LA SANTÉ GLOBALE DANS LA TOURMENTE

Dernière mise à jour 15/12/25 | Article
PS58_Santé globale
Ces derniers mois, le gouvernement américain a drastiquement réduit son aide à différents programmes sanitaires mondiaux et quitté l’Organisation mondiale de la santé (OMS), entre autres mesures d’économies. Des décisions lourdes de conséquences partout dans le monde.

Depuis son arrivée au pouvoir, Donald Trump n’a eu de cesse de couper dans le budget de la santé américaine, mais aussi dans des programmes internationaux. Aide humanitaire, programmes de prévention, projets de recherche biomédicale, subventions au National Institute of Health (NIH) ou encore l’Organisation des Nations unies (ONU) elle-même ont été touchés par la politique amaigrissante du président des États-Unis. Bien que Donald Trump ne soit en poste que depuis quelques mois, les conséquences de ses décisions se font déjà sentir. «Depuis ses annonces, des personnes sont mortes et d'autres encore mourront, car elles n’ont plus accès à des programmes de santé! Jusqu’à présent, 40% des budgets du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et d’ONUSIDA (le programme de l’Organisation des Nations unies sur le sida) provenaient des États-Unis. Les coupes américaines mettent en danger les 20millions de personnes dans le monde qui vivent avec le VIH», déplore le Pr Karl Blanchet, directeur du Centre d’études humanitaires de la Faculté de médecine de l’Université de Genève (UNIGE).

Un avis partagé par la Pre Alexandra Calmy, directrice du Centre de recherche clinique de l’UNIGE et responsable de l’Unité VIH des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG): «Les coupes budgétaires massives et abruptes décidées par Donald Trump mettent gravement en péril l’accès à la prévention et aux traitements antirétroviraux, utilisés par des millions de personnes vivant avec le VIH à travers le monde. Plusieurs projets de recherche sont interrompus faute de financements. Dans mon domaine d’expertise, le contrôle de l’épidémie de VIH/sida, les motifs d’inquiétude sont majeurs. Le désengagement soudain du gouvernement américain n’a laissé le temps ni à une réflexion sereine, ni à la mise en place de solutions alternatives. Il faut repenser le système de solidarité mondiale.» ONUSIDA prévoit de réduire drastiquement le nombre de ses collaborateurs dans les mois à venir.

MENACE POUR LA SANTÉ MONDIALE

Si les mesures d’économies du pays de l’Oncle Sam scandalisent autant, c’est non seulement parce qu’elles correspondent à des montants faramineux, mais aussi parce qu’elles touchent une grande diversité de programmes. Si les États-Unis ne sont pas les seuls à avoir diminué les montants alloués à l’aide au développement ces derniers mois, ils en étaient jusque-là le plus grand contributeur. Le manque à gagner est donc majeur: il s’élève en effet à 60milliards, principalement via la suppression de 92% des contrats de l’USAID, l’agence des États-Unis pour le développement international. «À titre d’exemple, USAID ne pourra plus vacciner les enfants contre la poliomyélite. Une maladie qui était pourtant sur le point d’être éradiquée. Plus de 200 000 enfants risquent d’être paralysés à cause de l’arrêt de ce programme. Pour le paludisme, on s’attend à 18millions d’infections supplémentaires sans les apports américains. En ce qui concerne les fièvres hémorragiques dues au virus Ebola, l’arrêt de la vaccination entraînera 28000 cas supplémentaires. Ces virus ne connaissent pas les frontières, la santé mondiale est menacée», observe le Pr Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale de l’UNIGE. Katrin Holenstein, chargée de communication à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), ajoute: «Les coupes budgétaires de l’USAID affaibliront d’importants programmes de santé, tels que ceux de lutte contre la tuberculose, ce qui pourrait entraîner une recrudescence de cette maladie, en particulier sous forme de souches résistantes en Europe.

L’OCCASION D’UNE REFONTE STRUCTURELLE

Aujourd’hui, le monde scientifique réalise à quel point la santé globale est dépendante financièrement des États-Unis. Une réflexion et une réorganisation au niveau international s’imposent. «Les décisions de Donald Trump ont forcé l’ONU à couper dans ses budgets et à réduire le nombre de ses agences. Une réforme était nécessaire depuis longtemps, car le système onusien est trop lent, trop bureaucratique, trop cher. Cependant, dans l’urgence, l’ONU réagit sans qu’il n’y ait de réflexion profonde. L’Europe et certains pays d’Afrique ont la possibilité de faire face à ces restrictions et de payer pour la santé de leurs citoyens, mais d’autres nations n’en ont pas les moyens. Les populations doivent avoir accès à des programmes qui sauvent des vies. Pour cela, il faut investir dans des organisations humanitaires locales et ne plus compter uniquement sur les agences onusiennes. Les organisations non gouvernementales (ONG) vont devoir trouver d’autres financements européens. L’ère du leadership incontesté des États-Unis en santé mondiale est révolue. C’est l’occasion de procéder à une refonte structurelle du système de santé globale», poursuit Karl Blanchet. Si ces arrêts brutaux peuvent donner le sentiment que Donald Trump, prônant sa politique d’«America First», veut garder l’argent américain pour soutenir la population de son pays, force est de constater que ce n’est pas le cas. «La recherche en santé des femmes notamment est fragilisée: les coupes budgétaires empêchent de la soutenir à la hauteur des enjeux. Or, les femmes représentent tout de même la moitié de la population américaine —c’est donc un pan entier de la société qui va subir les conséquences de ces décisions», s’inquiète la Pre Calmy. En effet, le gouvernement républicain actuel a supprimé les financements du planning familial (-94% de budget) et a réduit les fonds alloués à la recherche sur la santé maternelle (-92%), sans oublier les actions dirigées contre les personnes transgenres et contre le droit à l’avortement. À cela s’ajoutent le frein aux recherches sur les changements climatiques et leurs répercussions sur la santé publique et à d’autres études sur la santé globale.

À titre d’exemple, le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) fait état de sept projets NIH de recherche clinique, menés en collaboration internationale, dans les domaines des pathologies, de la psychiatrie, des maladies infectieuses et des sciences biomédicales et laboratoires. Ceux-ci sont directement concernés par l’arrêt des subsides américains. «Les décisions de Donald Trump sont une attaque au multilatéralisme (coopération et coordination entre États pour atteindre des objectifs communs, ndlr) et à la science», conclut le Pr Blanchet. 

LE CAPITAL SOCIAL EST TOUT AUSSI IMPORTANT QUE LE CAPITAL ÉCONOMIQUE 

La PreBéatrice Schaad, directrice du Centre sur le vécu des patients et patientes, des proches et des professionnelles et professionnels à l’Institut des humanités en médecine de l’Université de Lausanne, connaît bien l’Université Harvard pour y avoir étudié. Elle livre ses impressions sur ce qui se passe aux États-Unis.

Planète Santé: Vous avez récemment signé une chronique dans la Revue médicale suisse sur la notion de «capital social» émanant de Tom Lee, professeur à l’Université Harvard. De quoi s’agit-il?

PreBéatrice Schaad:Tom Lee a écrit un livre qui explique comment on peut améliorer les soins, en valorisant les individus, leurs savoirs et leurs ressources. En renforçant les liens entre les personnes et en misant sur l’intelligence collective et la potentialisation des pouvoirs, les institutions peuvent en tirer des avantages considérables.

En d’autres termes, les moyens financiers ne sont plus les seuls capables de garantir une bonne prise en charge?

Effectivement, le capital social est tout aussi important que le capital économique. Cependant, l’un ne remplacera pas l’autre.

Les coupes budgétaires de Donald Trump peuvent-elles avoir des conséquences positives en renforçant le capital social… faute de moyens financiers?

Non, rien de ce qui émane actuellement des décisions de Donald Trump sur la santé me semble avoir d’effets positifs, même détournés. J’ai participé à des enseignements à l’Université Harvard et mes anciens collègues ont peur. Des programmes de recherche sont mis à l’arrêt du jour au lendemain. Le totalitarisme et l’obscurantisme actuels démotivent les équipes de recherche. Pour pouvoir poursuivre leurs activités, elles doivent prouver l’utilité de leurs travaux, c’est absurde. Elles sont épuisées, ce qui ne permet pas de faire montre de créativité.

La notion de «capital social» élaborée par Tom Lee n’est-elle finalement qu’une idée utopiste?

Non. Je pense qu’essayer de collaborer davantage et de miser sur la valeur des individus est important. Aujourd’hui, ce qui fait la valeur d’une institution, c’est la façon dont les gens travaillent ensemble. Dans le centre que je dirige à l’Université de Lausanne, les témoignages des patients et patientes ont permis d’améliorer la prise en charge des malades et ont mené à dix-sept projets qui vont dans ce sens. La reconnaissance du savoir profane, celui des personnes concernées par la problématique, s’inscrit dans ce contexte de savoir social. En temps de crise, comme celle que le monde traverse en raison des décisions de Donald Trump, tout cela est plus difficile à mettre en pratique… 

«IL S’AGIT D’UNE CRISE SANS PRÉCÉDENT, NOUS SOMMES EN MODE SURVIE» 

Le Dr Unni Krishnan, vice-président du Conseil d’administration de l’International Council of Voluntary Agencies (ICVA), organisation mondiale de réseaux d’ONG humanitaires, dont le siège est à Genève, constate les conséquences dramatiques des coupes budgétaires américaines.

Planète Santé: De quelle manière les réductions de financements affectent-elles les ONG membres de l’ICVA?

Dr Unni Krishnan: Plus de deux tiers de nos membres ont dû ralentir ou arrêter complètement leurs programmes de survie, y compris pour les soins médicaux et la distribution de nourriture. Plus de la moitié d’entre eux ont également déclaré qu’ils devraient réduire leurs effectifs. La suspension abrupte, puis l'arrêt total du financement américain au premier trimestre, ainsi que les diminutions annoncées par plusieurs de nos partenaires européens ont eu un impact significatif sur nos perspectives financières. Des milliers de travailleurs humanitaires expérimentés ont perdu leur emploi, y compris le personnel de l’ICVA. Nous avons baissé nos effectifs de 31 à 22postes. Cela inclut la perte de cinq collègues, basés à Genève, qui étaient estimés.

Quelles sont les répercussions sur le terrain?

Le bilan humain est dévastateur. Depuis janvier, des millions de personnes en situation de crise ont perdu l’accès non seulement à l’aide vitale, mais aussi au soutien qui leur assurait d’être à l’abri, de pouvoir reconstruire leur vie et d’espérer un avenir meilleur. Aujourd’hui, alors que plus de 300 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire, nous ne pourrons en atteindre que 114millions. Même ce chiffre est incertain, à moins que des financements supplémentaires ne soient garantis.

Quelles sont les ONG qui souffrent le plus?

Les ONG locales ou nationales sont les plus durement touchées. Ces agences sont souvent les premiers intervenants et parfois les seuls. De nombreux membres ont dû fermer des programmes et licencier du personnel, parfois par milliers.

Est-il possible de trouver d’autres sources de financement?

Beaucoup de membres de l’ICVA explorent déjà de nouveaux modèles financiers, établissent des partenariats, cherchent des donateurs et deviennent plus efficaces. Les coupes budgétaires ont accéléré les discussions sur les réformes que nous préconisons depuis longtemps, notamment la réduction de la «paperasserie» et l’augmentation du financement direct des intervenants locaux. Cependant, rien ne peut se substituer à la volonté politique d’assumer la réponse humanitaire. Les gouvernements donateurs privilégient de plus en plus les dépenses de défense nationale au détriment de la solidarité. Le secteur s’attendait à des réductions de financement en 2025, mais leur rythme et leur ampleur ont dépassé toutes les attentes. Il s’agit d’une crise sans précédent, nous sommes en mode survie.

L’OMS ET LA GENÈVE INTERNATIONALE DUREMENT TOUCHÉES

Cette fois, c’est fait: les États-Unis se sont retirés de l’OMS (l’un des nombreux organes de l’ONU). Une première tentative avait été menée en 2020 par Donald Trump, mais n’avait pas abouti grâce à l’arrivée au pouvoir de Joe Biden, en janvier2021. L’actuel président américain accusait à l’époque l’OMS de n’avoir pas su gérer la crise du Covid-19, entre autres. Quatre ans plus tard, il a récidivé. Les États-Unis, le plus gros contributeur de cette organisation qui sauve des vies, ont ainsi claqué la porte de l’institution. Suivant le préavis qui est d’un an, le départ américain ne sera effectif qu’en 2026. Pour les années2024-2025, le montant payé par les États-Unis est de 988millions de dollars, soit 14% du budget global. Pour 2026-2028, l’organisation prévoit de diminuer ce dernier de 400millions de dollars, pour un budget total qui sera de 4,9milliards. «En raison de sa situation budgétaire, l’OMS doit réduire ses effectifs et ses activités, tant au sein de son siège à Genève que dans le monde entier. L’organisation doit se concentrer sur son mandat fondamental qui va de pair avec un financement stable et durable.

En tant qu’État hôte, membre fondateur et membre du Conseil exécutif, la Suisse s’engage en faveur d’une OMS capable d’agir et d’un multilatéralisme efficace. Les réformes initiées doivent être poursuivies», précise Katrin Holenstein, chargée de communication à l’OFSP. La Genève internationale, qui abrite les sièges de plusieurs agences non gouvernementales, est touchée de plein fouet par les décisions de Donald Trump. Moins d’argent dans les caisses des ONG basées dans la Cité de Calvin implique le départ d’un grand nombre de travailleurs venus s’y installer. «L’impact social et économique est énorme. Tout ce qui gravitait autour de l’OMS subit les conséquences du retrait américain. Les programmes de recherche menés conjointement avec les États-Unis vont s’arrêter. Les conférences de scientifiques qui ne suivent pas la ligne politique du président américain sont annulées, les étudiants étrangers craignent de ne pas pouvoir poursuivre leurs études, les universités américaines perdent leur attrait… Par ailleurs, il ne faut pas oublier que, grâce à l’OMS, le monde scientifique bénéficie d’un centre d’expertise international qui suit des valeurs de droits humains et d’équité. En quittant l’organisation mondiale, les États-Unis se privent de cette connaissance», explique le PrAntoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale de l’UNIGE.

TERRE DES HOMMES, CARITAS ET BIEN D’AUTRES TIRENT LA SONNETTE D’ALARME

En Suisse, les coupes américaines ont des conséquences graves sur des organisations qui œuvrent au niveau international. C’est le cas de Terre des Hommes. Cette ONG, basée à Lausanne, travaille pour la défense des droits de l’enfant. Elle est en partie dépendante de fonds provenant de l’OMS. Sur son site internet, elle annonce qu’une grande partie de ses programmes essentiels de santé, d’accès à l’eau potable et de protection des enfants se sont arrêtés brusquement, faute de financements promis. Cela a des répercussions sur les actions menées en Afghanistan, au Burkina Faso, au Kenya, au Liban, en Inde et en Égypte. L’ONG prévoit que 1,5million d’enfants et leurs familles seront privés d’une aide vitale dans les mois à venir. L’association Caritas tire aussi la sonnette d’alarme. Dans une lettre ouverte au conseiller fédéral Ignazio Cassis, elle demande que la Suisse réagisse, craignant l’effondrement des structures humanitaires internationales.

Autre exemple: l’Entraide protestante suisse (EPER). Basée à Zurich, elle mène des projets de lutte contre la pauvreté et l’injustice dans plus de 30pays et recevait dans cette optique des financements de l’USAID (l’agence américaine pour le développement international). En 2025, ce montant qui s’élevait à 7,5millions de francs suisses a rendu possibles des projets humanitaires en Éthiopie, en Ukraine et en République démocratique du Congo (RDC). «En Éthiopie, nous avons dû mettre fin aux projets. Une partie de ceux menés en RDC ont pu continuer à notre charge, malgré la cessation partielle des financements de l’USAID. En Ukraine, nous pouvons terminer les contrats. Mais le futur est incertain», explique Joëlle Herren, porte-parole de l’EPER. La fondation a dû licencier des personnes travaillant exclusivement sur les projets financés par l’USAID. Pour l'avenir, Joëlle Herren n’est pas très optimiste: «Nous avons fait de gros efforts de levées de fonds auprès du grand public suisse et de quelques fondations qui se sont montrés solidaires. Il est cependant impossible de combler le manque créé par les coupes, car elles sont trop importantes.»

______

Paru dans Planète Santé magazine N° 58 – Septembre 2025

Articles sur le meme sujet
PS57_Suisse face au manque de médicament

La suisse face au manque de médicaments

Depuis une vingtaine d’années, certaines molécules sont régulièrement en rupture de stock dans les officines suisses. Après l’aboutissement d’une initiative sur un approvisionnement médical sûr fin 2024, le Conseil fédéral travaille désormais sur un contre-projet qui devrait être présenté sous peu.

Quand l’espace public invite à bouger

Aires de jeux, fitness urbains, espaces boisés ou cours donnés en plein air font partie des possibilités offertes dans nos villes pour se mettre en mouvement.
P24-04_invitee_tabac_puffs

«La consommation de produits nicotinés prend l’ascenseur»

Evelyne Laszlo est la nouvelle directrice du Centre d’information et de prévention du tabagisme (CIPRET) de Genève. La tabacologue relève la complexité du marché actuel et l’urgence de mettre des limites à l’industrie du tabac et ses lobbys.
Videos sur le meme sujet

En direct de Dakar : Maryam Ndiaye, 25 ans, la voix de la prévention au Sénégal

Maryam Ndiaye est étudiante en 7e année de médecine à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.

Grande invitée: Nelly Staderini, sage-femme Référente médicale chez Médecin Sans Frontières

Tous les vendredis, "CQFD" reçoit un homme ou une femme de science pour parler de son travail et de ses recherches.

36.9°: Fraudes en médecine

Plagiat, données truquées, images falsifiées, articles scientifiques truffés dʹerreurs…