Réparer le cerveau… et après?

Dernière mise à jour 12/10/21 | Article
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Traumatisme crânien, tumeur, accident vasculaire cérébral… quand le cerveau est atteint, tout l’être peut être touché. Les défis sont alors multiples: réapprendre à marcher, à parler, parfois à gérer ses émotions. Chirurgie high-tech, rééducation incluant une robotique 2.0, suivi psychologique, aide au retour à la vie professionnelle: les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) misent sur une prise en charge multidisciplinaire alliant technologie et accompagnement au plus près de l’humain.

Le chiffre

31 % des personnes victimes d’un AVC font ensuite une dépression.

Est-il possible de réparer le cerveau? «Le réparer non, bien sûr, du moins pas au sens de remplacer une structure lésée par une autre, mais intervenir pour préserver un maximum les tissus sains et l’aider à se remoduler, cela oui. Et même de mieux en mieux, grâce à l’avancée des connaissances sur le cerveau et au développement incessant de nouvelles techniques», explique le Pr Armin Schnider, médecin-chef du Service de neurorééducation des HUG. Tout commence par la prise en charge, souvent dans un contexte d’urgence.

«Lors d’un phénomène aussi brutal qu’un accident vasculaire cérébral ou une rupture d’anévrisme, les premiers instants sont cruciaux, mais aussi délicats. Car lorsque le cerveau est atteint, une multitude de mécanismes s’active instantanément. Il y a parmi eux des phénomènes délétères qu’il faut rapidement pouvoir stopper, mais également des processus d’autoréparation qui sont à préserver à tout prix. Ces stratégies à l’équilibre souvent subtil relèvent d’une discipline nouvelle, la neuroprotection», explique le Pr Hervé Quintard, médecin adjoint agrégé, responsable de l’Unité de neuroréanimation des HUG.

Henrik, 39 ans, agent administratif: «Cet AVC m’a appris à m’écouter»

«J’avais seulement 37 ans, j’étais sportif et je menais une vie saine. Alors, quand les premiers troubles sont survenus, je n’ai pas imaginé une seconde que j’étais en train de faire un AVC. Et c’est pourtant ce qu’a révélé l’IRM… cinq jours plus tard. J’avais mis maux de tête, confusion et troubles visuels sur le compte de la fatigue, alors qu’un caillot était en train d’asphyxier une partie de mon cerveau. Quand je suis arrivé aux HUG, le mal était fait. J’ai été mis sous surveillance pendant trois jours. Puis j’ai commencé la rééducation à Beau-Séjour. Le suivi par l’équipe de neurologues, neuropsychologues, psychologues, physiothérapeutes, ergothérapeutes a vraiment été incroyable, mais remonter la pente a pris du temps. Je me rappelle ce jour où on m’a demandé: "3 x 6?". Et là, le vide. Il ne s’est absolument rien passé dans mon cerveau. J’ai alors compris que c’était grave et que j’allais devoir me battre pour revenir. Depuis? Ma vie a radicalement changé. Cet AVC m’a appris à m’écouter et à identifier mes besoins pour me sentir bien. J’ai peu de séquelles physiques, mais je dois composer avec un fait nouveau: la gestion chaotique des émotions par mon cerveau. Pour cela, comme pour la reprise du travail, le suivi thérapeutique que je poursuis aux HUG est extrêmement précieux.»

La suite se dessine ensuite au cas par cas. «Il est rarement possible de prédire l’état de santé et de récupération d’un patient à la seule lecture des images (scanner, IRM, etc.) des zones cérébrales touchées. De nombreux paramètres entrent en ligne de compte», poursuit le Pr Schnider. À commencer par ce qui se joue au bloc opératoire. «Depuis une dizaine d’années, la technologie a révolutionné la prise en charge des lésions cérébrales et les progrès sont spectaculaires», se réjouit le Pr Karl Schaller, directeur du NeuroCentre et chef du Département des neurosciences cliniques des HUG. Modélisation préopératoire, surveillance en temps réel des fonctions motrices et neurologiques, assistance high-tech par le biais de signaux visuels et acoustiques: «L’ensemble des outils à disposition, inimaginables il y a dix ou vingt ans, nous permet de nous approcher au plus près des structures à opérer tout en minimisant les dommages», indique le Pr Philippe Bijlenga, médecin adjoint agrégé au service de neurochirurgie des HUG. À la clé, moins de risques opératoires, moins de séquelles aussi.

Amir, 40 ans, agent de sécurité: «Au départ, nous avons l’impression d’avancer d’un pas et de reculer de deux»

«Il y a un an, ma vie a basculé. J’étais dans la rue et j’ai eu une sensation bizarre au niveau de la tête. Le malaise est devenu si fort que je me suis rendu dans un service d’urgences. Et tout s’est enchaîné: après avoir fait sur place une crise d’épilepsie, j’ai passé une IRM et on m’a diagnostiqué une tumeur au cerveau. J’ai alors été transféré aux HUG. Puis, ont suivi l'opération, les séances de chimiothérapie, de radiothérapie et la rééducation. La prise en charge a été formidable, mais cela reste une épreuve lourde. Au départ, nous avons l’impression d’avancer d’un pas et de reculer de deux. J’ai dû arrêter de travailler pendant un an. Aujourd’hui, je reprends progressivement, mais je dois composer avec un état de fatigue qui peut être écrasant. Je suis aussi devenu plus sensible, ce qui est parfois déroutant, mais plutôt bien ! J’essaye surtout d’accepter de ne pas avoir de réponse aux questions qui m’ont longtemps hanté: "Pourquoi moi?", "Cela était-il évitable?". Je ne le saurai jamais. Je revis, c’est tout ce qui compte.»

Un long chemin à parcourir

Mais un fait demeure: après une atteinte sévère du cerveau, le chemin à parcourir peut être long. Il s’agit alors de composer avec les lésions, qu’elles soient directement ou indirectement liées à la pathologie ou l’incident survenu. C’est ainsi que peuvent apparaître des séquelles physiques, cognitives, des troubles de la mémoire, comportementaux (agressivité, perte d’empathie, etc.), mais également douleur ou fatigue. Si certains troubles sont bien connus – la dépression par exemple touche 31 % des personnes victimes d’un AVC –, d’autres sont plus rares. «Certains patients rapportent des sensations émotionnelles ou olfactives décuplées. Ce genre de phénomène peut s’expliquer par la zone opérée, le système limbique par exemple, qui est notamment le siège de la régulation des émotions. De nombreuses recherches sont en cours pour mieux comprendre ces effets complexes et les limiter au maximum», indique le Pr Schaller.

José, 55 ans, directeur de production dans une entreprise horlogère: «Je marchais avant, je voulais marcher après»

«Après mon AVC l’été dernier et le coma de deux semaines qui a suivi, j’ai été déconnecté de la vie réelle pendant quatre mois. En arrivant en neurorééducation à Beau-Séjour, je n’avais qu’une obsession: retrouver mon autonomie. Je marchais avant, je voulais marcher après. Et pas question de me déplacer avec un déambulateur ou faire mes courses avec un bâton nordique. Tout le côté gauche de mon corps était paralysé, alors il a fallu travailler dur pour réapprendre certains gestes, réentraîner le cerveau. Mais je pars du principe que tant que nous ne sommes pas morts, il y a des solutions à tout. La rééducation, si on est capable et motivé, peut vraiment se muer en programme digne d’un sportif de haut niveau. L’équipe soignante a été exceptionnelle, tout comme ma compagne et nos enfants, qui ne m’ont jamais lâché. Si je suis le même qu’avant? Oui, à peu près, avec 17 kg de moins, quelques troubles de l’équilibre et une fatigue qui m’embête en fin de journée. Mais j’ai pu reprendre le travail – à temps réduit pour le moment. Et oui, un changement quand même: maintenant je cuisine!»

Puis la neurorééducation entre en scène. «L’objectif ultime est bien sûr de viser une récupération totale des fonctions perdues, mais cela n’est pas toujours possible», note le Pr Schnider. Là encore, de nombreux paramètres sont à prendre compte: «La lésion elle-même, les interventions subies, l’état de santé physique et psychique de la personne avant l’incident, ses ressources personnelles et résiduelles ou encore son environnement familial», détaille l’expert. Et d’ajouter: «Notre objectif est d’adapter au cas par cas les thérapies proposées et viser la meilleure qualité de vie possible.» Pour y parvenir, l’arsenal thérapeutique est vaste et implique une équipe multidisciplinaire : ergothérapie, physiothérapie, suivi psychologique ou utilisation des nouvelles technologies (robotique, réalité virtuelle...). Et un curseur clé pour les professionnels : trouver le bon dosage. « Les séquences d’entraînements proposées doivent être suffisamment poussées pour défier les patients et les aider à être le plus indépendants possible dans leurs activités de la vie quotidienne, sans être décourageantes pour autant. La motivation est essentielle mais fragile car la neurorééducation est un processus exigeant et de longue haleine », rappelle Raphaël Brost, ergothérapeute.

Sylvie, 55 ans, assistante de direction et compagne de José: «Je me suis découvert une force que je ne connaissais pas»

«Le jour où José est sorti du coma, j’ai vu dans ses yeux une détermination inouïe. Le déclic a été immédiat : connaissant sa force de caractère, je savais qu’il s’en sortirait. Alors, je me suis dit qu’on allait se battre ensemble, avec nos enfants, et que tout irait bien. Quinze jours plus tôt, nous étions en vacances au Portugal et il s’écroulait, victime d’un AVC. Deux semaines de coma, une trachéotomie, des lésions aux reins et aux poumons, une hémiplégie du côté gauche: la situation était critique. Mais son état s’est stabilisé et a permis qu’il soit rapatrié aux HUG. À partir de là, ses progrès ont été incessants. Je suis profondément reconnaissante au personnel médical qui a été incroyable. J’ai mis ma vie entre parenthèses et cessé de travailler plusieurs mois pour être à ses côtés et gérer le quotidien. Quand je l’encourageais, je crois que je m’encourageais moi aussi. Nous sommes ensemble depuis dix-sept ans. Cette épreuve nous a soudés plus que jamais. Elle nous a un peu changés aussi: José est devenu plus sensible et moi, je crois, plus sûre de moi. Au fil des mois, je me suis découvert une force que je ne connaissais pas.»

Tout au long du parcours, le facteur «temps» est lui aussi déterminant. «Il est important de mobiliser rapidement les fonctions résiduelles et de compenser celles qui ont été perdues. Notre meilleure alliée est la plasticité neuronale, autrement dit la capacité du cerveau à se réorganiser pour apprendre et ainsi contourner une difficulté. Il n’est pas toujours envisageable de retrouver une fonction perdue, mais il est possible de développer des compétences nouvelles. Cela demande toutefois un grand investissement de la part du patient, de l’équipe interdisciplinaire et de l’entourage également. Il est souvent question des cent premiers jours. En effet, ils sont cruciaux. Mais des progrès restent possibles tout au long de la vie», conclut le Pr Schnider.

Zoom sur la stimulation cérébrale profonde

La technique a révolutionné la prise en charge de nombreuses personnes atteintes de mouvements anormaux, causés notamment par la maladie de Parkinson. Son principe: moduler l’activité de certains circuits cérébraux par le biais d’une stimulation électrique de haute fréquence. «Il s’agit en quelque sorte de brouiller le message dans ces régions devenues anormalement hyperactives», explique le Pr Shahan Momjian, médecin adjoint agrégé au Service de neurochirurgie des HUG. Pour ce faire, des électrodes sont introduites dans une zone profonde du cerveau, siège de ces dysfonctionnements. 

«Il y a plus de trente ans, la méthode était beaucoup plus radicale, puisqu’elle reposait sur la destruction chirurgicale de certaines de ces régions, ce qui n’était pas toujours sans certaines conséquences pour les patients. Aujourd’hui, nous obtenons d’excellents résultats: l’intervention a généralement peu d’effets secondaires et atténue suffisamment les symptômes, comme les tremblements, pour permettre de diminuer, parfois même stopper, la prise de médicaments», indique le spécialiste. L’intervention reste relativement lourde et complexe et, pour la maladie de Parkinson, elle ne peut aujourd’hui être proposée qu’aux patients et patientes âgées de moins de 70 ans et ne présentant pas de déclin cognitif. «Pour les personnes plus fragiles, de nouvelles techniques, reposant sur des ultrasons, se développent et montrent des résultats également très encourageants», se réjouit le Pr Momjian.

Langage, émotions, perception: retrouver ce que nous avons perdu

Directement liés à la lésion cérébrale, consécutive à l’intervention chirurgicale, au choc de l’épreuve ou à une combinaison du tout, une multitude de symptômes sont susceptibles de bouleverser les facultés mentales et cognitives. Peuvent ainsi survenir troubles du langage, de l’attention, de la perception du corps, de la mémoire ou encore du comportement. Et le plus troublant: en l’absence parfois de toute conscience du problème par la personne concernée. «Il peut être très difficile pour les patients de réaliser qu’une aptitude a disparu ou changé, car bien souvent la région cérébrale impliquée dans une fonction est aussi celle qui porte la conscience de celle-ci. Dès lors, si un aspect est modifié, l’autre l’est aussi», explique le Pr Radek Ptak, responsable du secteur neuropsychologie-logopédie du Service de neurorééducation des HUG. C’est donc un suivi multidisciplinaire au cas par cas, souvent long et parfois semé d’embûches, qui est envisagé. «Suivi neuropsychologique, logopédique ou encore entraînement sur ordinateur aident le cerveau à retrouver certaines facultés. Mais au fil du temps les progrès vont de pair avec une prise de conscience de la situation. Les patients sortent du brouillard en quelque sorte. Un soutien psychothérapeutique peut alors être proposé pour surmonter ces moments charnières, qui sont essentiels, mais douloureux», conclut le Pr Ptak.

Retrouver le chemin du travail

L’orage est passé: retour à la maison, hôpital de jour peut-être et, pour les personnes encore en âge de travailler, une obsession souvent: reprendre l’activité professionnelle, idéalement là où elle avait été laissée. «Dans le meilleur des cas, c’est ce qui arrive. Notre mission est de tout faire pour aider les patients en ce sens. Mais malheureusement, après une atteinte cérébrale, beaucoup doivent composer avec une situation physique, cognitive, psychique qui a évolué et qui n’est pas toujours compatible avec l’exigence du monde professionnel», explique Noemi Troyon, ergothérapeute. Aux HUG, une équipe d’ergothérapeutes spécialistes en insertion professionnelle a ainsi pour mission d’évaluer les possibilités de retour à l’emploi, de proposer des séances de réentraînement, d’accompagner la reprise pas à pas et d’envisager les adaptations qui s’imposent si besoin. «Nous travaillons de concert avec l’employeur, les assurances compétentes (assurances perte de gain et AI) et assurons le suivi jusqu’à la stabilisation de la situation. Les processus peuvent être longs, mais ils en valent la peine: la reprise professionnelle est pour de nombreux patients le prérequis indispensable pour retrouver une qualité de vie satisfaisante», constate Noemi Troyon.

La réalité virtuelle s’invite au bloc opératoire

Plongée dans la salle hybride des HUG où les opérations du cerveau se déroulent désormais de plus en plus avec l’appui d’un paramètre nouveau: la réalité augmentée. Un air de science-fiction très vite occulté lors des interventions par la précision inouïe de l’équipe médicale à l’œuvre. L’un des plus fervents partisans de cette technologie 2.0, le Dr Julien Haemmerli, chef de clinique au Service de neurochirurgie, vient d’être récompensé d’un prix lors de la Journée de la recherche clinique des HUG pour ses travaux. «Nous avons mis en évidence que la réalité augmentée accroît notablement la sécurité et la précision du geste opératoire», explique le neurochirurgien. Si elle repose sur l’introduction d’objets virtuels dans un champ visuel réel – à l’instar de la vitesse s’affichant sur un parebrise de voiture par exemple –, la réalité augmentée prend une dimension spectaculaire au bloc opératoire. «Avant l’opération, nous réalisons une série de modélisations à partir des images IRM, scanner, radiographies, etc. du patient ou de la patiente. Ainsi, sa peau, son crâne, ses artères et surtout la lésion à opérer se muent sur écran en objets virtuels que nous pouvons visualiser séparément. Implémentées dans le microscope et les écrans connectés, ces images guident alors le geste opératoire tout au long de l’intervention», poursuit le spécialiste. Et la prouesse va plus loin encore : soutenue par un système de caméras, la neuronavigation s’ajuste en temps réel. «Nous parlons dès lors de réalité mixte», note le Dr Haemmerli. Une intervention plus sûre et précise, moins invasive aussi, comme le confirme l’expert: «Avec ces modélisations, nous visualisons à l’avance la trajectoire optimale de l’intervention, limitant ainsi considérablement les incisions et possibles dommages opératoires.»

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Article repris du site  pulsations.swiss

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