Devenir secouriste en santé mentale

Dernière mise à jour 22/06/22 | Article
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Neuf personnes sur dix connaissent une personne concernée par des difficultés psychiques. Le programme «ensa» propose une formation de premiers secours en santé mentale pour pouvoir leur venir en aide.

Au cours de sa vie, un individu sur deux souffrira, au moins une fois, de difficultés psychiques. Selon une étude européenne* – dont les chiffres peuvent être appliqués à la Suisse – les personnes interrogées ont été touchées par un trouble psychique au cours des douze derniers mois: troubles anxieux (14%), troubles de l’humeur (7,8%), dépendance à une substance (3%), troubles psychotiques (1 à 2%) et troubles de la personnalité (moins de 1%). Or, au même titre que celle physique, la santé mentale est une composante essentielle de la santé globale, comme le rappelle l’Organisation mondiale de la santé (OMS): «Elle est un état de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de sa communauté.»

Que faire dès lors lorsqu’un proche, un ami, un parent, une voisine, une collègue exprime un mal-être? La Fondation suisse de promotion de la santé mentale Pro Mente Sana propose, depuis 2019, des cours de premiers secours en santé mentale à tous ceux qui souhaitent acquérir des outils pour aider les personnes de leur environnement, privé ou professionnel, qui rencontrent des difficultés psychiques ou qui sont en crise. L’idée du programme «ensa»** est d’encourager la détection précoce des troubles psychiques pour permettre ensuite une prise en charge par un professionnel. «Si on n’intervient pas, la situation risque de s’aggraver. Le traitement sera alors plus lourd et le rétablissement plus long, avec potentiellement des absences de longue durée et une qualité de vie diminuée», déclare Steven Derendinger, coordinateur ensa pour la Suisse romande.

Les futurs secouristes apprennent à détecter les signes de mal-être, qui peuvent être très divers: changements d’humeur ou de comportement, réactions inhabituelles, isolement social, anxiété avec évitement de situations qui par le passé ne posaient pas de problème, irritabilité, agressivité, abus de substances, troubles du sommeil, troubles alimentaires, etc. Ces signaux, même s’ils sont parfois subtils, sont à prendre au sérieux s’ils perdurent dans le temps. Dans certains cas, la souffrance s’exprime de manière plus tapageuse, comme lors d’automutilation, d’une attaque de panique ou d’idées suicidaires, des situations qui nécessitent une intervention rapide. On peut aussi être confronté à quelqu’un qui tient des propos bizarres ou incohérents, qui est en proie à des idées délirantes ou à des hallucinations.

Une idée australienne

L’idée d’ensa** est née en Australie dans les années 2000. «Dès le départ, cette formation a été évaluée et répond à des normes exigeantes, souligne Steven Derendinger, coordinateur ensa pour la Suisse romande. On n’enseigne pas un point de vue, mais un programme qui est reconnu par la profession depuis vingt ans. Il se base sur des données étayées et sur une littérature scientifique solide.» Parmi les instructeurs: des professionnels de la santé et de la santé mentale, des formateurs d’adultes, des pairs-praticiens ayant surmonté leurs difficultés psychiques. «Pour les participants, voir que l’on peut se relever est porteur d’espoir», conclut le spécialiste.

Plus d’informations: www.ensa.swiss/fr/

«Taré», «fou», «cinglé»

Quel que soit le cas de figure, apporter son aide n’est pas chose simple, comme illustre Steven Derendinger: «Dans la majorité des cas, une personne qui va mal affirme le contraire. Montrer de l’intérêt pour son bien-être et garder le lien sont des premiers pas importants pour que, à terme, elle accepte une prise en charge.» Les résistances peuvent en effet être nombreuses. Dans une société ultra-compétitive, il est difficile d’admettre sa vulnérabilité. «On est rarement valorisé pour sa fragilité. On vit dans une culture où il faut rester fort et faire face à l’adversité. Mais on est tous vulnérables», affirme l’expert.

Les troubles psychiques restent très stigmatisés et les préjugés sur la psychiatrie sont encore nombreux. Tout cela peut contribuer à l’isolement. D’ailleurs, «un quart seulement des personnes touchées dans leur santé mentale font appel à un professionnel. Et pourtant, lorsqu’on se casse un bras, on se rend immédiatement à l’hôpital. Il devrait en être de même pour les troubles psychiques», rappelle Steven Derendinger.

Plus qu’un rôle, un devoir

Devenir secouriste en santé mentale, c’est acquérir des grilles de lecture, identifier le degré d’urgence d’une situation, reconnaître la réalité de chacun sans vouloir l’interpréter, savoir être dans le non-jugement, identifier ses propres limites et connaître les ressources à disposition. «Nous ne formons pas des pseudo-psychothérapeutes, souligne le spécialiste. C’est au professionnel de la santé de poser un diagnostic et de proposer un traitement adéquat.» Mais secourir est un devoir, puisque ne pas venir en aide à une personne potentiellement en danger de mort – si on pense aux idées suicidaires – revient à de la non-assistance à personne en danger. Enfin, l’accès aux soins pouvant être retardé en raison de l’ampleur des besoins, les secouristes en santé mentale peuvent soutenir émotionnellement les personnes en souffrance et les aider à faire appel à d’autres ressources, en attendant qu’elles puissent consulter.

_________

*Bürli C, Amstad F, Duetz Schmucki M, Schibli D. Santé psychique en Suisse. État des lieux et champs d’action. Rapport sur mandat du Dialogue Politique nationale de la santé. Berne 2015.

**Le mot «ensa» vient de l’une des quelque 300 langues indigènes d’Australie et signifie «réponse». Les fondateurs du programme ont ainsi voulu signifier qu’il était une réponse adéquate à la prise en charge des personnes affectées par des troubles psychiques.

Paru dans Planète Santé magazine N° 45 – Juin 2022

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