La privation de sommeil met le corps en danger

Dernière mise à jour 09/04/15 | Article
La privation de sommeil met le corps en danger
Entre déplacements et rendez-vous qui se succèdent, les dirigeants politiques dorment souvent peu. A tort.

De quoi on parle?

Les faits

Ses compatriotes l’appellent «La reine de la nuit». Rien à voir avec une vie nocturne dissolue. Ce sont les capacités de la chancelière allemande à dormir très peu qui justifient son surnom. Elle a elle-même expliqué pouvoir faire des stocks de sommeil: «Je suis un véritable chameau!»

Bilan

Les Allemands s’inquiètent pourtant des conséquences de ces privations de sommeil sur la santé de leur dirigeante mais aussi sur ses capacités à prendre des décisions importantes pour le pays.

Il aura fallu 17 heures de négociations pour arracher un plan de paix en Ukraine, le 12 février dernier à Minsk. Les quatre chefs d’Etat, russe, français, allemand et ukrainien, avaient entamé les discussions le mercredi à 20 h et ne sont ressortis que le lendemain à la mi-journée pour annoncer la signature des premiers accords.

Traits tirés, cernes: les dirigeants se sont dits «épuisés mais soulagés». Après un tel marathon, point de repos cependant pour Angela Merkel, qui est partie dans la foulée participer à un sommet à Bruxelles. Surtout, avant d’entamer les rudes négociations à Minsk, la chancelière avait parcouru près de 20000 kilomètres en une semaine: de Kiev à Moscou, en passant par Munich, Washington, Ottawa, et Berlin!

Interrogée par des médias allemands sur ce rythme de vie plus que soutenu, Angela Merkel s’est voulue rassurante. Elle a expliqué pouvoir dormir une poignée d’heures plusieurs jours d’affilée mais avoir besoin de «faire des réserves» en s’octroyant régulièrement des nuits de 10 heures voire plus. De quoi faire culpabiliser tous ceux qui après des nuits de six ou sept heures ont du mal à émerger.

Durée du sommeil

Une dette de sommeil qui se creuse

«On ne fait pas des réserves de sommeil, explique José Haba-Rubio, médecin associé au centre d’investigation et de recherche sur le sommeil du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). On rembourse plutôt la dette qui s’accumule au fur et à mesure des nuits trop courtes.» Et pas besoin d’être chef d’Etat pour creuser sa dette. Selon le spécialiste, la plupart des personnes actives auraient entre 25 et 30 heures de sommeil en retard. «Jamais les êtres humains n’ont si peu dormi. En un siècle, la durée moyenne des nuits a diminué d’au moins 1h30 dans les pays industrialisés, ce qui est énorme!»

Au cours du siècle passé, notre sommeil est devenu peu à peu secondaire dans nos modes de vie de plus en plus trépidants. Le travail, les transports, les loisirs dictent le rythme, laissant le temps qui reste au sommeil. «Un tiers des personnes qui travaillent déclarent dormir moins de 6 heures par nuit, alors que la plupart des adultes ont besoin de sept voire huit heures pour être en pleine possession de leurs moyens», rappelle José Haba-Rubio.

Or les conséquences du manque de sommeil sont nombreuses: baisse de l’attention, des capacités d’apprentissage, somnolence, irritabilité… De quoi perturber l’activité quotidienne d’un chef d’Etat. «Cela ne veut pas dire qu’Angela Merkel est globalement moins performante, explique Stephen Perrig, responsable du Laboratoire du sommeil des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Elle a la chance d’avoir une équipe, qui gère, planifie, organise: elle peut donc focaliser son attention sur les choses vraiment importantes.»

Une équipe sur laquelle on peut compter, est-ce donc là le secret de tous ceux qui comme la chancelière se vantent de ne pas avoir besoin de beaucoup de sommeil? «Nous sommes dans une société où dormir peu est valorisé, déplore José Haba-Rubio. Beaucoup d’hommes et de femmes d’affaires, de politiques mettent en avant le fait qu’ils ne dorment que quelques heures. Mais on peut réellement émettre des doutes car ceux qui naturellement n’ont pas besoin de plus de six heures de sommeil sont extrêmement rares.»

La dette de sommeil débute de plus en plus jeune

C’est la première étude d’une telle ampleur sur le sommeil des adolescents. Les résultats de ces travaux menés sur 270000 jeunes américains et publiés mi-février dans la revue Pediatrics, montrent que le sommeil des adolescents s’est nettement dégradé en vingt ans. Alors qu’ils étaient 72% à déclarer dormir régulièrement au moins sept heures par nuit en 1991, ils ne sont plus que 63% aujourd’hui. «C’est d’autant plus inquiétant que sept heures par nuit, c’est moins que ce dont les adolescents ont réellement besoin», commente José Haba-Rubio. En effet, de récentes recommandations rappellent qu’entre 14 et 18 ans, les adolescents ont besoin de dormir 8 à 10 heures par nuit. Un manque de sommeil qui, chez les jeunes, se manifeste surtout par un déficit de l’attention, des performances moins bonnes en classe et, comme chez l’adulte, des sautes d’humeur.

«Les ados ne dorment pas assez, et en plus le rythme scolaire ne correspond pas à leur chronotype couche-tard – lève-tard», souligne Stephen Perrig, neurologue au Laboratoire du sommeil des HUG, qui participe à un projet de recherche sur le sommeil des adolescents genevois. Des expériences menées dans différents pays ont déjà montré que décaler le début des cours d’une seule heure suffit à améliorer les performances et la fatigue chez les ados. «Et, contrairement à ce que l’on peut penser, ils ne profitaient pas de cet horaire décalé pour veiller plus tard, mais bien pour dormir plus», précise José Haba-Rubio.

Sieste bénéfique mais taboue

«Ceux qui disent dormir peu la nuit oublient souvent aussi de dire qu’ils dorment la journée», ajoute Stephen Perrig. Angela Merkel aurait d’ailleurs avoué profiter de ses nombreux déplacements pour faire des siestes. Une pratique presque taboue dans le monde occidental et qui pourtant présente de nombreux bénéfices. «Les études sont nombreuses démontrant qu’une turbo sieste en début d’après-midi permet d’augmenter la performance pour le reste de la journée», souligne Stephen Perrig. Entre quinze et vingt minutes suffiraient ainsi à recharger les batteries.

La sieste serait plus efficace que les grasses matinées du week-end. «Si accumuler le manque de sommeil, puis dormir une demi-journée fonctionne pour Angela Merkel c’est qu’elle a encore un sommeil d’ado», sourit Stephen Perrig (voir encadré). Le médecin le souligne, si elle avait été une grande dormeuse, jamais la chancelière ne pourrait tenir un rythme pareil: «On l’oublie trop souvent, mais nous avons chacun un chronotype, dicté biologiquement: couche-tôt, lève-tard, c’est inscrit dans les gènes, et il est important de le respecter.»

La sieste des petits mise sur la sellette

La sieste de l’après-midi pourrait perturber le sommeil nocturne des enfants de plus de 2 ans. Pour parvenir à ce résultat, les scientifiques ont compilé les données de 26 études sur le sommeil des enfants. Ils ont constaté que ceux qui faisaient la sieste mettaient plus de temps à s’endormir le soir et dormaient en moyenne moins longtemps.

Faut-il donc la supprimer après 2 ans? Ce n’est pas l’avis de Stephen Perrig: «C’est peut-être plus pratique pour les parents que les enfants s’endorment vite le soir et dorment plus longtemps, mais la sieste vise avant tout leur bien-être pendant la journée». Le neurologue souligne par ailleurs une limite de l’étude: «Les données sont subjectives car basées sur des questionnaires. Il faut donc rester prudent avec ses conclusions.» Malgré cela, les chercheurs australiens conseillent de s’attaquer à la sacro-sainte sieste quand les petits présentent des troubles du sommeil récurrents.

Des effets néfastes sournois

Depuis quelques années, de plus en plus d’études mettent en évidence des relations entre manque de sommeil et perturbations métaboliques. Il est maintenant avéré que dormir trop peu modifie la sécrétion de deux hormones, la leptine et la ghréline, et conduit à manger plus. De récents travaux viennent de montrer qu’une privation de sommeil de quelques heures pendant moins d’une semaine suffit à augmenter le taux d’acides gras dans le sang et la résistance à l’insuline, un «état de diabète transitoire» comme le décrivent les chercheurs.

Des effets néfastes sur la santé à long terme sur lesquels le public n’est pas assez informé. «Il y a aussi un manque d’information des médecins, remarque Haba-Rubio. Le sommeil a longtemps été considéré comme un temps mort. C’est heureusement en train de changer, mais jusque récemment il n’y avait que quelques heures de cours sur le sommeil dans tout le cursus de médecine. C’est peu pour une activité vitale qui occupe un tiers de notre vie.»

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