JUUL: faut-il craindre la nouvelle e-cigarette?
On les appelle les «licornes». Ces jeunes entreprises à peine lancées et déjà valorisées à plusieurs milliards de dollars. JUUL est de celles-là. La classique success story de la start-up: née dans la Silicon Valley il y a à peine trois ans, elle vient de voir le cigarettier Altria (Marlboro) entrer dans son capital et pèse aujourd’hui 38 milliards de dollars. A l’origine de cet empire, une vapoteuse ultra-design, compacte (plus fine qu’un briquet), à l’esthétique élégante et colorée. Car c’est là toute la particularité du produit: alors qu’il est potentiellement toxique et addictif, une vraie recherche visuelle a été menée. JUUL tranche nettement avec la multitude d’e-cigarettes existant déjà sur le marché, en proposant non seulement une innovation technologique simplifiée (un système de «pods» jetables qui contiennent un mélange liquide de sels de nicotine, de glycérol et d’arôme) mais aussi un look totalement nouveau, des déclinaisons customisables et des parfums attrayants (fruits rouges, pêche, vanille, pomme, crème cacao…). Alors qu’elle vient de débarquer sur le marché suisse, où environ 1 adolescent sur 3 a déjà essayé ou utilise régulièrement une cigarette électronique, la JUUL promet de rencontrer un engouement similaire à celui outre-Atlantique où elle détient 72% des parts de marché du secteur.
Succès marketing
JUUL signera-t-elle la fin d’IQOS?
Il est important de différencier deux types de dispositifs. D’un côté les vapoteuses, comme JUUL, qui ne contiennent pas de tabac et consistent à inhaler de la vapeur produite à partir d’un e-liquide. De l’autre côté, les «produits du tabac chauffé», comme Glo (British American Tobacco) ou IQOS (Philip Morris), que les industriels s’efforcent de présenter comme des alternatives «moins risquées pour la santé» que la cigarette classique. Cependant, une récente étude indépendante menée à Lausanne et Berne[1] montre qu’il y a dans IQOS une combustion partielle ou pyrolyse qui libère, souvent à des taux plus faibles, de nombreux composés nocifs présents dans la fumée de cigarette conventionnelle. «Le tabac chauffé, c’est toxique, explique le Dr Jean-Paul Humair, médecin directeur du CIPRET-Genève/Carrefour addictionS et médecin adjoint agrégé du Service de médecine de premier recours des HUG. On y retrouve aussi des nitrosamines –les cancérigènes naturels du tabac– qui ne sont pas des produits de combustion.»
IQOS, actuel leader des produits de tabac chauffé, va-t-il pâtir de ces mauvais résultats couplés à l’arrivée de la vapoteuse nouvelle génération made in US? «Difficile à dire, car ce ne sont ni les mêmes produits, ni les mêmes cibles, répond le médecin. Mais ils doivent sûrement déjà réfléchir à une façon de se développer sur ce secteur pour concurrencer JUUL.»
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[1] Auer R, Concha-Lozano N, Jacot-SadowskiI, Cornuz J, Berthet A. Heat-not-burn tobacco cigarettes: smoke by any other name. JAMA Intern Med. doi :10.1001/ jamainternmed.2017.1419.
Outre ce style léché, la réputation de la JUUL s’est construite en grande partie sur les réseaux sociaux, plateformes privilégiées des Millenials, friands de nouveauté. L’appropriation intelligente par la marque américaine des codes de cette génération lui a permis de bénéficier d’une importante viralité. Des comptes Instagram dédiés à la cigarette JUUL, des vidéos de Youtubeurs testant le produit, des posts incitant à publier sa photo en train de « Juuler »… le mode opératoire marketing a rapidement fonctionné chez les adolescents. Le bouche-à-oreille et l’effet de mode ont fait le reste.
Malgré la marche arrière de la marque qui a supprimé de nombreux posts et stoppé sa communication sur les réseaux sociaux, l’administration américaine des denrées alimentaires et des médicaments (FDA), alertée par des parents de jeunes consommateurs, a décidé de se pencher sur les pratiques commerciales de la société JUUL. De son côté, celle-ci continue de se défendre de cibler les jeunes. «JUUL a été fondé dans le but de proposer une alternative de qualité aux fumeurs adultes dans le monde entier», peut-on lire sur la page principale du site de la marque, qui promet vérifier l’âge de ses clients.
Si certains voient dans ce succès l’occasion de détourner les jeunes du tabac classique, le Dr Jean-Paul Humair, médecin directeur du CIPRET-Genève/Carrefour addictionS et médecin adjoint agrégé du Service de médecine de premier recours des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG), tempère: «On ne sait pas vraiment si les gens qui vont vers la cigarette électronique seraient de toute façon allés vers le tabac, ni si la cigarette électronique va finalement les amener au tabac». Un doute que partage Thomas Beutler, collaborateur scientifique de l’Association suisse pour la prévention du tabagisme: «Beaucoup de jeunes consommateurs ont simplement envie d’essayer de nouvelles choses, mais l’impact réel de ces produits sur la baisse du tabagisme classique doit donc encore être étudié».
La cigarette électronique, vraiment inoffensive?
Faut-il donc s’inquiéter de cette consommation grandissante de cigarettes électroniques chez les jeunes? «Le choix de la e-cigarette reste un choix moins dangereux que celui de la cigarette classique, qui tue un consommateur sur deux. Même si elle n’est peut-être pas tout à fait saine, il apparaît peu vraisemblable que la cigarette électronique engendre autant de dégâts, explique le Dr Humair. C’est donc probablement un moindre mal si les jeunes se tournent plutôt dans cette direction.»
Pour autant, la e-cigarette est loin d’être totalement inoffensive et le risque d’addiction est réel. Même si les études scientifiques indépendantes manquent, l’un des principaux risques est celui de la dépendance à la nicotine. «La vitesse d’action de la nicotine dans la cigarette électronique est plus lente qu’avec une cigarette classique, mais le potentiel addictif est malgré tout présent. Surtout chez les vapoteuses JUUL, constituées de sels de nicotine qui agissent plus vite que les autres dispositifs en irritant moins la gorge, explique le spécialiste. Et on le sait, la consommation régulière de nicotine chez les jeunes a des effets négatifs sur le développement cérébral», ce qui a de quoi inquiéter.
Une législation inexistante en Suisse
Dans la tourmente aux Etats-Unis, JUUL arrive sur le marché européen en prenant de nombreuses précautions (pas de publicité sur les réseaux sociaux, baisse de la concentration en nicotine dans ses pods), mais dispose malgré tout d’une certaine liberté en Suisse. «Contrairement aux médicaments, les cigarettes électroniques et produits associés ne sont pas véritablement contrôlés avant d’être mis sur le marché, révèle Thomas Beutler. Chaque revendeur spécialisé ou site internet peut donc vendre n’importe quoi… et à n’importe qui. Car aucune réglementation nationale n’entoure encore la vente des cigarettes électroniques aux mineurs. Pour combler ce vide juridique, l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV) a organisé en juillet 2018 une table ronde réunissant les représentants des professionnels de ce secteur. Les discussions ont pu mener à la signature d’un code de conduite fixant un âge minimal légal de vente et une restriction de publicité. Un premier pas dans la protection des adolescents, avant qu’un projet de loi sur les produits du tabac ne soit adopté, à l’horizon 2020. D’ici-là, JUUL et les autres cigarettes électroniques ont encore de beaux jours devant elles.
Les jeunes et la e-cigarette
D’après un rapport de la fondation Addiction Suisse[2], c’est chez les jeunes que l’expérimentation d’e-cigarettes est la plus répandue. En 2016, près d’un jeune sur trois âgé de 15 à 19 ans déclarait faire usage de la e-cigarette, un chiffre deux fois plus élevé que pour la population générale. Mais les utilisateurs réguliers restent peu nombreux, toutes tranches d’âge confondues.
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[2] «Cigarette électronique et autres produits du tabac de nouvelle génération en Suisse en 2016», Analyse des données du Monitorage suisse des addictions.
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Paru dans le Quotidien de La Côte le 16/01/2019.
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Chaque année en Suisse, on dénombre environ 4100 nouveaux cas de cancer du poumon (carcinome bronchique), ce qui représente 10 % de toutes les maladies cancéreuses. Le cancer du poumon touche plus souvent les hommes (62 %) que les femmes (38 %). C’est le deuxième cancer le plus fréquent chez l’homme, et le troisième chez la femme. C’est aussi le plus meurtrier, avec 3100 décès par an.