La nourriture bio protège-t-elle vraiment du cancer?

Dernière mise à jour 28/01/19 | Article
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Selon des chercheurs français, manger bio réduirait les risques de développer des tumeurs. La réalité est sans doute plus nuancée.

Les adeptes du bio, toujours plus nombreux, n’ont pu qu’être confortés dans leur choix en lisant les résultats d’une étude française récemment publiée. D’après ses auteurs, les consommateurs réguliers d’aliments biologiques réduiraient leur risque de cancer de 25%, comparés à ceux qui en mangent peu. Cette étude est l’une des premières de ce genre. Elle a toutefois ses limites et ses conclusions demandent à être confirmées.

Cancer du sein et lymphome

Plusieurs équipes appartenant à des instituts de recherche français renommés ont fait appel à près de 69’000 participants de la cohorte française NutriNet-Santé. Ils leur ont soumis un questionnaire leur demandant à quelle fréquence –jamais, de temps en temps ou la plupart du temps– ils mangeaient seize groupes d’aliments bio (des fruits et légumes aux viandes, en passant par les produits laitiers, le café, les biscuits et bien d’autres). Puis, dans les sept années qui ont suivi, les épidémiologistes ont relevé les cancers qui s’étaient développés dans cet échantillon. Ils ont comparé les individus qui mangeaient souvent du bio à ceux qui n’en consommaient pratiquement jamais et ils ont constaté que chez les premiers, le risque de cancer du sein chez les femmes ménopausées était réduit de 34% et celui de lymphome non-Hodgkinien (affectant certains globules blancs, les lymphocytes) de 76%. En revanche, comme ils l’écrivent dans la revue JAMA (le Journal de l’Association médicale américaine), ils n’ont «pas détecté d’association notable [entre l’alimentation bio et le risque d’avoir la maladie] pour d’autres types de cancers».

«Le grand défi de ce type d’études, explique le Dr Kevin Selby, chef de clinique et chercheur à la Policlinique Médicale Universitaire (PMU) de Lausanne, c’est que de nombreux facteurs influencent le développement des cancers», notamment le mode de vie, mais aussi le statut socio-économique (les gens aisés étant globalement en meilleure santé que les autres). «Les chercheurs français les ont pris en compte, mais les ont-ils bien contrôlés? Il est difficile d’isoler les effets de la seule nourriture».

Quoi qu’il en soit, si l’alimentation bio protège de certaines tumeurs, c’est sans doute, avancent les auteurs de l’étude, parce qu’elle renferme moins de résidus de pesticides que la nourriture conventionnelle. Il est en effet établi que certains produits phytosanitaires augmentent le risque de cancer chez les agriculteurs. En outre, le Centre international de recherche sur le cancer (qui dépend de l’Organisation mondiale de la santé) a classé plusieurs insecticides et herbicides (notamment le glyphosate) parmi les cancérigènes «probables» ou «possibles».

Des bémols

Il s’agit là de l’une des premières études de ce type. Le Dr Kevin Selby estime qu’elle est «sérieuse et bien faite», mais qu’il ne s’agit que «d’un premier pas». Ses auteurs admettent d’ailleurs que leur enquête souffre de certaines «limitations». Elle porte sur des volontaires, des femmes en majorité, «qui sont plus préoccupés par leur santé que la population générale, ce qui limite la généralisation de nos conclusions», écrivent-ils. Elle repose aussi sur des questionnaires qui ne permettent pas de mesurer ce que les personnes ont vraiment mangé. «Souvent, confirme le médecin de la PMU, les individus interrogés ont tendance à surestimer leur consommation d’aliments qu’ils perçoivent comme favorables et à sous-estimer les autres. L’idéal aurait été de leur demander de tenir un journal du contenu de leurs assiettes, mais c’est difficile et coûteux».

Autre bémol: pendant la période de suivi, 1340 cancers ont été globalement notifiés: 1,6% des personnes adeptes du bio étaient touchées contre 2,2% de celles qui n’en consomment pas. La différence est donc relativement minime.

Les auteurs de cette publication insistent donc sur la nécessité de poursuivre des études de ce genre en y intégrant «un plus grand nombre de participants». C’est aussi l’avis de trois médecins américains qui commentent l’enquête française dans le même numéro de JAMA. Pointant du doigt certaines de ses faiblesses, ils constatent «qu’en l’état actuel de la recherche, la relation entre la consommation de nourriture bio et le risque de cancer n’est pas claire». Ils soulignent aussi que les produits bio étant plus chers que les autres, «les préoccupations au sujet des risques induits par les résidus de pesticides ne devraient pas décourager les gens de manger des fruits et des légumes conventionnels».

C’est aussi l’avis du Dr Kevin Selby: «avant de conseiller à mes patients de manger bio, je leur recommanderais d’arrêter de fumer, de perdre du poids et de faire de l’exercice. Et, en matière d’alimentation, de suivre les recommandations diététiques –moins de viande rouge, plus de fruits et de légumes, de légumineuses et de grains complets–, car on a des preuves qu’ils protègent contre le cancer». Bio ou pas, l’essentiel reste de «manger sainement».

La valeur nutritionnelle du bio n’est pas meilleure

Personne ne le conteste: dans la mesure où elle n’emploie pas d’engrais ni de pesticides chimiques, l’agriculture bio est plus respectueuse de l’environnement que son équivalent conventionnel. Les produits alimentaires qui en résultent renferment aussi moins de résidus de produits phytosanitaires, ce qui serait tout bénéfice pour notre santé. Mais du point de vue de la valeur nutritionnelle, «il n’y a pas de différence systématique entre les aliments bio et les non-bio», souligne Catherine Renard, directrice de recherche à l’INRA (Institut national français de la recherche agronomique) et responsable du réseau Carnot Qualiment (qui travaille à l’amélioration des qualités nutritives et sensorielles de la production agroalimentaire).

En fait, les qualités nutritionnelles et gustatives des produits végétaux dépendent de nombreux éléments, notamment de la fraîcheur des aliments ainsi que de la maturité des fruits et légumes au moment de la récolte, «qui sont des facteurs déterminants». En outre, le système de culture (variété, densité, irrigation, etc.), la qualité des sols, le mode de conservation et de cuisson jouent aussi un rôle.

La chercheuse et ses collègues ont notamment comparé la teneur en composés antioxydants de fruits issus de vergers conduits en agriculture biologique et conventionnelle. «Nous n’avons pas trouvé de différences significatives et qui se répètent d’une année sur l’autre». La conclusion est la même pour les vitamines.

Du côté des produits animaux, une équipe de l’INRA de Clermont-Ferrand a même constaté «qu’il y a plus de contaminants venant de l’environnement dans la viande bio, car les animaux sont abattus plus tardivement», explique Catherine Renard. Ils ont donc été plus longtemps exposés aux polluants atmosphériques.

Quant aux qualités sensorielles des aliments bio, il n’y a aucune raison qu’elles soient supérieures à celles des produits issus de l’agriculture conventionnelle. En effet, constate Catherine Renard, «le label bio est une obligation de moyens qui impose de ne pas mettre en œuvre des engrais ou pesticides chimiques. Mais il n’implique aucune obligation de résultats, contrairement à d’autres labels, comme le label rouge, ni d’obligation sur les paramètres influençant la qualité du produit». Le bio n’a donc pas d’avantage gustatif, mais le préférer est une affaire de goût.

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Paru dans Le Matin Dimanche le 27/01/2019.

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