Il faut éviter de prendre des décisions importantes l’estomac vide

Dernière mise à jour 25/02/20 | Article
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La faim rend impulsif et conduit à faire de mauvais choix, y compris en matière financière, selon des psychologues écossais.

Nous en avons tous fait l’expérience. Mieux vaut ne pas faire ses courses quand on a le ventre vide, car on a alors tendance à acheter plus de produits alimentaires et à privilégier ceux qui peuvent être consommés immédiatement et qui sont riches en énergie. Une récente étude menée par des psychologues de l’Université de Dundee, en Ecosse, l’a non seulement confirmé, mais elle a aussi montré que la faim influençait d’autres comportements qui n’ont rien à voir avec la nourriture.

Les chercheurs ont recruté cinquante volontaires et les ont interrogés non seulement sur la nourriture, mais aussi sur d’autres sujets, comme l’argent. Ils ont testé ces personnes à deux reprises: quand elles étaient rassasiées, puis quand elles avaient sauté un repas. Ils ont alors constaté que dans cette dernière situation, les participants étaient plus susceptibles de préférer un repas modeste, mais servi tout de suite, à un autre plus copieux, disponible plus tard. Mais il y a plus étonnant encore: les participants choisissaient aussi de recevoir immédiatement une petite somme d’argent plutôt que de devoir attendre pour en empocher une plus grosse.

Les individus ayant faim modifient donc leurs préférences en matière de récompenses, même si celles-ci n’ont aucun lien avec l’alimentation. «Cette étude est intéressante, commente Lucie Favre, médecin associée au service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme du Centre universitaire hospitalier vaudois (CHUV), et responsable de la consultation de prévention et de traitement de l’obésité. On savait que la faim rend impulsif et pousse à prendre des décisions plus risquées en matière d’alimentation, mais il est surprenant de constater qu’elle a le même effet dans d’autres domaines, comme celui de l’argent.»

Des signaux envoyés au cerveau

Se nourrir est un comportement vital. Notre organisme dispose donc d’une série de mécanismes pour nous inciter à manger suffisamment afin de satisfaire nos besoins en énergie, mais aussi pour nous pousser à quitter la table quand nous sommes rassasiés.

Le centre de contrôle de la faim se trouve dans l’hypothalamus. Cette petite structure située au cœur du cerveau «renferme deux populations de neurones, explique Lucie Favre. Les cellules nerveuses dites orexigènes stimulent la prise alimentaire en sécrétant le neuropeptide Y». Elles ouvrent l’appétit et favorisent le stockage des graisses dans le tissu adipeux. Quant aux neurones anorexigènes, ils ont l’effet inverse: ils sécrètent le peptide POMC, qui est le principal inhibiteur de la faim. Une mutation dans le gène POMC entraîne d’ailleurs une obésité.

Divers organes et tissus se chargent d’envoyer à l’hypothalamus des signaux – qui prennent la forme d’hormones – afin de le renseigner sur les besoins énergétiques de l’organisme. Quand la glycémie (taux de sucre dans le sang) est trop basse, certaines cellules de l’estomac libèrent de la ghréline, une hormone qui stimule la production du peptide Y, ce qui augmente la sensation de faim. Quand les nutriments arrivent dans l’intestin grêle, ils stimulent la sécrétion de GPL-1 et, lorsque la glycémie remonte, la synthèse d’insuline augmente. Ces deux hormones ont pour cible d’action le peptide POMC, qui agit comme un coupe-faim. «Le GPL-1 est d’ailleurs utilisé sous forme d’injection pour traiter des personnes souffrant d’obésité», précise Lucie Favre. En outre, le tissu adipeux blanc secrète une autre hormone, la leptine, qui donne à l’hypothalamus des indictions sur les réserves de graisse.

L’envie de manger

Ce système de régulation constitue une belle mécanique sur laquelle il est difficile d’intervenir – c’est pour cette raison que la plupart des régimes ne marchent pas (lire encadré). Ce sont d’ailleurs ses dérèglements qui conduisent à l’obésité, laquelle n’est donc pas «une simple affaire de volonté et de responsabilité individuelle, souligne la spécialiste. Il s’agit d’une maladie qui s’apparente à l’addiction et qu’il faut traiter comme telle».

La physiologie et le métabolisme n’expliquent cependant pas tout. «Les mécanismes impliqués dans la prise de nourriture peuvent être dépassés par l’envie de manger et par le plaisir que procure un bon repas, précise l’endocrinologue du CHUV. Indépendamment de la faim et de la satiété, on est amené à manger pour activer dans notre cerveau le système de récompense.» C’est sans doute ce qui explique le comportement des participants à l’étude réalisée par les psychologues écossais. Etre affamé modifierait nos préférences en matière de récompenses, même celles qui n’ont aucun lien avec l’alimentation et qui concernent par exemple l’argent. Ce qui fait dire à l’un des auteurs de l’étude que, «si vous allez voir votre conseiller bancaire en ayant faim, cela pourrait vous rendre plus sensible à un bénéfice immédiat aux dépens d’un avenir potentiellement plus favorable».

La faim n’est en effet «pas une condition physiologique satisfaisante, remarque Lucie Favre. La sensation qu’elle procure nous habite et nous empêche de réfléchir correctement». Rien d’étonnant à ce qu’elle nous pousse à prendre de mauvaises décisions.

Pourquoi les régimes ne marchent pas

Il est difficile de maigrir. On exclut certains aliments de nos menus, on réduit la quantité de nourriture consommée et l’on arrive effectivement à perdre du poids. Mais petit à petit, les kilos s’accumulent à nouveau. «Quand on dit à notre corps "régime", il entend "famine", explique Lucie Favre, responsable de la consultation de prévention et de traitement de l’obésité du CHUV. Il a en effet été programmé dans un monde où la disette régnait souvent et il s’efforce de reconstituer le stock des graisses perdues pendant les périodes de pénurie.»

C’est pour cette raison que, lorsqu’on suit un régime très restrictif qui fait perdre rapidement du poids, la production de leptine, l’une des hormones de satiété, baisse de manière importante. Dans notre cerveau, l’hypothalamus réagit alors aussitôt et accroît la sensation de faim afin de nous protéger contre une perte excessive de kilos et cela, même si notre poids de base est élevé. Ensuite, nous grossissons à nouveau.

Dans les années 1990, lorsque des généticiens de l’équipe de Jeffrey Friedman, à l'Université Rockefeller de New York, ont isolé le gène responsable de la production de la leptine, ils ont soulevé un énorme espoir. Ils croyaient avoir enfin trouvé la pilule miracle permettant de maigrir sans diminuer sa prise alimentaire ni faire de l’exercice. Les chercheurs ont en effet constaté que des souris privées de ce gène devenaient obèses, mais qu’il suffisait alors de leur injecter de la leptine pour qu’elles maigrissent de façon spectaculaire. Malheureusement, il a fallu rapidement déchanter. «Les personnes obèses ont un taux de leptine très important, elles sont donc résistantes à cette hormone», précise la doctoresse. Seuls les rares individus porteurs d’une mutation dans le gène de la leptine et dont l’obésité est donc d’origine génétique tirent des effets bénéfiques de ce traitement.

A celles et ceux qui veulent maigrir, Lucie Favre prodigue donc un conseil de bon sens. «Il faut écouter ses sensations de faim et de satiété et manger, lentement, quand on en ressent le besoin. Puis s’arrêter dès que l’on se sent rassasié. Il est temps de sortir du dogme selon lequel il faut consommer ce que l’on a dans son assiette.»

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Paru dans Le Matin Dimanche le 15/12/2019.

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