Une infection virale infantile à l’origine de la sclérose en plaques?

Dernière mise à jour 23/01/20 | Article
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Une équipe genevoise vient de se pencher sur l’une des causes possibles de la sclérose en plaques, celle de stigmates laissés dans le cerveau par certaines infections virales survenant durant l’enfance. Révélations.

Depuis des décennies, les experts en sont convaincus: la sclérose en plaques est à la fois d’origine génétique et environnementale. Autrement dit, elle nécessite, pour apparaître, un terrain génétique favorable – divers gènes concourant a priori à l’anomalie coupable – mais également un ou plusieurs facteurs extérieurs. Parmi eux: certains virus qui, contractés à un moment précis de la vie, laisseraient des stigmates dans le cerveau, à l’origine d’une future offensive du système immunitaire.

Car, rappelons-le, si la sclérose en plaques attaque le système nerveux central (cerveau, moelle épinière, nerf optique) et plus précisément la structure entourant les neurones (la myéline), elle est avant tout une maladie auto-immune. En clair, les neurones ne sont pas d’eux-mêmes défectueux ou attaqués par un virus extérieur, mais bien détruits de l’intérieur par le système immunitaire les estimant – à tort – hostiles.

Plusieurs virus aboutissant aux mêmes conséquences

En chiffres

1 personne sur 1000 touchée par la sclérose en plaques en Suisse.

30 ans: l’âge moyen auquel survient la maladie.

x2 environ:le risque de déclencher la maladie en cas de tabagisme (1 paquet par jour en moyenne).

2/3 des patients atteints de sclérose en plaques sont des femmes.

85% des patients sont atteints de la forme dite «poussée-rémission», caractérisée par une succession d’atteintes et de périodes de récupération (partielle ou complète) des facultés physiques et neurologiques.

C’est dans ce contexte qu’une équipe de chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE) et des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) a voulu suivre la piste des infections virales survenant pendant l’enfance. Menée sur près de dix années, l’étude fait aujourd’hui l’objet d’une publication dans la revue Science Translational Medicine. L’idée: reproduire sur des souris les conditions de survenue de la maladie avec ou sans exposition dans l’enfance à un virus donné.

Première étape donc: l’injection d’un virus. Lequel? Cela est presque sans importance: «Tout porte à croire qu’il n’y a pas un virus favorisant la sclérose en plaques, mais plusieurs aboutissant aux mêmes conséquences, à savoir créer une sorte d’empreinte inflammatoire à l’origine d’un dérèglement du système immunitaire», explique Karin Steinbach, chercheuse au Département de pathologie et d’immunologie de la Faculté de médecine de l’UNIGE et co-signataire de l’étude. Longtemps soupçonnés – et loin d’être disculpés –, les virus d’Epstein-Barr (causant la mononucléose infectieuse) et de l’herpès restent sous les projecteurs. Mais pour les besoins de l’étude, c’est un autre virus, celui de la chorioméningite lymphocytaire, que les chercheurs ont injecté à deux catégories de souris: des souriceaux et des souris adultes. Résultat de cette première étape: le virus a logiquement déclenché une infection sans gravité pour tous, sans plus de conséquences.

Après un laps de temps donné, la seconde étape de l’expérience intervient: injecter des cellules dites auto-réactives aux souris. Bien qu’appartenant au système immunitaire, ces cellules – des lymphocytes T spécifiques existant aussi chez l’homme – sont susceptibles d’attaquer la gaine de myéline. En raison de leur agressivité potentielle, elles sont normalement soumises au strict contrôle de l’organisme et n’ont en aucun cas accès au cerveau. Du moins, théoriquement, car on en retrouve dans le cerveau de patients atteints de sclérose en plaques. Le résultat de l’expérience a alors été sans appel: seules les souris ayant été infectées jeunes par le virus de la chorioméningite lymphocytaire ont contracté, après injection de cellules auto-réactives, une inflammation cérébrale ressemblant aux lésions de la sclérose en plaques. Deuxième constat: des cellules auto-réactives ont bien été retrouvées dans le cerveau de ces sujets malades, à proximité des régions touchées par l'infection virale infantile.

Les investigations des chercheurs genevois se sont ensuite focalisées sur la zone cérébrale concernée par l'infection initiale. Et c’est tout un stratagème qui a été démasqué. Intervenant sur les lieux d’une infection virale touchant le cerveau (comme c’est le cas avec le virus d’Epstein-Barr), des lymphocytes T dits «mémoires» restent en nombre anormalement élevé une fois l’infection passée. Au fil des années, cette «garde renforcée» libère des molécules appelées chimiokines. Leur tort: attirer à elles les cellules auto-réactives circulant dans le corps et leur ouvrir les portes du cerveau. Ces «super combattantes» s’en prennent alors à la myéline, comme si elle grignotait la gaine de câbles électriques par zone (donnant son nom à la sclérose en plaques).

Une quinzaine de traitements différents

Quelles perspectives suite à ces découvertes? «Nous allons poursuivre cette étude, notamment pour comprendre les raisons de cette accumulation de lymphocytes T consécutive à une infection, en particulier lorsqu’elle se produit dans l'enfance, indique Karin Steinbach. L’idée est ensuite de trouver le moyen d’empêcher cette accumulation ou l’entrée dans le cerveau des cellules auto-réactives dévastatrices». Si l’espoir de transformer cette découverte en traitement n’est pas pour tout de suite, le Pr Patrice Lalive d’Epinay, médecin adjoint agrégé au Service de neurologie des HUG, salue la prouesse: «Cette étude a mis en lumière des mécanismes subtils que l’on soupçonnait sans avoir encore pu les prouver.» Et de rappeler: «La sclérose en plaques est une maladie complexe, multifactorielle, impliquant les gènes, l’environnement mais également la vie que l’on mène. On sait par exemple que le tabagisme, l’obésité, le microbiote, un déficit en vitamine D, ont probablement une implication, mais l’équation reste complexe et les prévisions impossibles.»

Le diagnostic lui-même est délicat: la sclérose en plaques demeure une pathologie dite «par exclusion», autrement dit, annoncée après que l’on ait pu exclure d’autres causes possibles. «Le chemin parcouru ces vingt dernières années est toutefois exceptionnel, rappelle le Pr Lalive d’Epinay. Alors que la sclérose en plaques était une maladie orpheline de traitement, nous disposons aujourd’hui d’une dizaine de molécules se traduisant par une quinzaine de traitements différents. Pour nombre de patients, l’évolution de la maladie peut être considérablement freinée, avec la perspective de mener une vie quasi normale. C’est un progrès remarquable.» 

Objectif réparation  

Il y a vingt ans, l’arrivée de nouveaux traitements transformait la prise en charge des personnes atteintes de sclérose en plaques et permettait de freiner l’évolution de la maladie. Aujourd’hui, le risque qu’un patient, après vingt ans d’évolution de la maladie, perde une partie de sa motricité et soit contraint de marcher avec une canne, est de 16%. Ce chiffre était d’environ 40% au début des années 2000. De quoi se réjouir, tandis qu’un autre défi mobilise des chercheurs dans le monde entier: réparer les neurones endommagés. «Bien sûr, il est crucial de continuer à chercher les causes de cette pathologie complexe et perfectionner les traitements, insiste le Pr Patrice Lalive d’Epinay, médecin adjoint agrégé au Service de neurologie des HUG. Mais viser une réparation des neurones lésés par la maladie est un enjeu majeur. Certains projets, basés sur des anticorps spécifiques ou des molécules neuroprotectrices, viennent de passer en essais cliniques de phase 3, sont autrement dit prêts à être testés sur des patients volontaires en vue de valider leur efficacité. La mise sur le marché de ces nouveaux traitements va encore nécessiter quelques années, mais ils pourraient amorcer le début d’une nouvelle ère pour les patients.»

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Pour en savoir plus: Sclérose en plaques – L’essentiel,sous la direction du Pr Patrice Lalive d’Epinay et du Pr Renaud Du Pasquier, Ed. Revue Médicale Suisse, 2019.

Paru dans Le Matin Dimanche le 19/01/2019.

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