La majorité des patients «mentent» à leur médecin

Dernière mise à jour 29/04/19 | Article
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Une récente étude américaine met en lumière les difficultés des patients à être authentiques et à livrer toutes les informations, pourtant pertinentes, sur leur santé lors de la consultation médicale.

Le mensonge, au cœur des addictions

Les vérités approximatives et le mensonge peuvent se glisser dans n’importe quelle consultation médicale. La problématique des addictions pose toutefois des enjeux supplémentaires. Pourquoi? «Parce que les patients ne consultent pas toujours de leur plein gré. Certains sont envoyés par un juge, leur employeur ou un proche. Cela fausse la donne d’emblée», indique le Dr Thierry Favrod-Coune, médecin adjoint au Service de médecine de premiers recours des HUG. Le spécialiste rappelle que la bienveillance, le non jugement et le caractère confidentiel des échanges sont au centre de la relation d’aide. Certains patients (une minorité) souffrant de dépendance peuvent parfois, dans certaines circonstances, minimiser leur consommation ou être même dans le déni, ce qui ne facilite pas les choses. «Cela fait partie de la maladie. La plupart du temps, c’est inconscient et involontaire», souligne le spécialiste. L’intolérance à l’égard de ce qu’ils vivent fait naître ce mécanisme de défense. La pression de l’entourage peut aussi générer des mensonges courants tels que: «On a dû mettre quelque chose dans mon verre». Il faut dire que les substances elles-mêmes, y compris l’alcool, peuvent avoir un effet amnésiant, qui explique pourquoi un patient peut être convaincu de n’avoir bu «que deux verres», alors que son taux d’alcoolémie est de 2 grammes pour mille. Néanmoins, assure la Pre Barbara Broers, «des études montrent que les patients dépendants ne mentent pas plus que les autres s’ils se sentent en confiance avec leur médecin et si leur comportement n’a pas d’impact sur la suite de la prise en charge». Et si le bon médecin était tout simplement celui qui réussit à susciter la confiance de son patient?

Et si c’était dans le mensonge que la vérité commençait… comme l’instillait l’inoubliable Dr Gregory House, héros de la série du même nom? Le credo de ce médecin aussi génial qu’insupportable est encore dans toutes les têtes: «Everybody lies», soit tout le monde ment! Il n’avait sans doute pas tort, à en croire une étude récemment publiée dans le JAMA Journal qui révèle que 60 à 80% des patients interrogés «mentent» à leur médecin. Des résultats qui n’étonnent pas les experts consultés. Pour être tout à fait honnête, l’étude parle plus d’omissions que de véritables mensonges. Ne pas oser exprimer son désaccord quant aux recommandations de son médecin ni avouer que l’on n’a pas compris ses instructions, arrivent en tête de ces non-dits. «La consultation médicale est une rencontre de deux mondes, entre lesquels il y a parfois un précipice. C’est au professionnel de s’assurer que le patient a compris les informations données», déclare d’entrée Johanna Sommer, spécialiste en médecine interne générale et professeure à l’Université de Genève (UNIGE).

Les relations entre médecins et patients ont pourtant beaucoup évolué au cours des dernières décennies, la tendance étant à l’horizontalisation des rapports: «Les patients deviennent de vrais partenaires dans les soins et participent de plus en plus aux décisions», poursuit la professeure de l’UNIGE. Si l’on s’éloigne doucement d’un certain paternalisme, il semble que l’autorité de la blouse blanche soit encore bien établie. L’étude le confirme: on craint le jugement de son médecin, notamment quand il s’agit d’évoquer son hygiène de vie (activité physique, alimentation, tabagisme, par exemple). «J’aime bien manger et je bois du vin tous les jours à table, ce qui ne correspond pas aux standards actuels. Alors quand mon médecin généraliste, qui appartient à cette génération très saine, aborde le sujet, je prends quelques libertés», témoigne Julien*. Dans une société où la santé est devenue une vertu en soi, on est parfois tentés d’enjoliver les choses: «On veut tous paraître plus beaux et plus forts. C’est un comportement très humain», commente le Pr Nicolas Senn, médecin-chef du Département de médecine de famille, Unisanté, à Lausanne.

La peur de la réalité

Ce manque de transparence peut aussi être lié, plus ou moins consciemment, à la crainte d’être confronté à la réalité d’un diagnostic ou à celle de devoir abandonner de mauvaises habitudes pour sa santé. Parfois, c’est la honte ou la culpabilité qui poussent à contourner la vérité des faits. L’omission d’un comportement sexuel à risque est courante. «Le préservatif qui a cassé est un grand classique. Or, c’est rare. Mais c’est une explication plus facile que de dire qu’on n’en a pas mis du tout!», relate la Pre Barbara Broers, responsable de l’Unité des dépendances aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).  

Ne pas admettre qu’on n’a pas bien pris son traitement est également fréquent, d’après cette étude. Pourtant les médecins le savent: «Seule la moitié des patients suivent les prescriptions de leur médecin. Dans un quart des cas, ils le font de manière incomplète, et dans un quart des cas également, ils ne se rendent même pas à la pharmacie!», illustre le Dr Thierry Favrod-Coune, médecin adjoint au Service de médecine de premiers recours des HUG. Les raisons à cela peuvent être complexes. L’un des experts interrogés se souvient d’un patient atteint d’une maladie chronique qui disait suivre son traitement à la lettre, alors que ses analyses de sang montraient des résultats contradictoires: «L’extrême régularité du relevé du pilulier électronique nous a alertés. Il s’est avéré que le patient jetait ses médicaments à heures fixes car il n’acceptait pas sa maladie», raconte-t-il. L’absence de symptômes –comme dans l’hypertension ou l’hypercholestérolémie par exemple– ou simplement la difficulté de s’astreindre à une prise de médicaments régulière peuvent expliquer ce type de réactions. Pour que le patient adhère à un traitement, «il faut s’assurer qu’il comprenne bien ce dont il souffre, qu’il connaisse les effets désirés et indésirables du traitement», indique le Dr Favrod-Coune. Quant aux thérapies alternatives et à l’automédication, les patients omettent souvent d’en parler en consultation, confirme le Pr Senn: «Ils compartimentent, peut-être par peur de notre désapprobation».

Prévenir pour mieux guérir

Les représentations que chacun a de sa santé, comme le contexte de vie ou le tempérament, jouent aussi un rôle dans ce jeu de la vérité. Certaines personnes, inquiètes, ont tendance à exagérer leurs symptômes pour obtenir un rendez-vous, un traitement ou pour se sentir écoutées. D’autres, en revanche, méprisent certains signes, par méconnaissance ou par peur, comme le raconte la Pre Sommer: «Il m’est arrivé de découvrir un cancer du pancréas chez un patient qui n’avait jusqu’ici rien remarqué. Ce n’est qu’une fois le diagnostic posé qu’il a fait le lien avec les diarrhées, le manque d’appétit, la perte de poids et les maux de ventre dont il n’avait jamais parlé». Pour être bien soigné et éviter des risques inutiles, il est important de dire ce qui nous amène à consulter et ce qui nous est précisément arrivé. Car la découverte tardive de certains symptômes peut aggraver une situation.

A cet égard, «c’est au médecin de poser activement les questions au patient, même les plus tabou. Et de le faire de façon ouverte et bienveillante, comme on l’enseigne aux étudiants en médecine, précise la Pre Broers. On lui demande aussi si, hormis la plainte, il aimerait discuter d'autre chose, pour éviter qu'il ne dévoile l'essentiel sur le pas de la porte».

Même si l’anamnèse peut comporter des lacunes, voire des contre-vérités, elle n’en reste pas moins centrale dans la consultation médicale: «C’est sa confrontation avec l’examen clinique et les tests objectifs qui permet de poser un diagnostic», rappelle le Dr Favrod-Coune. Une relation de confiance avec son médecin de famille et le libre choix de ce dernier sont cruciaux pour être bien soigné. Rappelons que l’existence du secret médical garantit la confidentialité des échanges et devrait permettre à chacun de se livrer en toute transparence.

Jeanne*, 39 ans: «J’ai menti sur mon poids»

«J’étais suivie pour des problèmes de fertilité dans une clinique spécialisée, par un gynécologue que je n’avais pas choisi. Dès le départ, je n’avais pas un contact incroyable avec lui. Je le trouvais condescendant et peu tolérant. Il n’aimait pas qu’on lui pose des questions. Après trois échecs d’insémination artificielle, j’ai demandé quelle serait la suite du traitement. Il a évoqué la fécondation in vitro (FIV), mais en me signalant que mon poids était un obstacle: «J’imagine que vous n’avez pas perdu de poids?», m’a-t-il lancé d’un ton réprobateur. Je suis tombée des nues. A aucun moment en effet, il n’a été question de mon poids. Je voulais comprendre: je lui ai alors posé plein de questions. Pour se justifier, il m’expliquait qu’on ne pouvait pas anesthésier un patient avec un IMC (indice de masse corporelle) trop important. Je lui ai rétorqué que le bypass gastrique (traitement chirurgical contre l’obésité) se faisait pourtant sous anesthésie générale, mais il s’est braqué. Je suis partie en pleurs du cabinet. Lors du contrôle suivant, j’ai clairement menti sur mon poids, sachant que de toute façon, il ne me pèserait pas. Ça a fonctionné, mais c’était trop tard, j’avais perdu confiance. Ses arguments étaient absurdes et en fin de compte je crois qu’il me mentait aussi. J’ai fini par changer de médecin et j’en ai trouvé un avec une véritable écoute. Dès le départ, j’ai été honnête. Il s’est avéré qu’il y avait des solutions pour que je puisse bénéficier d’une FIV.»

 

Antoine*, 46 ans: «Je lui dis que tout va bien. Juste pour qu’il me laisse tranquille»

«Suite à des symptômes grippaux persistants, je suis allé voir le médecin imposé par mon modèle d’assurance. Je lui fais alors part de mes soucis bénins : fièvre, muscles endoloris, rhume, grosses transpirations pendant la nuit. Il me demande si je mange correctement, si j’ai d’autres symptômes. Je lui précise que j’ai arrêté de boire de l’alcool depuis trois semaines. Ma consommation était quotidienne, avec une tendance à ne pas m’arrêter. Ses sourcils se froncent et c’est l’interrogatoire. Il me félicite de ma décision, visiblement épaté et me promet qu’il va… m’aider. Il me prescrit des antidépresseurs et des anxiolytiques. Convaincu que mes suées nocturnes proviennent du sevrage que je m’impose.

Je prends les antidépresseurs, pour voir. Et juste trois anxiolytiques. Je retourne le voir deux semaines plus tard, comme convenu. Les antidépresseurs ne me font rien, mais je sais qu’il faut du temps. J’indique que je n’ai quasiment pas touché aux anxiolytiques. Il me félicite et me prescrit à nouveau des antidépresseurs et une boîte d’anxiolytiques, histoire d’assurer jusqu’à la prochaine visite. Je ne prends ni l’un ni l’autre parce que je n’en ressens pas le besoin. Lors de la visite suivante, je lui dis que tout va bien et que j’ai tout fait comme il fallait. Juste pour qu’il me laisse tranquille. Pour ne pas qu’il m’explique que c’est important de se faire aider, que sinon les risques de rechutes sont importants…

Je devais le revoir un mois plus tard. Un voyage à l’étranger m’en a empêché. Depuis, je n’y suis plus retourné. Et je me passe de ses prescriptions. Je ne voulais pas me créer une dépendance alors que je cherchais à échapper à une autre.»

* Prénoms d’emprunt.

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Paru dans Le Matin Dimanche le 10/03/2019.

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