Pr Ralf Jox: «Nos avis sur les questions bioéthiques ont un énorme impact sur la société et la politique»

Dernière mise à jour 28/11/19 | Questions/Réponses
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Passionné par diverses disciplines, le Pr Ralf Jox a de multiples casquettes. Responsable de l’Unité d’éthique clinique et co-titulaire de la chaire des soins palliatifs gériatriques du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), il est aussi professeur d’éthique médicale au sein de l’Institut des humanités en médecine à la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne. Un profil atypique qui lui a valu d’être nommé, en mai 2019, membre de la Commission nationale d’éthique pour la médecine humaine.

Bio express

1974 Naissance à Weingarten, dans le sud de l’Allemagne.

2001 Bachelor en philosophie, Ecole de philosophie de Munich, Allemagne.

2002 Diplôme de médecine, Université Ludwig-Maximillian (LMU) de Munich.

2008 Thèse de doctorat en éthique médicale à l’Université de Bâle.

2013-2018 Vice-Directeur de l’Institut d’éthique, d’histoire et de la théorie de la médecine, LMU, Munich.

2016 Professeur associé et co-titulaire de la chaire de soins palliatifs gériatriques au Service des soins palliatifs et de support du CHUV.

2018 Professeur associé en éthique médicale à l’Institut des humanités en médecine de la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne et responsable de l’Unité d’éthique clinique du CHUV.

Mai 2019 Nommé membre de la Commission nationale d’éthique pour la médecine humaine.

Vous êtes spécialiste d’éthique médicale, de médecine palliative et de neurologie. Cela fait beaucoup pour un seul homme!

Pr Ralf Jox   (rires) J’ai toujours voulu être interdisciplinaire. Quand j’ai commencé mes études de médecine, j’ai trouvé le domaine un peu étroit. J’ai donc pris des cours de théologie et d’éthique et j’ai suivi un bachelor de philosophie. Ensuite, je suis parti à Londres faire un master d’éthique et de droit médical. Quand je suis retourné en Allemagne (son pays d’origine, ndlr), j’avais envie de connaître la pratique médicale. Comme le cerveau me fascinait, j’ai suivi une formation en neurologie à l’Hôpital universitaire de Munich. Là, j’ai rencontré un neurologue qui créait une unité de soins palliatifs et j’ai collaboré avec lui. Puis j’ai travaillé plusieurs années dans un institut universitaire d’éthique médicale à Munich.

Lorsqu’on se destine à la médecine, il n’est pas fréquent d’étudier aussi la philosophie. Pourquoi ce choix?

Les études de médecine demandent beaucoup de mémorisation. La philosophie m’a donné la possibilité de réfléchir autrement. En fait, les deux disciplines sont complémentaires à mes yeux car, ce qui m’intéresse, c’est l’être humain dans sa globalité. Avec son corps, mais aussi son âme, sa personnalité, ses pensées. Je ne considère pas la philosophie comme une tour d’ivoire, mais comme une activité qui favorise les délibérations et les réflexions communes, comme celles qui se pratiquaient à l’Agora, dans la Grèce antique.

Vous avez mené diverses recherches en bioéthique. Sur quelles thématiques?

L’un des domaines auxquels je me suis intéressé est celui des questions éthiques qui se posent dans la pratique clinique quotidienne. Dans ce cadre, j’ai publié une étude sur le conflit potentiel entre les directives anticipées et le consentement d’une personne à donner ses organes.

D’où vient ce conflit?

D’un côté, on souhaite éviter de mourir dans un service de soins intensifs, mais de l’autre, on veut être donneur d’organes, ce qui nécessite inévitablement de passer par ce type de service. Nous avons mené une enquête parmi des personnes âgées et nous avons constaté que les deux-tiers de celles qui avaient rédigé des directives anticipées et disaient vouloir donner leurs organes, n’avaient pas conscience de ce conflit potentiel.

Vous avez aussi travaillé sur d’autres sujets…

Oui, sur la fin de vie, c’est-à-dire sur les questions qui tournent autour de la mort et de son anticipation. Par ailleurs, je m’intéresse à l’impact des technologies sur la médecine. Je suis notamment impliqué dans un projet de recherche international sur les interfaces cerveau-ordinateur, comme celles qui permettront à des patients paralysés de déplacer leur chaise roulante uniquement par leur pensée. Ce type de technologie, en lien avec l’intelligence artificielle, pourrait révolutionner la médecine.

Pensez-vous que c’est votre profil atypique qui a conduit à votre nomination à la Commission nationale d’éthique (CNE) pour la médecine humaine?

Entre autres oui, puisque je suis à la fois éthicien et clinicien. C’est aussi peut-être parce que je connais différentes cultures. J’ai travaillé ou étudié en Allemagne, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis.

Comment est composée cette commission?

Elle renferme quinze membres, nommés par le Conseil fédéral, qui viennent d’horizons très variés. On y trouve des juristes, des éthiciens professionnels, des médecins, des soignants et des théologiens. Il y a des hommes et des femmes originaires de différents cantons.

Quel est son rôle?

Elle a pour mission de produire des rapports à l’intention du Conseil fédéral, du Parlement et de la société. Elle doit aussi animer le débat public à travers les médias, l’organisation de conférences publiques, etc. Ses avis sont uniquement consultatifs.

Quelles sont les principales thématiques abordées?

Celles qui reviennent souvent concernent la fin de vie, la procréation médicalement assistée et la médecine de transplantation. La Commission avait déjà publié en 2013 un avis sur cette dernière question, mais elle y revient à l’occasion du dépôt de l’initiative populaire «Pour sauver des vies en favorisant le don d’organes». Celle-ci vise à modifier la Constitution pour remplacer le consentement explicite actuel par le consentement présumé (on peut prélever des organes si la personne ne s’y est pas opposée de son vivant).

Pourquoi discuter de la procréation médicalement assistée (PMA), puisqu’en Suisse, il existe déjà une loi sur le sujet?

Les lois de ce type ne sont pas éternelles, étant donné les rapides développements de la science et de la société. Il y a de plus en plus de couples non-traditionnels ou des individus qui veulent utiliser les moyens de la médecine pour avoir des enfants, voire des enfants d’un certain type.

La CNE peut-elle s’autosaisir des sujets dont elle discute, où répond-elle aux demandes du monde politique?

Les deux sont possibles. Dans le cas du don d’organes, l’initiative vient du peuple. Mais nous pourrions aussi nous autosaisir d’une thématique si nous constations par exemple qu’elle fait débat dans la littérature scientifique ou dans la pratique clinique.

Quand le Conseil fédéral, ou le Parlement, vous demande un avis, le suit-il?

J’ai l’impression que la Commission est écoutée et respectée. Cela dit, c’est la nature même de l’éthique de faire l’objet de controverses. On ne peut pas viser le consensus parfait. Nous voulons surtout alimenter la discussion en fournissant des données issues des sciences naturelles, humaines et sociales, en informant sur ce qui se fait dans d’autres pays. Nous souhaitons aussi apporter des arguments et d’autres regards.

Comment voyez-vous votre rôle au sein de la CNE?

Comme tous les autres membres, je ne représente ni un parti politique, ni une école de philosophie, ni une partie de la population. Je pense que je peux apporter aux débats mon expertise professionnelle, notamment en soins palliatifs et en neurologie, et mon expérience internationale.

Cette nouvelle fonction représente-t-elle un défi?

Le principal défi vient du fait que nos avis ont un énorme impact sur la société et la politique. Au niveau national, mais aussi au-delà, car les pays voisins s’intéressent à ce que nous faisons. Nous devons donc peser nos arguments et rester très prudents dans ce que nous écrivons. C’est donc pour moi un challenge dont je me réjouis.

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Paru dans Planète Santé magazine N° 36 - Décembre 2019

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