Gare aux antidouleurs
Tramadol, morphine, oxycodone ou encore fentanyl: ces antalgiques opioïdes aident à lutter contre les douleurs modérées à sévères, qu’elles soient aiguës ou chroniques. Ce sont les «Rolls-Royce des antalgiques», souligne Sophie Du Pasquier, pharmacienne en officine et chargée de projet à Unisanté, à Lausanne. Pour la plupart dérivés de l’opium, ces médicaments ont tous le même mode d’action: ils stimulent les récepteurs opioïdes du cerveau et bloquent ainsi le signal de la douleur.
Très efficaces, ces analgésiques ne sont toutefois pas sans danger. Pris quotidiennement pendant quelques semaines, ils exposent à un risque de dépendance qui est «inhérent à la molécule», explique la pharmacienne. En cas de surdose, ils sont susceptibles d’«entraîner de la confusion, des vertiges ou de la somnolence, voire un arrêt respiratoire», poursuit l’experte. À noter que même à plus faible dose, ils peuvent provoquer ces mêmes effets lorsqu’ils sont combinés avec de l’alcool ou certains médicaments (somnifères, antidépresseurs, neuroleptiques, etc.).
Ces antidouleurs sont d’ailleurs à l’origine de la «crise des opioïdes» qui frappe depuis quelques années le Canada, ainsi que les États-Unis où ces médicaments prescrits ou vendus illégalement ont été responsables de la mort par surdose de 645000personnes entre 1999 et 2021, selon les centres pour le contrôle et la prévention des maladies. Cette «épidémie» est notamment due au système de prescription des médecins en Amérique du Nord (contrairement à la Suisse, les ordonnances pour les opioïdes dits «forts» n’y sont pas sécurisées) et au marketing agressif des fabricants.
PLACE AUX CONSEILS
La campagne de prévention Dépend Antalgie vise à sensibiliser, mais aussi à fournir des recommandations clés à celles et ceux qui se voient prescrire des analgésiques opioïdes. Parmi elles: respecter la durée du traitement et la quantité de médicaments prescrite, ne pas boire d’alcool, suivre l’avis médical en matière de conduite automobile ou d’utilisation de certaines machines «en particulier au début du traitement», précise Sophie Du Pasquier, pharmacienne en officine et chargée de projet à Unisanté à Lausanne. Il est aussi préconisé de ne pas partager le médicament avec des personnes de son entourage et de ne pas l’utiliser pour d’autres problèmes de santé.
Les conseils sont les mêmes pour celles et ceux qui souffrent de douleurs chroniques. Mais dans ce cas, souligne la pharmacienne, «il ne faut pas négliger toutes les autres approches qui soulagent la douleur, comme les exercices physiques, le yoga, les méthodes de relaxation ou encore l’application de chaud. Ces pratiques d’autosoins permettent de limiter le recours aux opioïdes.»
Consommation croissante
L’Europe a jusque-là été épargnée par ce phénomène d’ampleur, mais, depuis une vingtaine d’années, la consommation de ces médicaments ne cesse de croître en Suisse. «Le nombre d’appels téléphoniques aux centres d’intoxication à la suite de surdoses d’opioïdes a quasiment triplé depuis 2000», note Sophie Du Pasquier. Selon la spécialiste, cette hausse peut s’expliquer par de nombreux facteurs, notamment par «une meilleure prise en charge de la douleur», aboutissant à davantage de prescriptions. Elle peut aussi découler des «durées d’hospitalisation qui se sont raccourcies, ce qui induit des prescriptions d’antidouleurs puissants à domicile».
En outre, certaines personnes ne suivent pas toujours les prescriptions médicales. En cas de douleurs, surtout si elles sont chroniques, il peut être tentant de prendre un analgésique en plus grande quantité, plus fréquemment ou plus longtemps qu’il ne le faudrait. Sans compter que les opioïdes sont parfois consommés pour d’autres raisons: «Quand on prend du tramadol par exemple, on est peut-être plus détendu. On aurait donc la tentation d’en prendre tous les soirs pour mieux dormir», constate Sophie Du Pasquier. Loin d’être anodins, ces usages inappropriés «augmentent le risque d’effets indésirables et de dépendance», alerte l’experte.
Une campagne de prévention
La hausse, volontaire ou non, de l’utilisation d’opioïdes a conduit au lancement, en 2025, d’une campagne de prévention appelée «Dépend Antalgie*» et soutenue par Promotion Santé Suisse. Pilotée par Unisanté, en coordination avec les directions générales de la santé des États de Vaud et de Fribourg et les sociétés faîtières de pharmacie, elle vise à sensibiliser les patients aux risques encourus en cas de non-respect des prescriptions médicales. Les pharmaciens des cantons de Vaud et de Fribourg peuvent ainsi bénéficier d’une formation en ligne et recevoir des flyers destinés à leurs clients. Cette campagne de prévention a «suscité un grand intérêt dans les pharmacies», constate Sophie Du Pasquier. Sur les 350 officines que comptent les cantons de Vaud et de Fribourg, 173 ont déjà répondu à l’appel et reçu 6000 flyers à distribuer.
*Pour en savoir plus: www.unisante.ch/dependantalgie.