Les substituts du tabac sont-ils inutiles?
La dépendance au tabac étant aussi forte que celle à l’héroïne ou à la cocaïne, on comprend bien qu’il soit difficile d’arrêter. Un support, comme les substituts à la nicotine, est donc bienvenu. Malheureusement, selon une étude parue dans Tobacco Control1, l’efficacité des patchs, chewing-gums et sprays serait nulle sur le long terme, que leur prescription soit assortie ou non d’un conseil. L’étude réalisée aux Etats-Unis, porte sur près de huit cents personnes ayant arrêté de fumer, suivies sur plusieurs années. Faut-il compter désormais sur la seule volonté pour arrêter de fumer? Analyse du professeur Jacques Cornuz, directeur et médecin-chef de la policlinique médicale du CHUV et spécialiste du sevrage tabagique.
Les substituts nicotiniques seraient inefficaces, est-ce votre expérience?
Jacques Cornuz: L’étude parue dans Tobacco Control pose la bonne question: quelle est l’efficacité des substituts nicotiniques sur une population? Mais elle comporte de nombreuses limites méthodologiques, si bien que ses résultats ne permettent pas de prouver l’inefficacité des substituts. Par ailleurs, plus de cent études ont montré que la prise de ces médicaments assortie d’un conseil doublait pratiquement le succès du sevrage. C’est ce que nous avons aussi montré dans deux études, dont l’une est à paraître. En fait, le but premier de ces recherches n’était pas de tester l’efficacité des substituts, mais de voir si des interventions supplémentaires aidaient à arrêter de fumer; l’activité physique pour l’une2, et la conscience d’avoir une maladie liée au tabac pour l’autre. Dans les deux cas, ces interventions n’ont pas eu d’influence. Par contre, comme tous les participants prenaient des substituts nicotiniques dans le cadre d’un suivi, nous avons confirmé que ces médicaments aidaient à arrêter de fumer. Car les taux d’arrêt étaient de 26 à 29% après une année.
Un quart à un tiers de réussite, cela semble peu. Est-ce néanmoins un succès?
Nous ne sommes pas dans la médecine triomphante. Mais il s’agit, pour la plupart, de gens qui avaient 20 ans de tabagisme. Alors 26 à 29 personnes sur cent qui cessent de fumer dans ce contexte, oui, c’est un succès. Les soixante-quinze autres ont vu ce qu’était un sevrage, elles ont plus de chances de réussir la prochaine fois. En moyenne, il faut deux ou trois tentatives pour arrêter de fumer, c’est souvent un apprentissage. Or, il y a une attente d’un produit «magique» de la part des fumeurs. Cela n’existe pas. Il faut faire le deuil de quelque chose qui a apporté du plaisir pendant des années, puis relativiser. Il s’agit vraiment d’un processus. Une réalité dont ne tient pas compte l’étude américaine.
Vous parlez de substituts nicotiniques au pluriel. Il ne suffit pas d’en choisir un?
En général, nous proposons un patch qui couvre environ la moitié des besoins en nicotine du patient, dispensé sur la journée. S’y ajoute, selon les cas, gomme, inhalateur ou comprimé, que la personne dose selon ses besoins.
En Suisse, les assurances devraient commencer à rembourser les substituts nicotiniques. Est-ce justifié?
On évalue l’efficacité d’une intervention en termes de coût pour une année de vie épargnée. En dessous de vingt mille francs pour une année, ce rapport est considéré comme très favorable. Pour le sevrage du tabac, ce coût varie de vingt mille francs à moins de quatorze mille francs. C’est une des rares interventions qui ont un aussi bon rapport efficacité/coûts. Donc je suis favorable au remboursement du traitement pharmacologique, pour autant qu’il soit dispensé dans un cadre médical, avec un conseil. En Suisse, les médecins sont désormais bien formés, ce qui n’est pas toujours le cas aux Etats-Unis, où l’on trouve d’ailleurs les substituts nicotiniques au supermarché! Si l’on revient à l’étude citée, nous n’avons aucune idée de la manière dont ces produits étaient utilisés par les participants.
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1. Tobacco Control, 6 janvier 2012.
2. Tobacco Control, 27 août 2010.
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