Se sortir de la spirale infernale du jeu
Le jeu pathologique est une réelle addiction, au même titre que la dépendance à l’alcool ou à la cocaïne. C’est la poursuite des conduites malgré leurs conséquences négatives et la perte du contrôle qui font de ce comportement un véritable trouble psychiatrique, pouvant même être associé à une conduite suicidaire. Il est d’ailleurs inscrit dans le Manuel de référence diagnostique et statistique des troubles mentaux DSM IV, décrit comme un trouble du contrôle des impulsions.
Mécanismes à l’œuvre
Différents mécanismes sont impliqués dans le maintien du jeu excessif. Ce sont des pensées, des émotions et des sensations physiques qui vont conditionner le joueur : passer devant un casino peut par exemple suffire à déclencher l’envie irrépressible de jouer. L’idée de pouvoir soulager une tension, de ressentir une excitation ou d’éviter les problèmes quotidiens forceront également le passage à l’acte. Toutes sortes de croyances sur le jeu telles que « En jouant souvent, on est sûr de gagner » entretiennent parallèlement ces conduites. Les joueurs invétérés sont aussi fréquemment pétris de superstitions du type « Si je vois des chiffres en rêve, c’est que je dois les jouer » et ont tendance à surestimer leurs chances. Aussi, il n’est pas rare qu’ils aient l’illusion de pouvoir contrôler les événements : ils pourront choisir une machine en fonction des résultats précédents pour que ça leur porte chance. Ils nourrissent par ailleurs de fortes attentes à l’égard du gain espéré, perçu comme une solution à tous les problèmes.
Malgré la fréquence du jeu pathologique ou d’un rapport problématique au jeu dans la population générale et en dépit de la gravité des conséquences pour les personnes touchées et leur entourage, seule une faible proportion de joueurs a finalement accès aux soins ou en émet le désir. Selon les estimations en effet, moins de 10% des joueurs problématiques et 29% des cas pathologiques se soignent. Les spécialistes constatent qu’une telle demande survient le plus souvent lors de crises majeures, après plusieurs années d’évolution de la maladie. La honte, la stigmatisation, le déni, les tentatives de se refaire ou de contrôler par soi-même le jeu, la méconnaissance des traitements et de leurs coûts en sont les principaux obstacles. Parmi les personnes qui franchissent le pas, près d’un tiers arrêteront le traitement avant même de l’avoir commencé. Un dépistage systématique des personnes en proie au jeu, au moyen d’un questionnaire, pourrait sensiblement améliorer la situation.
Traitements
Durant ces dix dernières années, de plus en plus d’études se sont intéressées à l’utilité de l’intervention brève, à l’entretien motivationnel et aux thérapies cognitivo-comportementales (TCC) comme traitements du jeu excessif.
Dans l’intervention brève, une approche qui a clairement montré son intérêt, le médecin fera le point avec le patient sur sa relation au jeu par rapport au reste de la population. Il tentera ensuite de le responsabiliser face à sa conduite, en soulignant que modifier son comportement est une décision qui lui appartient. Il l’informera clairement des bénéfices d’un changement et des moyens possibles pour y parvenir. Il s’appliquera à renforcer son aptitude à évoluer.
Les TCC au secours du jeu excessif
Les approches motivationnelles et les TCC sont fréquemment associées dans la clinique quotidienne pour soigner le jeu pathologique. Un effet favorable de ces traitements, dans des séances individuelles ou de groupe, ont été démontrées par des études.
Le rapport qu’entretient le patient avec ses pratiques de jeu, sa motivation, sa confiance face à un éventuel changement seront explorés, en vue de déterminer la suite du traitement. Un entretien motivationnel pourra être conduit en cas d’ambivalence quant au désir de changer. Les questions et l’écoute apportées par le spécialiste permettront au patient de mieux comprendre et de mieux gérer cette hésitation.
Les autres stratégies thérapeutiques développées seront centrées sur le changement lui-même et son maintien. Le patient sera encouragé à cerner avec précision les contextes, les émotions, les pensées et les comportements en lien avec les différentes phases du jeu. Le moment de jeu lui-même sera décrypté : position du joueur, repérage des signes annonciateurs d’un gain, choix des mises, actions ou pensées réalisées dans le but de gagner, etc.
Le patient sera aussi sensibilisé à l’existence de différentes options et attitudes possibles devant une situation à risque : on peut l’éviter, adopter un nouveau comportement, se mettre à l’abri en remettant à autrui ses cartes de crédit ou en se faisant interdire de casino, par exemple.
Tout un travail cognitif sera parallèlement mis en œuvre dans le but de déconstruire les croyances qui entretiennent le jeu excessif. L’un des objectifs est d’amener le patient à découvrir qu’il est impossible de prévoir ce qui va se passer dans le jeu, puisqu’il ne s’agit pas d’adresse, mais de hasard. Des mises à l’épreuve sur le terrain, avec anticipation des obstacles éventuels et évocation des solutions pour y faire face, permettront au patient d’éprouver ces nouvelles réalités.
Internet, dangereux pour les joueurs invétérés, pourrait contre toute attente constituer une aide précieuse. Une récente étude a démontré qu’une approche motivationnelle et une TCC en ligne, associées à un appel téléphonique hebdomadaire, a un impact positif sur ces conduites. Une perspective nouvelle à explorer.
Références
Adapté de «Approches psychothérapeutiques du jeu pathologique », Y. Khazaal. Rev Med Suisse 2010 ; 6 : 1756-1759, en collaboration avec l’auteur.