«Le remède miracle de Trump? Pas si simple…»

Dernière mise à jour 14/10/20 | Questions/Réponses
Illustré_remède_Trump
Quel est le produit qui a été administré au patient Trump et teste sur seulement 275 malades? Peut-on parler de traitement miracle? La vérité est plus complexe, explique le professeur Giuseppe Pantaleo, médecin-chef du service d’immunologie et d’allergologie du CHUV et spécialiste mondial du sida.

«L’injection devrait coûter entre 2000 et 2500 francs en Suisse, mais si elle permet d’éviter des hospitalisations, la cherté de l’acte devient relative», Giuseppe Pantaleo

Un traitement miracle qui sera distribué à tous les Américains. C’est avec ce sens de la mesure qui le caractérise que, sur Twitter, Donald Trump a qualifié l’effet qu’a eu sur lui le traitement à base d’anticorps développé par l’entreprise américaine Regeneron. Une annonce qui n’a évidemment pas manqué de lancer une polémique aux Etats- Unis. Mais au-delà de la politique, que faut-il penser de cette approche thérapeutique? L’utilisation d’anticorps est devenue courante en médecine. Et nourrit de nombreux espoirs. Contre le covid, cependant, les anticorps de Regeneron n’ont pour l’heure été testés que sur 275 patients. Peut-on parler d’un traitement miracle, comme le fait le président américain sur la seule base de son expérience? La vérité est plus complexe, explique Giuseppe Pantaleo, médecin- chef du service d’immunologie et d’allergologie du CHUV et spécialiste mondial du sida. Pour le professeur, qui vient de recevoir 5 millions du programme de recherche européen Care pour partir, lui aussi, à la chasse aux anticorps contre le covid, le principal problème réside dans la fenêtre de temps pendant laquelle cette approche doit être utilisée. Pour que les anticorps soient efficaces, dit-il, il faut traiter très précocement l’infection. Mais plus largement, dans l’état actuel du savoir, qu’attendre de ce type de traitement contre le covid? Quelles en sont les limites? Décryptage.

             

Parmi la batterie de traitements qui lui ont été administrés, Donald Trump a dit s’être fait injecter des anticorps contre le Covid-19. Comment fonctionne cette approche? 

C’est une procédure très complexe. Disons, pour faire simple, qu’il s’agit de mimer les défenses naturelles de l’organisme. Lorsque ce dernier est attaqué par un agent infectieux, il produit via des cellules (les lymphocytes B) des protéines, les anticorps, pour lutter spécifiquement contre cette agression. Le but est d’isoler les anticorps qui sont efficaces contre le covid. Pour cela, on prélève du sang de patients infectés par le virus et, après l’avoir mis en culture, on identifie et on isole des anticorps efficaces contre le covid. Ensuite, on en fait une production à grande échelle, pour les transformer en médicament injectable aux personnes infectées. 

Dans le cas du covid, la stratégie consiste à sélectionner les anticorps neutralisant la fameuse protéine spike? 

Oui, spike est une protéine qui se trouve à la surface du virus et qui lui permet d’entrer dans une cellule pour l’infecter. Cette protéine est une sorte de clé qui permet d’ouvrir la serrure des cellules humaines. Ce que les chercheurs essaient de trouver, ce sont donc des anticorps capables de bloquer l’entrée du virus dans une cellule en se fixant à la protéine spike. 

Trump n’évoque que son traitement, le Regeneron. L’entreprise américaine n’est pourtant pas la seule à suivre cette voie? 

A ma connaissance, il y a trois laboratoires qui sont dans la course. Regeneron a déjà testé son produit sur 275 patients. Son originalité est de combiner deux anticorps. Eli Lilly a publié mardi dernier des résultats qui utilisent la même technique. Vir Biotechnology, qui est un peu en retard, vient quant à elle de démarrer une étude avec un anticorps qui avait été découvert en 2003 et qui s’était avéré efficace contre le SARS-CoV-1. Plusieurs laboratoires suivent donc cette piste thérapeutique. Il s’agit d’un traitement expérimental mais dont la méthode de production est largement éprouvée. 

Qu’est-ce qui va faire qu’un de ces anticorps sera plus efficace que l’autre? 

Pour le moment, nous avons isolé des anticorps à partir de patients qui étaient dans la phase aiguë de l’infection, lorsque les symptômes sont présents. Ce sont des anticorps «jeunes». Or, généralement, plus un anticorps est tardif, plus il a passé par un processus de maturation, et plus il est puissant et efficace. Il n’est pas donc pas du tout exclu qu’on trouve plus tard des anticorps qui soient de meilleure qualité. 

L’enjeu est aussi de trouver un anticorps efficace contre l’ensemble des coronavirus? 

Oui, le but des recherches est d’en identifier qui soient efficaces contre toute la famille des coronavirus, et pas seulement contre le SARS-CoV-2. 

Pour l’instant, le traitement n’a été testé que sur 275 patients. Cette approche thérapeutique présente-t-elle des risques? 

Ce que nous observons aujourd’hui avec le covid, c’est qu’une réponse immuni- taire trop forte ou inadéquate peut avoir de graves conséquences. De nombreux traitements cherchent donc à diminuer plutôt qu’à stimuler la réponse immunitaire de la personne infectée. Mais avec le type d’anticorps utilisé contre le covid, il existe peu de risques de provoquer une réponse immunitaire trop forte. On ne cherche en effet pas à induire une immunité de la part de l’hôte, comme avec les vaccins. Le but est simplement de créer une immunité transitoire bloquant l’entrée du virus dans les cellules. 

Ces anticorps humains sont donc d’une tout autre nature que les fragments de virus ou les virus atténués utilisés dans les vaccins. Cela rend-il le traitement plus sûr? 

Oui. Puisqu’il s’agit d’anticorps humains, on ne s’attend pas à une réponse exagérée de la part de l’organisme. Par ailleurs, à l’heure actuelle, il existe une cinquantaine d’anticorps qui sont enregistrés pour traiter des pathologies variées, telles que les maladies inflammatoires de l’intestin, des affections dermatologiques ou encore des cancers. Aucun problème de sécurité n’a jamais été observé. Je pense donc que le traitement est sûr. 

Seul problème, le traitement doit être administré très tôt… 

C’est la grande limitation de cette approche. Pour que le traitement soit efficace, il doit être administré avant que le système immunitaire de la personne malade ne se mette en route. Les premiers résultats des études sur les anticorps montrent une nette baisse de la charge virale lorsque l’injection est pratiquée au tout début de l’infection. Si nous trouvons le moyen de diagnostiquer très tôt, alors ces traitements pourront éviter des hospitalisations et ainsi réduire la pression sur le système sanitaire. Par contre, ils n’auront aucun effet sur des malades qui sont gravement atteints et déjà hospitalisés. 

Du coup, si le traitement doit être pris très tôt, a-t-il réellement pu «sauver» Trump? 

Impossible à dire. Il a dû quitter la Maison- Blanche, qui dispose d’un hôpital, pour se rendre dans un établissement avec des soins intensifs. A-t-il reçu de l’oxygène? A-t-on observé des lésions pulmonaires? Dans le cas des anticorps, était-il séropositif quand il les a pris? Pour «sauver» Trump, les anticorps de Regeneron auraient dû être administrés avant l’apparition des symptômes. Or il n’est pas possible aujourd’hui d’établir avec certitude la séquence du traitement. Et donc aucune réponse définitive ne peut être donnée sur ce sujet. 

Trump dit aussi vouloir rendre accessible le traitement à toute la population. Mais n’est-ce pas trop cher? 

La production de ce type de médicament est assez chère. Cela dit, dans le cas du Covid-19, nous imaginons faire une injection au tout début de l’infection qui immunise la personne de façon transitoire pendant deux ou trois semaines. L’injection devrait coûter entre 2000 et 2500 francs en Suisse, mais si elle permet d’éviter des hospitalisations, la cherté de l’acte devient relative. En réalité, la problématique du coût de ces traitements par anticorps ne vient pas du covid. Elle est liée aux maladies chroniques que ces anticorps contribuent à soigner aujourd’hui déjà. Pour la maladie de Crohn, qui est une maladie inflammatoire de l’intestin, il faut plusieurs injections. C’est la même chose avec les cancers. Cela coûte cher quand on doit répéter l’injection plusieurs fois par mois pendant plusieurs mois. Ce ne sera pas le cas pour le Covid-19, où une seule injection devrait suffire. 

Ces anticorps n’offrent qu’une immunité transitoire, au contraire des vaccins. La solution ne viendra-t-elle pas plutôt d’eux? 

C’est effectivement l’enjeu des vaccins: réussir à produire une réponse immunitaire qui soit assez puissante et, surtout, qui dure dans le temps, au contraire de l’immunité induite par les anticorps. Mais dans ce domaine aussi, les choses s’avèrent extrêmement compliquées. Au moment où ils seront mis sur le marché, nous aurons trop peu de recul pour savoir si l’immunité des vaccins persiste dans le temps. Autrement dit: on connaîtra peut-être l’efficacité du vaccin, mais on ne saura pas si son effet s’exerce à long terme. De plus, la Food and Drug Administration américaine a abaissé le seuil d’efficacité pour l’acceptation d’un vaccin à 50%. Arrivera-t-on à quelque chose avec des vaccins aussi faibles? J’ai peur que non. 

Cette pandémie est dramatique à bien des égards. Par contre, il semble qu’elle ait donné des ailes à la recherche… 

Oui, la rapidité avec laquelle le monde scientifique a répondu est remarquable. A Lausanne, nous avons développé un test diagnostic en un mois et demi. Il y a dix ans, nos équipes auraient mis quatre ou cinq ans pour réaliser le même travail. En plus, ces tests ont été développés par des centres académiques et ils sont concurrentiels avec ceux développés par de grands groupes pharmaceutiques. Ce qui paie, c’est l’investissement qui a été fait dans la recherche dite translationnelle, celle qui fait le lien entre la recherche de laboratoire et l’application concrète dans le monde clinique. A mon avis, continuer de soutenir ce type de recherche est nécessaire pour lutter contre les pandémies futures. Nous en avons eu trois ces dix-sept dernières années. Il y en aura d’autres. Pour y faire face, il faut investir, maintenant et massivement, dans des plateaux technologiques qui permettent de transférer les découvertes scientifiques de la recherche dans le monde réel, c’est-à- dire au lit du patient.

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Paru dans l'Illustré du 14/10/2020.

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