévalence du DT2 est stable, aux alentours de 7%, depuis plusieurs années, relève David Beran, chercheur dans le Service de médecine tropicale et humanitaire des HUG et membre du Centre facultaire du diabète de la Faculté de médecine de l’UNIGE. Mais si l’on s’arrête à ces données macroscopiques, on passe à côté de l’essentiel: comprendre ce qui se passe localement et ajuster les politiques de santé selon les besoins réels des populations. Cette étude apporte des données précieuses car elles sont stratifiées, notamment sur le niveau de formation et les revenus des patients. De plus, elle montre l’évolution des phénomènes dans le temps.»

Un fossé qui se creuse

Sans surprise, ces travaux confirment des inégalités socio-économiques importantes concernant le DT2 au sein de la population genevoise. Sur la période 2015–2017, la prévalence du diabète était de 11,8% parmi les personnes avec les revenus mensuels les plus bas (<5000 chf par ménage) contre 4,7% parmi les plus aisés (>9500 chf par ménage).  «Ces disparités étaient attendues, mais ce qui nous a surpris c’est l’écart entre les populations et le fait qu’il s’est creusé depuis la période 2005-2010», commente le Pr Idris Guessous, médecin-chef du Service de médecine de premier recours des HUG et co-auteur de la publication.

Le niveau de formation est aussi un déterminant de ces inégalités. Et au-delà de la prévalence, la proportion des cas de diabète non diagnostiqués varie aussi selon les couches socio-économiques: les personnes les plus pauvres ignorent plus longtemps leur diabète. Ce sont aussi celles qui présentent le plus de facteurs de risque associés (obésité, tabagisme, hypertension…). «Notre étude constitue un message fort pour les politiques, elle montre que ce qui a été mis en en place jusqu’ici, notamment pour la prévention, n’est pas efficace, estime François Jornayvaz. Il faut sortir des messages "one size fits all" qui ne changent rien.»

«Casser» les vulnérabilités

Pour Idris Guessous, cibler les messages et les actions de prévention vers ceux qui en ont le plus besoin est fondamental et surtout possible. «Nous avons clairement identifié les populations vulnérables et elles ne sont pas éparpillées dans le canton! Il faut donc accepter de sortir de la pensée de la responsabilité individuelle et regarder en face les facteurs structuraux qui nourrissent ces inégalités. Quand il y a de telles fractures socio-économiques, ce n’est pas que du ressort de l’individu!» Réduire ces inégalités passe notamment par des actions sur le cadre de vie des populations vulnérables. «L’obésité et le diabète sont favorisés par l’environnement urbain, qui a un impact sur la nourriture à laquelle on a accès et sur la possibilité de faire de l’activité physique. Mais on sait aussi qu’il existe des liens entre le DT2 et le stress par exemple. Il faut donc agir globalement sur l’amélioration du cadre de vie pour avoir un impact sanitaire», insiste David Beran. Des études ont aussi mis en évidence des associations entre diabète et pollution atmosphérique ou bruit ambiant.

Améliorer les connaissances sur l’hygiène de vie et favoriser l’accès à une nourriture saine pour tous est également une étape incontournable. «Les enfants doivent apprendre à l’école comment être et rester en bonne santé physique et mentale. Ce sont des messages utiles toute notre vie et qui ne sont pas délivrés, regrette François Jornayvaz. C’est pourtant le seul moyen de "casser" ces vulnérabilités pour qu’elles ne se transmettent pas de génération en génération.»

Responsabilité collective

Autant d’actions qui nécessitent une prise de conscience de la part des décideurs et une réorientation des politiques de santé. Mais pour Carlos de Mestral, épidémiologiste post-doctorant à l’Université de Lausanne et auteur de ces travaux, la responsabilité est collective, les citoyens doivent aussi s’intéresser aux enjeux de santé. «On a tendance à penser que si on est malade, c’est notre problème et, a contrario, que si nous allons bien, c’est grâce à notre comportement. Mais ces inégalités de santé nous concernent tous. Et en particulier en tant qu’électeurs, nous devons demander des comptes aux élus.» Les scientifiques espèrent que la pandémie de Covid aura réveillé les consciences sur les enjeux de santé publique. «Face à cette crise, des décisions majeures et coûteuses ont été prises très rapidement, commente François Jornayvaz. Les maladies infectieuses font toujours plus peur que les maladies chroniques, mais le diabète tue plus que le coronavirus et chaque année, sans relâche. Il est donc plus que temps d’agir!»

Le «Bus Santé»: une pépite pour l’épidémiologie

Peut-être avez-vous déjà croisé un gros camion blanc estampillé «Bus Santé»? Ce laboratoire de recherche mobile des HUG existe depuis 1993 et est aujourd’hui dirigé par la Dre Silvia Stringhini. «C’est rare et passionnant de pouvoir travailler sur des données comme celles du Bus Santé», s’enthousiasme Carlos de Mestral, épidémiologiste post-doctorant à l’Université de Lausanne. Cette étude longitudinale de la population genevoise fournit une cartographie fine du canton qui permet de voir ce que les statistiques globales occultent. Les participants ne sont pas suivis individuellement mais chaque année de nouveaux volontaires sont ajoutés à la cohorte qui cumule déjà plus de 20'000 personnes. «L’idée a été importée des Etats-Unis. Elle visait à aller au plus près des habitants pour collecter des paramètres biomédicaux, explique le Pr Idris Guessous, médecin-chef du Service de médecine de premier recours des HUG. Il faut reconnaître la vision politique de l’époque et se réjouir qu’il y ait eu depuis une volonté constante de maintenir ce programme.»

La récente crise sanitaire liée au SRAS-CoV-2 a démontré l’importance du Bus Santé. En quelques semaines, les chercheurs ont réussi à mettre sur pied un protocole pour évaluer l’exposition de la population genevoise au virus. Les premières données de l’étude SEROCoV-POP, publiées dans The Lancet**, ont permis de mieux comprendre la dynamique de l’épidémie et l’immunité de la population, des éléments clés pour guider les autorités de santé.

** Stringhini S, Wisniak A, Piumatti G et al. Seroprevalence of anti-SARS-CoV-2 IgG antibodies in Geneva, Switzerland (SEROCoV-POP): a population-based study. The Lancet 2020;396: 313-9. Disponible sur: https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(20)31304-0/fulltext

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* De Mestral C, Stringhini S., Guessous I., Jornayvaz FR. Thirteen-year trends in the prevalence of diabetes according to socioeconomic condition and cardiovascular risk factors in a Swisspopulation. BMJ Open Diab Res Care 2020;8:e001273. Disponible sur:https://drc.bmj.com/content/bmjdrc/8/1/e001273.full.pdf. Etude financée par la Fondation pour la recherche sur le diabète

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Paru dans Le Matin Dimanche le 13/09/2020.

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