Trop d’écrans nuisent à nos nuits

Dernière mise à jour 17/06/13 | Article
Trop d’écrans nuisent à nos nuits
L’utilisation nocturne des écrans est un risque majeur de perturbation du sommeil. Les auteurs d’une étude américaine lancent, sur ce thème, une nouvelle alerte. Seront-ils entendus par ceux qui s’y exposent?

Le Dr Charles A. Czeisler est un expert des rouages du sommeil qui travaille à la Harvard Medical School et au Brigham and Women 's Hospital (Boston). Il vient de lancer une alerte dans les colonnes de la revue Natureconcernant l’impact négatif et croissant de l’utilisation nocturne des multiples écrans qui nous environnent. On retrouvera ici (en anglais) ce texte court mais dense, sévère mise en garde contre les conséquences de cet aspect nouveau et envahissant de notre mode de vie.

Il y a plusieurs raisons, nous dit le Dr Czeisler, qui conduisent au manque de sommeil dans nos sociétés où l’activité règne 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Mais la première et la plus importante est sans conteste l’usage qui est fait de la lumière électrique, cette percée technologique qui a bouleversé le mode de vie de l’humanité. Pour le Pr Michel Jouvet, l’un des plus célèbres spécialistes du sommeil1, il est hautement vraisemblable que les troubles du sommeil n’existaient pas (ou très peu) avant l’émergence de l’éclairage électrique et tout ce qui a progressivement suivi. Nous oublions souvent en effet que la possibilité de disposer à volonté de différentes possibilités d’éclairage a bouleversé nos rythmes circadiens et, partant, nos facultés d’endormissement.

Lumières nocturnes versus Paradis artificiels

Pour sa part, le Dr Czeisler s’intéresse tout particulièrement aux effets physiologiques des lumières artificielles qui frappent les rétines entre le crépuscule et l'aube. Selon lui, «la lumière nocturne qui affecte nos rythmes circadiens est bien plus puissante que n'importe quelle drogue». Il fait référence tout particulièrement aux éclairages provenant des ordinateurs, smartphones ou autres tablettes, et estime que ce nouveau «facteur lumière» joue un rôle plus important encore sur les troubles du sommeil que la caféine, le stress lié au travail ou une alimentation déséquilibrée.

Aujourd’hui aux Etats-Unis 30% des adultes salariés et 44% des travailleurs de nuit dorment moins de six heures toutes les vingt-quatre heures. Il y a un demi-siècle cette proportion était dix fois inférieure. De nos jours, à travers le monde, les enfants dorment environ soixante-dix minutes de moins par nuit qu’il y a un siècle. On connaît encore mal (ou on sous-estime) les multiples conséquences du manque chronique de sommeil, qu’il s’agisse d’un risque accru d'obésité, de diabète, de maladies cardiovasculaires ou de dépressions. Ce phénomène doit être rapproché de l’augmentation inquiétante du nombre de cas de déficit de l'attention/hyperactivité (TDAH) – avec les conséquences médicamenteuses qui en résultent.

Les tablettes jouent un rôle sur la durée du sommeil

A l’échelon biologique et physiologique, l’exposition à la lumière est à l’origine d’un ensemble de processus complexes impliquant en permanence les différents tissus et cellules de l'œil et de la rétine photosensible qui régulent les horloges circadiennes. Les lumières artificielles auxquelles on s’expose la nuit ont pour effet d’inhiber les neurones activateurs de sommeil et d’augmenter l'excitation d’autres trajets neuronaux qui jouent un rôle important dans l'éveil et l'inhibition du sommeil. L’exposition aux lumières artificielles perturbe d’autre part la libération nocturne de mélatonine, hormone directement impliquée dans les processus du sommeil.

Le Dr Czeisler rappelle que le coût de la lumière n’a cessé de baisser, favorisant son utilisation à toute heure. Entre 1950 et 2000, le coût de production de lumière a été divisé par six au Royaume-Uni et la consommation de lumière par habitant multipliée par quatre, tandis que la durée du sommeil diminuait. Vinrent dans le même temps les diodes électroluminescentes à semi-conducteurs (LED– light-emitting diode) des téléviseurs. Puis celles des écrans d'ordinateurs, des ordinateurs portables des tablettes et autres dispositifs mobiles qui renforcent notre exposition à l’éclairage nocturne. Or l'exposition nocturne aux LED perturbe également les rythmes circadiens, la sécrétion de la mélatonine et le sommeil.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que des études mettent en garde contre de tels effets. L’impact de l’usage des tablettes sur la durée du sommeil a par exemple déjà été mis en évidence (voir à ce sujet notre article "Ta tablette t'empêche de dormir") et un travail du Rensselaer Polytechnic Institute (New York), publié dans la revue Applied Ergonomics, avait  conclu aux effets très perturbants de la lumière bleue des tablettes mobiles sur la mélatonine.

La fée électrique et la qualité des songes

Mais rien n’interdit de penser que des solutions techniques pourraient être trouvées, en modifiant notamment les couleurs et les intensités des LED. «Les effets néfastes de la lumière nocturne sur le sommeil et les rythmes circadiens peuvent être réduits en remplaçant la lumière bleue enrichie par une lumière blanche-rouge ou orange après le coucher du soleil», estime le Dr Czeiler. Il est toutefois temps selon lui de critiquer les assurances données par Thomas Edison (1847-1931) pour qui l'utilisation de la lumière électrique ne pouvait en aucun cas être dangereuse pour la santé ou affecter la qualité du sommeil.

Pour sa part Michel Jouvet estime que cet inventeur américain (fondateur de l’empire General Electric) a fait entrer l’humanité dans l’ère qui est la nôtre. Une ère qui va bientôt laisser sa place à une autre : «Nous sommes toujours dans l’ère "post-edisonienne", affirme Jouvet. Mais pour ma part je cherche à mettre un nom sur celle où nous entrons.» Toutes les propositions sont les bienvenues. Mais le Pr Jouvet n’a pas d’adresse mail…

 

1. On peut conseiller le dernier ouvrage, original et riche d’enseignements, que le Pr Michel Jouvet vient de consacrer aux rêves : De la science et des rêves, mémoires d’un onirologue, Paris, Odile Jacob, 2013. Une critique de cet ouvrage dans la Revue médicale suisse est accessible ici.

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