Les «intersexes» ne sont plus opérés à la naissance
De quoi on parle?
Les faits
Dès le 1er novembre, l’Allemagne sera le premier pays européen à autoriser l’inscription d’un sexe «indéterminé» sur l’acte de naissance. Seront ainsi désignés les nouveau-nés pour lesquels il existe une ambiguïté sexuelle ne permettant pas de déterminer s’ils sont garçon ou fille.Le bilan
Si l’Australie a pris la même décision il y a quelques mois, la vaste majorité des autres pays, dont la Suisse, imposent d’attribuer un sexe masculin ou féminin à chaque enfant dès sa naissance.
Jusqu’à il y a peu, les bébés qui naissaient avec une ambiguïté de ce type étaient souvent opérés afin de les faire correspondre aux caractéristiques de l’un ou l’autre sexe. Mais la pratique médicale change, sous l’impulsion notamment d’associations de personnes concernées, qui souhaitent pouvoir décider librement de leur catégorie sexuelle.
L’intersexualité est le résultat d’un développement sexuel atypique chez l’embryon. Les bébés intersexes naissent avec des organes sexuels qui ne permettent pas de déterminer facilement s’ils sont ceux d’une fille ou d’un garçon. «Plus rarement, l’intersexualité peut être repérée tardivement, par exemple chez des jeunes femmes qui viennent consulter parce qu’elles n’ont pas leurs règles ou ne parviennent pas à avoir d’enfants», explique Blaise-Julien Meyrat, chirurgien pédiatre au Centre hospitalier universitaire vaudois, à Lausanne, et spécialiste de ces situations.
Une naissance sur 2000
De multiples affections, souvent d’origine génétique ou hormonale, peuvent entraîner des cas d’intersexualité plus ou moins marqués. L’évaluation de leur fréquence dans la population varie fortement en fonction des critères retenus, mais la plupart des spécialistes estiment qu’elle se situe au minimum autour d’une naissance sur 2000. «Dans la vaste majorité des cas, il s’agit d’enfants en bonne santé, qui n’ont pas besoin d’une intervention médicale», précise le chirurgien.
Et pourtant: il y a encore une dizaine d’années, la plupart de ces enfants étaient opérés, parfois alors qu’ils n’étaient âgés que de quelques mois, afin de donner à leurs organes sexuels une forme qui permette de les assigner à un genre ou l’autre. Le traitement, le plus souvent décidé en accord avec les parents, était alors motivé par l’idée qu’un enfant ne peut se développer harmonieusement s’il n’a pas un sexe défini. Dès les années 90, des études ont cependant montré que les enfants opérés précocement souffraient à l’âge adulte de complications à la fois physiques et psychiques. «Certaines personnes conservent des douleurs au niveau de leurs organes génitaux tout au long de leur vie et n’auront jamais une sexualité satisfaisante», indique Blaise-Julien Meyrat. «Elles ont aussi parfois le sentiment d’avoir été mutilées et se demandent de quel droit on leur a fait subir ce traitement, relate Eva Pigois, pédopsychiatre au CHUV. De plus, assigner un sexe à un enfant par un acte chirurgical ne l’empêchera pas de se questionner sur son genre.»
Pour toutes ces raisons, le corps médical a changé d’attitude. «J’évite de pratiquer chez les enfants des ablations des ovaires ou des testicules, qui sont des gestes irréversibles, à moins qu’il y ait un danger avéré pour leur santé», affirme Blaise-Julien Meyrat, qui précise que son approche est encore loin de faire l’unanimité parmi ses confrères. L’avis rendu à l’automne dernier par la Commission nationale d’éthique pour la médecine humaine va pourtant dans le même sens: il recommande de ne prendre aucune décisions ignificative visant à déterminer le sexe avant que l’enfant soit capable de se prononcer par lui-même c’est-à-dire, généralement, entre 10 et 14 ans. Mais à tout âge, «les enfants ainsi que leurs familles devraient être accompagnés par des équipes pluridisciplinaires et associés aux décisions concernant un éventuel traitement, en adaptant le suivi à mesure que les enfants grandissent», estime Eva Pigois.
Démarches facilitées
Reste toutefois la difficulté d’élever un enfant dont le sexe est ambigu. Quel prénom lui donner? Que dire à son entourage? Et à l’enfant? «Nous recommandons aux parents de choisir un prénom qui leur plaît, même s’il est marqué comme féminin ou masculin, quitte à en changer plus tard. Et plus globalement, de laisser à leur enfant la liberté nécessaire pour qu’il puisse définir lui-même son identité de genre, même si un sexe lui a été assigné à la naissance», explique Eva Pigois. En effet, le droit suisse exige encore l’attribution d’un sexe féminin ou masculin aux nouveaux-nés. Dans son avis, la Commission nationale d’éthique estime que la création d’une troisième catégorie, comme c’est le cas en Allemagne, pourrait être stigmatisante pour les intersexes. Elle suggère donc plutôt de faciliter les démarches nécessaires à un changement du sexe dans l’état civil.
Les causes sont multiples
Pathologie
L’intersexualité peut avoir de multiples origines. Dans un grand nombre de cas, elle est due à un trouble hormonal, dont l’un des plus répandus est l’hyperplasie surrénalienne congénitale. Cette pathologie se caractérise par une production d’hormones mâles en excès par les glandes surrénales durant le développement de l’embryon. Cela entraîne une virilisation plus ou moins marquée des organes sexuels des petites filles, chez lesquelles le clitoris peut se développer jusqu’à ressembler à un petit pénis. Dans un autre trouble relativement fréquent, les embryons masculins sont insensibles aux hormones mâles; ils se développent alors comme s’ils étaient de sexe féminin. Certaines formes d’intersexualité peuvent également être liées à des anomalies du développement des gonades, c’est-à-dire des testicules ou des ovaires. Enfin, une variation chromosomique peut être en cause. En effet, une femme possède normalement deux chromosomes sexuels X, un homme a un chromosome X et un chromosome Y. Or certaines personnes sont XXY et d’autres n’ont qu’un chromosome X. A cause de la variété des mécanismes possibles, les médecins doivent souvent effectuer un grand nombre d’examens pour déterminer la cause d’une intersexualité, et ils n’y parviennent pas toujours.
Le cas Caster Semenya
Performance
En août 2009, la Sud-Africaine Caster Semenya remportait la médaille d’or du 800 mètres féminin au championnat du monde d’athlétisme de Berlin. A cause de ses performances, nettement supérieures à celles de ses adversaires, mais aussi de sa voix et son apparence masculine, certains commentateurs et athlètes ont alors émis des doutes sur son genre. Si bien que la fédération internationale d’athlétisme lui a demandé de passer une série de tests pour déterminer son sexe.
Les résultats n’ont pas officiellement été rendus publics, mais des fuites suggèrent que la coureuse posséderait des organes génitaux externes féminins, ainsi que des testicules internes et un taux élevé de testostérone.
En 2010, Caster Semenya a finalement été autorisée à courir de nouveau en catégorie féminine lors des compétitions.