Poids et cancer du sein, le cercle vicieux
En deux mots
- Les traitements anticancer peuvent occasionner une prise de poids chez certaines patientes soufrant d’un cancer du sein.
- Cet effet secondaire varie énormément entre les patientes, le type de tumeur, le type de traitement, etc. Son impact sur le pronostic de la maladie est incertain.
- C’est surtout l’obésité au moment du diagnostic qui peut avoir une influence négative sur l’incidence et le pronostic du cancer.
- Une alimentation et de l’exercice physique adaptés peuvent aider à maintenir ou perdre du poids. Et ceci dès le début des traitements.
Les traitements anticancer ont-ils un effet sur la charge pondérale?
Dr Khalil Zaman: Il n’est pas rare de voir les patientes prendre du poids durant le traitement. Pour la majorité d’entre elles, la prise pondérale a lieu au cours des premières années et est suivie par une stabilisation. Selon la littérature médicale, il existe toutefois de nombreux cas de figure. Par exemple, chez les patientes qui ne reçoivent qu’une hormonothérapie adjuvante (visant à réduire le taux ou l’effet des œstrogènes), les études montrent que 40% d’entre elles conservent un poids relativement stable voire même en légère diminution. Un peu plus de la moitié a tendance à en prendre de manière modérée, typiquement 5% de son poids de base. La proportion qui reste, vers 10%, prend davantage de poids. Les chiffres peuvent varier selon les populations étudiées et les régions (États-Unis, Europe, Asie…).
Qu’en est-il de la chimiothérapie?
La chimiothérapie semble favoriser la prise de poids, surtout chez les patientes non-ménopausées. Quant aux femmes qui prennent une substitution hormonale après la ménopause, elles doivent interrompre ce traitement après leur diagnostic. Dans ce cas, elles ont un passage effectif à la ménopause avec ou sans traitement anticancer.
Quelle est la cause de cette prise de poids?
On pense que la prise de poids est due au fait que ces traitements font chuter les taux d’œstrogènes, comme la ménopause naturelle. On remarque aussi une redistribution de la graisse corporelle des hanches vers l’abdomen. Le fait de prendre du ventre, un peu comme les hommes, peut donner l’impression de grossir, même si ce n’est pas le cas. Cela dit, toutes les femmes ne réagissent pas de la même manière.
Pourquoi?
On ignore la raison de ces différences. De multiples facteurs peuvent intervenir, comme le jeune âge, le type de chimiothérapie ou d’hormonothérapie, les changements du régime alimentaire, le contexte socio-économique, les éventuels troubles de l’humeur, la capacité physique, les changements métaboliques et possiblement des facteurs génétiques. Après le choc du diagnostic d’un cancer, certaines femmes prennent la résolution d’arrêter de fumer. C’est une bonne décision qui peut néanmoins être associée à une prise pondérale. La réponse hormonale aux traitements peut elle aussi varier d’une personne à l’autre, tout comme l’apparition de douleurs articulaires ou de myalgies qui réduisent la capacité de bouger. En général, l’exercice physique réduit le risque de grossir durant le traitement. De ce point de vue, l’impact de la maladie sur le moral, et donc sur la sédentarité, ne doit pas être négligé. Sans même parler du changement de l’image corporelle. La perte d’un sein à la suite d’une opération chirurgicale, par exemple, peut décourager certaines femmes d’aller nager de peur que cela se voie.
La prise de poids consécutive au traitement anticancer peut-elle exercer une influence sur le pronostic de la patiente?
Ce n’est pas clair. Globalement, les études semblent indiquer que la prise de poids durant le traitement n’a pas d’impact sur le pronostic. C’est plutôt le poids au moment du diagnostic qui semble jouer un rôle prépondérant sur le pronostic mais aussi sur l’incidence du cancer.
Comment cela?
Les études montrent que le risque de développer un cancer du sein est augmenté chez les femmes ménopausées obèses (dont l’IMC, ou indice de masse corporelle, dépasse 30 kg/m2) au moment du diagnostic (ce n’est pas le cas chez les femmes préménopausées). Il semble cependant que ce lien ne soit pas aussi marqué dans toutes les régions du monde, probablement en raison du fait que les épidémies d’obésité ont parfois des profils très différents. Une étude bâloise a ainsi montré que le taux d’obèses ou de personnes présentant une surcharge pondérale (IMC de plus de 25 kg/m2) en Suisse n’était pas plus élevé chez les patientes avec cancer du sein que dans le reste de la population.
Et quel est l’effet de l’obésité sur le pronostic?
De multiples études ont montré que le pronostic des patientes obèses est moins bon. Mais on observe aussi de grandes variations selon les types de tumeurs. Les survies sans rechute diminuent de manière significative avec la surcharge pondérale dans les cas de cancers hormonosensibles. En revanche, l’obésité ne semble pas avoir d’impact sur le pronostic des tumeurs ayant une surexpression de la protéine HER2 et qui représentent entre 15 et 20% des cancers du sein. De plus, l’obésité au moment du diagnostic semble affecter la survie des femmes blanches et asiatiques plus que celle des femmes noires américaines. Cela dit, malgré les arguments biologiques pouvant expliquer l’impact de l’obésité sur le pronostic, les données souffrent peut-être d’un biais important.
Lequel?
On sait maintenant, grâce à des études rétrospectives, que chez les personnes obèses, le diagnostic est en moyenne posé plus tardivement. Peut-être parce qu’elles font moins de mammographies. Mais on a aussi longtemps limité les doses de chimiothérapie chez les personnes obèses à une certaine valeur par crainte d’atteindre des niveaux dangereux (la dose est calculée en fonction de la taille et du poids de la personne). Aujourd’hui, on donne la dose correspondant au poids réel et il se trouve que la tolérance reste adéquate. Tout cela pour dire que la prise en charge des patientes obèses a longtemps été moins optimale que celle des autres. Cela peut expliquer en partie la péjoration du pronostic dans les anciennes études. Il convient donc de refaire des études en tenant compte de ces éléments pour déterminer le véritable impact de l’obésité sur la survie et le risque de rechute.
Est-il bénéfique de perdre du poids durant et après le traitement anticancer?
Une vaste étude, appelée SUCCESS et dont les résultats viennent d’être présentés, s’est entre autres intéressée à cette problématique. Les auteurs ont comparé deux groupes de femmes (ménopausées et préménopausées) sur le point de recevoir une chimiothérapie contre le cancer du sein. Au premier, on a donné de simples conseils en faveur d’un mode de vie sain. Le second a été suivi de plus près, avec des conversations téléphoniques régulières, des échanges de mails, la mise à disposition de matériel supplémentaire afin de perdre du poids via l’alimentation et l’activité physique. Les femmes du premier groupe ont en moyenne pris un kilo en deux ans. Celles qui ont bénéficié d’une intervention soutenue – et qui ont suivi le programme jusqu’au bout, c’est-à-dire la moitié d’entre elles – en ont perdu deux. Et pour ce dernier sous-groupe seulement, les chercheurs ont observé une amélioration significative en termes de survie et de récidive. Mais comme il s’agit d’une sous-analyse non planifiée, les auteurs n’ont pas pu éliminer tous les biais, tels que le fait que les personnes qui ont terminé le programme ont peut-être déjà à la base une bonne hygiène de vie.
Peut-on déduire malgré tout que la perte de quelques kilos peut améliorer le pronostic?
Les résultats vont dans ce sens. Et le fait de savoir qu’un objectif aussi raisonnable que la perte de quelques kilos suffit pour avoir un impact favorable sur la maladie est une bonne chose. De toute façon, le CHUV, comme les autres hôpitaux romands d’ailleurs, proposent depuis plusieurs années des programmes qui visent, entre autres, à réduire la surcharge pondérale. Ils comprennent des activités physiques, les services de diététiciennes, d’endocrinologues, de physiothérapeutes, etc. Longtemps, l’activité physique a été recommandée après la fin de la chimiothérapie ou de la radiothérapie. Or, on sait maintenant que l‘effort physique est utile déjà pendant les soins. Une étude norvégienne a confirmé que l’exercice soutenu en cours de traitement permet une récupération plus rapide et plus complète. Il faut dire que le poids représente un des rares facteurs de risque du cancer du sein sur lequel on peut potentiellement avoir prise (en plus de la consommation d’alcool et de tabac). Cela dit, l’obésité n’est qu’un facteur parmi beaucoup d’autres. Le pronostic d’un cancer du sein dépend aussi du type de tumeur, de son stade de développement, de son extension, de la contamination ou non des ganglions, des traitements et de leur tolérance, etc.
En pratique
Les diététiciennes de l’Unité de nutrition des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) proposent des conseils pratiques pour vous aider à maintenir ou diminuer votre poids si vous êtes traitée pour un cancer du sein.
- Cherchez à maintenir une activité physique régulière adaptée à votre situation, aussi modeste soit-elle. Cela peut aider à diminuer la fatigue, à maintenir votre masse musculaire et limiter la prise de poids. Renseignez-vous auprès de votre oncologue: des groupes d’activité physique et cancer sont peut-être organisés dans votre région.
- N’oubliez pas que les traitements ont un impact sur votre métabolisme. Veillez à avoir des légumes ou des crudités à chaque repas, favorisez les féculents complets ou les légumineuses. Limitez la consommation de boissons sucrées, d’alcool, de snacks gras et sucrés.
- Débuter un régime de votre côté, sans suivi par un professionnel, peut permettre une perte de poids en premier lieu mais rarement un maintien sur le long terme. Parlez-en avec votre oncologue qui pourra vous faire une prescription pour un suivi individualisé auprès d’un-e diététicien-ne diplômé-e.
Pour en savoir plus : https://www.hug-ge.ch/endocrinologie-diabetologie-hypertension-nutrition/unite-nutrition
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Paru dans: Newsletter Observatoire des effets adverses, Association Savoir Patient, Juin 2019.
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Littérature scientifique
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