Sexualité: faut-il aider son médecin à en parler?

Dernière mise à jour 05/04/12 | Article
Homme et femme
Les femmes ne sont guère enclines à évoquer leurs difficultés sexuelles avec leurs gynécologues. Il en va de même des hommes et de leurs urologues. Ces blocages sont préjudiciables à la qualité de la relation médecin-malade. Peut-on les dépasser? Les réponses du sexologue du Dr Francesco Bianchi-Demicheli responsable de la consultation gynécologie psychosomatique et sexologie (Hôpitaux universitaires de Genève).

La sexualité est une composante clé de la santé physique et psychologique. Tout le monde en convient. Mais que sait-on des échanges sur ce thème dans les cabinets médicaux? Une réponse vient d’être fournie (pour ce qui est des femmes et de leurs gynécologues) au travers d’une étude américaine publiée dans le Journal of Sexual Medicine. Que nous apprend-elle? Pour l’essentiel (et contrairement à ce que l’on pourrait supposer) que bien peu de choses sont dites. Les gynécologues-obstétriciens américains et leurs patientes n’abordent guère les questions relatives aux troubles ou aux difficultés de la sexualité; et s’il arrive que le sujet soit abordé ce n’est que de manière indirecte, allusive. On ne le traite pas, on l’effleure. Une situation qui peut paraître étonnante et qui fait que les médecins passent fréquemment à côté de critères essentiels dans leurs évaluations diagnostiques et dans leurs choix thérapeutiques.    

L’étude a été menée par des chercheurs de l’Université de Chicago qui ont mené une enquête nationale auprès des gynécologues-obstétriciens américains. Ils constatent que près de deux tiers de ces spécialistes s'informent certes systématiquement de l'activité sexuelle de leurs patientes mais que de nombreux aspects de la sexualité féminine ne sont pas pris en compte. Ainsi seuls 40% des gynécologues se renseignent sur d’éventuels troubles sexuels, seuls 29% interrogent leurs patientes sur leur degré de satisfaction relative à leur vie sexuelle.

Compte tenu des liens depuis longtemps établi et démontrés entre une fonction sexuelle épanouie et l’état de santé en général les auteurs de ce travail suggèrent la nécessité qu’il y aurait à renforcer les lignes directrices de l’évaluation médicale de la santé sexuelle des personnes qui viennent consulter. «Beaucoup de mes patients disent que je suis le premier médecin à aborder avec eux les questions sexuelles, explique le Dr Stacy Tessler Lindau, professeur associé d'obstétrique et de gynécologie à l'Université de Chicago et auteur principal de l'étude. La sexualité est une composante clé de la santé physique et psychologique d'une femme. De toute évidence, les gynécologues sont les médecins les mieux placés pour aborder les questions de sexualité avec leurs patientes».

On sait par ailleurs qu’il existe des preuves solides outre-Atlantique quant à une forte prévalence de l’existence de troubles de la fonction sexuelle chez les femmes. Des études récentes montrent qu'environ un tiers des femmes d'âge jeune ou moyen et environ la moitié des femmes âgées éprouvent des troubles divers au premier rang desquels la baisse de la libido, différents types de douleurs pendant les rapports sexuels ou encore l’absence plus ou moins prononcée de plaisir. Et bien au-delà de la «dysfonction sexuelle», il faut compter avec les problèmes relationnels, l'anxiété, des sentiments de honte, de culpabilité, d’isolement… l’isolement. Si le médecin n’interroge pas sur tous ces aspects, il est peu vraisemblable que ses patientes en parlent de manière spontanée. Dès lors, qui le fera?

«Beaucoup de femmes souffrent en silence, souligné le Dr Tessler Lindau. Ces patientes sont souvent réticentes à parler de leurs difficultés sexuelles par crainte de provoquer la gêne du médecin ou même sa non-prise en compte de ces préoccupations. Les médecins devront donc prendre l'initiative. Détecter des troubles de la fonction sexuelle peut permettre aussi de révéler d’autres problèmes de santé sous-jacents.»

Cette étude américaine témoigne également du rôle joué par certains facteurs dans l’absence de ce dialogue médecin-patient. Ainsi, les médecins femmes se montrent-elles plus susceptibles d’aborder les sujets relatifs à la sexualité avec leurs patientes. Les jeunes gynécologues aborderont aussi plus facilement ce type de questions que leurs confrères ou consoeurs plus âgés. Un déficit dans la formation des médecins sur le diagnostic et le traitement des troubles de la sexualité semble ici clairement en cause. Plus généralement tout se passe comme si les patientes et les médecins redoutent d’offenser ou d’embarrasser l’autre en abordant ces questions. Pour autant, c’est bel et bien le gynécologue qui reste le mieux placé pour prendre l’initiative.

Parmi les cas spécifiques où les questionnements relatifs à la sexualité doivent être abordés figurent le maintien de la fonction sexuelle chez les patientes ayant été atteintes par un cancer ou chez les hommes ayant été opérés d'un cancer de la prostate (traitement de la dysfonction érectile, prise en charge de l’incontinence et des troubles de la sexualité qui lui sont généralement associés).

Ce qui est observé au-delà de l’Atlantique l’est-il également sur le Vieux Continent? «Il est bien difficile de fournir une réponse précise et documentée. Globalement on peut dire que ce constat n’est pas spécifique aux Etats-Unis, répond le Dr Francesco Bianchi-Demicheli, responsable de la consultation gynécologie psychosomatique et sexologie (Hôpitaux universitaires de Genève). Et ceci vaut malheureusement tant pour les femmes et les gynécologues-obstétriciens que pour les hommes et les spécialistes d’urologie.»

Pour le Dr Bianchi-Demicheli les arguments avancés sont connus. «On invoque généralement une nécessaire discrétion, le respect de l’intimité, précise-t-il. Le médecin peut aussi estimer que ce n’est pas à lui d’aborder ces questions si son patient ou sa patiente ne le fait pas de sa propre initiative. Or la vérité c’est que ce patient est très généralement soulagé que l’initiative vienne de son médecin. On est ainsi dans une situation pour le moins paradoxale, chacun attendant sans le dire que l’autre prenne la parole…»

L’erreur serait ici de croire qu’il ne s’agit, tous compte fait, que de «confort». Outre le fait qu’une sexualité épanouie est un atout important pour ce qui est de la santé en général et de la qualité de vie, les dysfonctionnements de la fonction sexuelle peuvent être très fréquemment le reflet signifiant de troubles organiques. «L’anamnèse sexuelle  devrait faire partie intégrante de la consultation médicale habituelle plaide le Dr Bianchi-Demicheli. Nous savons tous l’importance des liens qui existent entre la psychique et l’organique, la sexualité et le somatique. Pourtant les praticiens n’intègrent pas assez cette donnée dans leur quotidien professionnel.»

Selon lui, l’apparition soudaine d’une dysfonction érectile est un très bon exemple de symptôme de nature sexuelle qui, chez l’homme, peut aiguiller vers une pathologie organique cardiovasculaire sous-jacente. Or mieux vaut interroger (avec le tact nécessaire) le patient lors d’un interrogatoire général (et mener les investigations nécessaires) plutôt que d’attendre que ce dernier aborde d’emblée le sujet. Comment comprendre que des médecins que l’on pourrait tenir pour être familier avec certaines réalités crues de l’existence puissent être à ce point gênés par des questions relatives au sexe?

 «Il faut certes compter avec l’absence de formation initiale des praticiens en matière de sexologie, répond le Dr Bianchi-Demichelli. Mais il y a aussi d’autres explications, plus concrètes. Ainsi, il n’est pas rare d’entendre des spécialistes d’urologie confier qu’il ne veulent pas s’embarrasser des questions de sexualité de leurs patients dans la mesure où ils savent qu’aborder ces questions va immanquablement allonger la durée de la consultation….» Un argument compréhensible d’un point de vue financier mais pour le moins paradoxal quand on a choisi cette spécialité médicale et chirurgicale.

Mais peut-être faut-il au fond ne voir là qu’une manière parmi d’autres chez les médecins d’exprimer une gêne vis-à-vis de ce continent toujours aussi mystérieux qu’est la sexualité humaine. Si tel devait être le cas, on en viendrait à cet autre paradoxe qui voudrait que ce soit non plus au médecin mais à ses patients de faire le premier pas pour exprimer ce qui n’est pas, loin s’en faut, toujours le plus simple.

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