L’art comme un baume sur une plaie
Nathalie est en avance ce matin. Radieuse dans son t-shirt jaune soleil, elle projette une douce lumière sur les pierres murales de l’atelier d’art-thérapie. «J’adore venir ici, confie-t-elle au milieu des pinceaux et des palettes de couleur. C’est mon déversoir, un lieu où je peux ouvrir la capsule».
Cela fait maintenant quelque temps que Nathalie explore sa créativité sous le regard bienveillant de Marie Lanier Pazziani, art-thérapeute au Service d’enseignement thérapeutique pour maladies chroniques des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). La fibromyalgie, l’obésité et les souffrances psychologiques l’ont conduite à cette consultation, basée sur la redécouverte de soi à travers la création artistique. «L’art-thérapie permet d’aborder un problème différemment qu’avec les mots, explique Marie Lanier Pazziani. On quitte le monde rationnel pour toucher celui de la rêverie, des émotions, des pensées, des représentations de soi.»
Le poids des priorités
Aujourd’hui est une bonne journée pour Nathalie. «Quand j’ai trop mal, je n’ai qu’une envie: travailler avec l’argile, pour enfoncer mes doigts dedans, souffle-t-elle. C’est comme si j’aérais mes plaies. Mais là ça va, alors je vais pouvoir continuer mes projets en cours.»
Sur la table en bois trône déjà une illustration au Neocolor, réalisée lors de la séance précédente. Sur une feuille A3, un immense entonnoir est cerné de flèches menaçantes. Un symbole de la vie quotidienne de Nathalie, remplie par les douleurs. A côté du dessin, un petit bocal en verre déborde de pommes de pin, cailloux et copeaux de bois qu’elle a récoltés pour symboliser ses priorités. «Montrez-moi où ces objets se placeraient dans l’entonnoir», propose l’art-thérapeute. Les unes après les autres, les priorités s’entassent. Nathalie accompagne chacun de ses gestes d’un commentaire. Au fur et à mesure que la fresque se crée, elle réfléchit, se confie, s’interroge. Ses douleurs ne joueraient-elles pas aussi le rôle de garde-frontière, pour ne pas se sentir débordée? En quelques instants, elle passe du rire aux larmes, puis contemple son œuvre. «Là, c’est trop rempli. Ça, je n’en veux plus.»
En guide subtile et rassurante, la thérapeute l’encourage à poursuivre: «Et si vous n’aviez plus ces douleurs, à quoi ça ressemblerait? » Petit à petit, l’œuvre se transforme, s’aère. Jusqu’à ce que Nathalie puisse y poser un regard satisfait. Échange de regards complices avec sa thérapeute. «On respire mieux, non?»
Sable, aquarelle et papier mâché
A travers cette création, c’est le futur de Nathalie qui s’esquisse. Un avenir sans douleur, où tout retrouverait petit à petit sa place. Mais pour le moment, les cailloux retrouvent leur place dans leur bocal, jusqu’à la prochaine séance. A moins que, le moment venu, Nathalie ne préfère les laisser de côté pour faire de la sculpture ou du collage. «Nous avons une palette de médiums à disposition, explique la thérapeute. L’envie de travailler avec telle ou telle matière est souvent instinctive chez le patient. Petit à petit, il apprend à sentir ce dont il a besoin pour s’exprimer le plus authentiquement possible.»
Quel que soit le support choisi, l’art-thérapie aide à se reconnecter avec son corps et ses sens. La matière rend les émotions concrètes, palpables. Puis, elle permet de prendre du recul. «Au fond, ce qui manque vraiment dans ma vie, c’est de la reconnaissance», conclut Nathalie en refermant le bocal.
L’art-thérapie, c’est quoi?
Jeune discipline arrivée en Europe dans les années 1970, l’art-thérapie est une pratique de soins par les médiations artistiques telles que les arts plastiques (peinture, dessin, modelage, collage, etc.), la danse, le théâtre ou encore la musique. Elle s’adresse aux personnes touchées par des difficultés très variées, d’ordre psychologique, physiologique ou relationnel, qui peinent à mettre des mots sur leur souffrance. Cette thérapie est particulièrement indiquée en cas de maladie chronique, dépression, anxiété, stress, deuil ou encore de trouble du comportement alimentaire.
Le principe consiste à mettre en forme son vécu à travers le médium artistique dans un espace bienveillant libre de tout jugement esthétique. Un processus qui amène d’une part à se reconnecter avec son corps et ses sensations, et d’autre part à prendre du recul sur une situation. «Créer est un acte vivifiant, qui permet d’aborder un problème sous différents angles, détaille Marie Lanier Pazziani, art-thérapeute au Service d’enseignement thérapeutique pour maladies chroniques des HUG. C’est une façon de renouer avec son corps et sa personnalité.» En faisant des ponts entre leurs créations et leurs émotions, les patients apprennent à identifier leurs ressources pour avancer.
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Paru dans Générations, Hors-série « Se soigner autrement – Gros plan sur la médecine intégrative », Octobre 2019.