Pepsi, Coca: les consommateurs doivent-ils avoir peur?
L’association fait valoir que des études expérimentales de toxicologie, faites sur des souris et des rats de laboratoires, montrent que l’administration d’une certaine substance, le 4-méthylimidazole ou 4-MEI, entraîne l’apparition de cancers du foie, du poumon et de la thyroïde. C’est lors de la transformation du sucre en caramel que cette substance est produite. Car l’industrie alimentaire (et des boissons) ne fait pas comme chacun d’entre nous dans sa cuisine. Pour fabriquer le caramel qui lui sert de colorant, elle ajoute, en plus du sucre et de la chaleur, du sulfite d’ammonium. Or, à la fin de la réaction, il apparaît non seulement du colorant mais aussi des substances type 4-MEI. C’est ce «colorant de caramel chimiquement modifié», comme l’appelle le CSPI, qui pourrait être à l’origine d’un possible problème majeur de santé publique.
L’affaire a éclaté aux Etats-Unis mais a vite pris une dimension planétaire puisque les deux boissons visées sont consommées chaque jour à travers le monde par des dizaines de millions de personnes. C’est en Californie que la réaction a été la plus radicale. Les autorités de l’Etat ont en effet placé les fabricants devant un choix simple: soit apposer un logo avertissant les consommateurs du risque de cancer auquel ils s'exposent, soit modifier la composition de leurs boissons.
«En réalité la toxicité cancérigène du 4-MEI a été établie de manière expérimentale au milieu des années 2000, rappelle le Pr Jacques Diezi, spécialiste de pharmacologie et toxicologie à l’Université de Lausanne. Lors des processus de fabrication, cette substance vient contaminer un type de caramel utilisé à des fins non pas gustatives, mais pour ses propriétés colorantes dans des boissons industrielles ou dans des sauces soja par exemple. Il est indiscutable que ce 4-MEI est un cancérigène, mais d’un point de vue sanitaire toute la question est celle des doses absorbées et de la durée de l’exposition.»
Un seuil limite de tolérance?
Au vu des premières données expérimentales établies sur les rongeurs de laboratoire, de nombreuses précautions ont été prises pour définir un seuil à ne pas dépasser dans les boissons destinées à la consommation humaine. Diverses interprétations, très variables, sont toutefois faites sur ce sujet. Aux Etats-Unis, l’agence de contrôle – la célèbre FDA – estime que des effets négatifs pour la santé dus à ce toxique n’apparaissent qu’après l’ingurgitation de plus de 1000 canettes de Coca par… jour. En Europe, Bruxelles a confirmé l’année dernière que le seuil tolérable de 4-MEI pour une canette de Coca de 33 centilitres est de 80 mg, soit 550 fois plus que ce que contient actuellement une canette. Et l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a estimé que les concentrations maximales établies par l’Union européenne offraient «un niveau de protection suffisant». Une analyse de la situation que partagent les autorités sanitaires suisses.
Il n’en reste pas moins que cette affaire soulève une question pratique de première importance: les consommateurs doivent-ils être informés de la totalité des éléments présents dans la composition des aliments fabriqués à l’échelon industriel? Ou peut-on à l’inverse imaginer que ne soient autorisés à la commercialisation que les aliments dont les autorités sanitaires ont jugés qu’ils sont sans danger. «C’est cette solution qui a été adoptée en Suisse, observe le Pr Diezi. Il en va différemment dans l’Union européenne où des mesures d’avertissement aux consommateurs ont été décidées alors même que le risque n’a pas été scientifiquement établi par les instances sanitaires en charge de ces questions».
Une autre question majeure soulevée par l’affaire est celle de la valeur des tests qui sont aujourd’hui pratiqués pour déterminer s’il y a ou non risque cancérigène. Les principales substances issues de l’industrie chimique ont été découvertes il y a un siècle ou plus. Les tests de toxicologie ont été mis au point il y trois quarts de siècle et développés sur des animaux de laboratoire. Depuis, rien, ou presque, n’a changé. Et ce alors que le nombre de composés «artificiels» n’a jamais été aussi grand qu’aujourd’hui dans les aliments comme dans l’environnement. L’affaire des «caramels du Coca» vient à sa manière dire qu’il y a urgence à rafraîchir tout ceci.
Distinguer le caramel et les caramels
Lorsqu’il est élaboré à domicile, le caramel résulte de la fonte de morceaux de sucre. La cuisson se fait alors à feu vif. Il s’agit d’obtenir une substance aux propriétés gustatives généralement très appréciées. Pour ce qui est des caramels industriels de l’agro-alimentaire, ils ne sont pas quant à eux fabriqués pour obtenir une saveur sucrée mais plutôt pour créer une couleur particulière, couleur tenue pour être susceptible d’attirer le consommateur.
Dans le monde industriel, on ajoute volontairement de l'ammonium (ce qui donne un «colorant caramel ammoniacal» ou E150c), ou du sulfite d'ammonium («colorant caramel au sulfite d'ammonium, ou E150d). Lors de ces processus, les caramels peuvent alors être contaminés par des substances comme le 4-MEI dont on a établi par ailleurs les propriétés cancérigènes. Interdire de tels caramels imposerait aux fabricants de revoir l’ensemble de leurs techniques de fabrication et, sans doute, de devoir modifier l’apparence de leurs produits, ce qu’ils se refusent généralement à faire.
Colorants: attention aux enfants
Depuis le mois de juillet 2010, les denrées alimentaires commercialisées dans l’Union européenne contenant les colorants:tartrazine E102, jaune de quinoléine E104, jaune orangé S E110, carmoisine E122, Ponceau 4R E124 et rouge Allura AC E129 doivent porter la mention «peut avoir des effets indésirables sur l’activité et l’attention chez les enfants». Cette mesure a été décidée après la publication d’une étude, fin 2007, dans laquelle des chercheurs anglais de Southampton concluaient à l’existence d’un lien entre ces colorants et le syndrome d’hyperactivité d'enfants âgés de trois à huit ou neuf ans. Après avoir analysé les résultats de l'étude, l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) et l'Autorité européenne en charge de la sécurité alimentaire en ont vivement contesté les conclusions. Bruxelles a néanmoins imposé une mise en garde des consommateurs. Le droit suisse des denrées alimentaires ne prescrit quant à lui aucune mise en garde.
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