Grossir à l’arrêt du tabac: une affaire de flore intestinale

Dernière mise à jour 18/09/13 | Article
Grossir à l’arrêt du tabac: une affaire de flore intestinale
Des chercheurs suisses lèvent le voile sur l’une des conséquences négatives du sevrage tabagique. Le résultat de leur travail bouleverse bien des idées reçues.

«J’arrêterais bien le tabac, mais j’ai peur de prendre du poids». C’est l’un des arguments le plus souvent avancés (généralement par les femmes) pour expliquer les réticences à cesser de fumer. Et force est de reconnaître que le phénomène est bien réel, la prise de poids pouvant être parfois spectaculaire, voire même inquiétante. Certains en viennent alors à penser qu’elle est de nature à exposer à de nouveaux risques, cardiovasculaires notamment. Ils ont tort1.

Le retour du goût et de l’odorat

La recherche effectuée par une équipe de chercheurs suisses et allemands apporte ici de nouvelles lumières. Dirigée par Luc Biedermann et Gerhard Rogler (Hôpital universitaire de Zurich), cette équipe vient de publier ses résultats dans la revue PLoS ONE2 .Différentes études ont situé à environ quatre kilogrammes la prise moyenne de poids à l’arrêt du tabac. Pourquoi? Plusieurs arguments étaient jusqu’ici avancés. A commencer par le fait que la cigarette altérerait le goût du fumeur et tromperait son appétit. Retrouvant ses facultés de goût et d’odorat, les anciens fumeurs augmenteraient notablement leurs apports alimentaires. Il y a aussi l’argument selon lequel il faudrait compter avec le grignotage provoqué par la sensation de manque et la nécessité impérative de retrouver du plaisir, sous d’autres formes. Sucrées notamment.

Bouleversement du microbiote

Le travail suisse dont on parle va plus loin. Au-delà de l’augmentation des apports alimentaires et caloriques, destiné «à compenser», les auteurs mettent en évidence des changements profonds dans la composition de la flore intestinale (on parle plutôt désormais de «microbiote intestinal»); changements qui surviennent après l’arrêt de la cigarette. C’est ce bouleversement qui pourrait expliquer une bonne partie de la prise de poids.

Les recherches menées à l'Hôpital universitaire de Zurich (ainsi qu’à l’Université de Kiel) décryptent ces modifications du microbiote et leurs effets sur le métabolisme. L’étude a porté sur l’analyse du matériel génétique des bactéries intestinales présentes dans des échantillons de selles de vingt personnes suivies durant neuf semaines: cinq non-fumeurs, cinq fumeurs et dix fumeurs arrêtant leur consommation au cours de l’étude.

Il apparaît ainsi qu’une nouvelle composition de la flore intestinale, plus diversifiée, se met progressivement en place après l'arrêt du tabac, nouvelle flore qui favorise le stockage de l’énergie et favorise la prise de poids.

Plus d’alcool après l’arrêt du tabac

«Les sujets qui avaient arrêté de fumer ont pris en moyenne 2,2 kg, et ce même s’ils n’avaient en rien modifié leurs habitudes alimentaires ou de boisson –si ce n’est le fait qu’en moyenne, ils consommaient un peu plus d’alcool vers la fin de l'étude qu’avant l’arrêt du tabac», précise-t-on auprès du Fonds national suisse de la recherche scientifique. «Les résultats corroborent ceux d’études précédentes réalisées sur des souris, explique Gerhard Rogler. Il y a quelques années, des scientifiques avaient transplanté des matières fécales de souris obèses dans l’intestin de souris de poids normal. Ils avaient alors observé une augmentation de certaines souches bactériennes dans la flore intestinale, ainsi qu’une prise de poids chez les souris traitées. Apparemment, la nouvelle flore intestinale était plus efficace pour extraire les calories présentes dans la nourriture.»

Gerhard Rogler et ses collègues présument aujourd’hui que le même effet se produit chez les personnes ayant participé à leur étude. La flore intestinale dont la composition a évolué après l’arrêt du tabac fournit selon eux probablement plus d’énergie au corps, ce qui engendre une prise de poids chez les fumeurs récemment sevrés. Restent, dans l’attente de futures traductions pratiques de cette découverte, les conseils des diététiciens pour ne pas trop prendre de poids en arrêtant le tabac.

1. Une étude publiée en mars 2013 dans le JAMA établit que le gain de poids possible après l’arrêt du tabac n’obère nullement la réduction du risque d’affection cardiaque obtenu grâce au sevrage. Le texte (en anglais) de cette étude est disponible ici.

2. Le texte (en anglais) de cette publication est disponible ici.

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