Rupture d'anévrisme: la piste génétique se précise

Dernière mise à jour 20/09/21 | Article
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Menée par la Suisse et les Pays Bas, une vaste étude dévoile l’existence de 17 anomalies génétiques impliquées dans les AVC. Un pas de plus vers la compréhension de cette maladie complexe et pernicieuse.

Quand le choc survient

Exposant à une hémorragie sévère, une rupture d’anévrisme intracrânien nécessite une intervention en urgence. L’intensité du mal de tête qu’elle génère ne laisse généralement pas de place au doute et justifie un appel au 144. D’autres symptômes, tels que vertiges et pertes de connaissance, peuvent y être associés. La prise en charge médicale repose sur deux axes:

  • Gérer l’hémorragie. Répandu à l’intérieur ou en périphérie du cerveau, le sang génère une «asphyxie» localisée. Les séquelles dépendent de la zone concernée et de l’ampleur du saignement.
  • Traiter l’anévrisme lui-même. Selon les cas, deux stratégies sont possibles: supprimer la partie dilatée du vaisseau en le bouchant (technique d’embolisation par exemple) ou en posant une petite pince sur sa base (clippage).

Un éclair dans un ciel bleu: la recherche avance mais l’image demeure malgré tout – tant elle coïncide avec la brutale réalité. Car le plus souvent, aucun signe avant-coureur ne précède la rupture d’anévrisme lorsqu’elle survient dans le cerveau. La raison? L’anévrisme intracrânien lui-même, maladie silencieuse, complexe et multifactorielle, impliquant notamment mode de vie et prédispositions génétiques. C’est cette piste génétique qu’a suivie une équipe associant Université de Genève (UNIGE), Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et Université d’Utrecht au Pays-Bas dans le cadre du consortium International Stroke Genetics Consortium. Parus dans la revue Nature Genetics*, les travaux des chercheurs dévoilent l’existence de 17 anomalies génétiques associées à la présence des anévrismes intracrâniens.

Pour comprendre l’importance de cette découverte, petit détour par les mécanismes en jeu. Direction la circulation sanguine. Sous les traits d’une dilatation anormale et localisée d’un vaisseau sanguin, l’anévrisme peut se nicher à n’importe quel endroit du corps. D’une boule ressentie dans le creux du genou à l’anévrisme aortique pouvant sévir dans l’abdomen, en passant par l’anévrisme intracrânien. Celui-ci est sans doute le plus connu, le plus craint aussi, en raison notamment de son caractère prétendument imprévisible. En effet, si son homologue aortique laisse entrevoir le portrait-robot de ses victimes ­­– des personnes atteintes d’artériosclérose ou d’hypertension artérielle, de sexe masculin et relativement âgées le plus souvent – l’anévrisme intracrânien semble s’installer chez des sujets jeunes et en bonne santé. Lorsqu’il rompt, des années ou des décennies plus tard, l’effroi est total et l’urgence d’agir, absolue.

Multitude de facteurs impliqués

Mais est-il si imprévisible que cela? «Probablement pas. L’anévrisme est longtemps resté une maladie obscure, en raison de la multitude de facteurs génétiques, congénitaux et environnementaux impliqués. Mais depuis une dizaine d’années, le brouillard se dissipe, étape par étape», indique le Dr Philippe Bijlenga, professeur assistant au Département des neurosciences cliniques de la Faculté de médecine de l’UNIGE et médecin adjoint agrégé au Service de neurochirurgie des HUG, qui a dirigé le volet suisse de l'étude. Il y a 10 ans, d’abord trois, puis cinq déterminants génétiques étaient découverts; aujourd’hui, ils sont 17. Et ce n’est qu’un début. «Il en existe probablement plus de 200, mais tout porte à croire que les 17 mis en lumière aujourd’hui sont les plus influents», poursuit l’expert.

Pour parvenir à cette découverte, les chercheurs de l’International Stroke Genetics Consortium ont examiné le génome de plus de 10'000 personnes souffrant d’anévrisme et l’ont comparé à celui de 300'000 volontaires, aboutissant ainsi à la plus grande étude génétique au monde dans le domaine des anévrismes intracrâniens.

À l’instar de bornes réparties sur une autoroute, ces déterminants génétiques (ou variations d’ADN) disséminés sur plusieurs de nos chromosomes seraient associés à des anomalies potentielles, liées notamment au fonctionnement de l’endothélium vasculaire, la paroi interne des vaisseaux sanguins. Or tout ou presque se jouerait à cette interface clé entre le sang, ses flots calmes ou plus impétueux et la paroi de nos veines et artères, constituée de couches cellulaires lui conférant sa résistance et son élasticité. Le risque si cette paroi se dégrade? Voir apparaître en un point de la circulation sanguine une dilatation d’un vaisseau, prenant la forme d’un fuseau allongé ou d’une poche, et le fragilisant, c’est anévrisme. Dans le monde, 3% de la population serait porteuse d’un anévrisme intracrânien. En Suisse, 5 personnes sur 100'000 sont confrontées chaque année à sa rupture et à l’hémorragie en découlant. Un phénomène brutal aboutissant à la mort dans 20% des cas et à une situation de handicap sévère dans une proportion similaire.

L’urgence se devine: comprendre les mécanismes en présence pour les déjouer. Et c’est là qu’une multitude de paramètres entre en scène. Viscosité du sang, forme des vaisseaux, degré de leur élasticité: autant de paramètres qui seraient contrôlés par l’âge, le mode de vie, certains gènes peut-être, sans doute les déterminants génétiques récemment révélés. «Bien sûr, nous aurions rêvé de trouver le gène unique régissant tout cela, ajoute le Dr Bijlenga. Il aurait alors été plus facile de contrer ses effets, mais la réalité est infiniment plus complexe. Il semble que ces déterminants contribuent à hauteur d’une poignée de pourcents chacun. Leur cumul associé à un terrain délétère expliquerait la survenue d’un anévrisme.»

Que faire alors de cette récente découverte? «Nous avançons dans la modélisation de la maladie. Il s’agit d’un prérequis indispensable», poursuit le neurochirurgien. Et de révéler d’autres découvertes: «Certaines de ces 17 régions génétiques seraient également impliquées dans les prédispositions au tabagisme et à l’hypertension artérielle. S’il reste donc encore beaucoup à découvrir, notre priorité est de comprendre les différentes formes de la maladie et d’évaluer le risque individuel pour favoriser le dépistage.»

Personnes à risque

Qu’en est-il aujourd’hui? Souvent découvert fortuitement au travers d’une IRM cérébrale justifiée par un tout autre problème (une sinusite chronique par exemple), l’anévrisme peut aussi être dépisté chez les personnes à risque. Parmi elles: celles souffrant d’une polykystose rénale ou dont deux membres de la famille directe (père, mère, frère ou sœur) sont ou ont été porteurs d’un anévrisme. Un dépistage sous forme d’IRM est alors préconisé, tous les cinq ans, dès 35 ans chez les femmes et 40 ans chez les hommes.

Lorsque la présence d’un anévrisme intracrânien est confirmée, la suite se décide au cas par cas selon sa taille, sa localisation, mais également l’âge et l’état de santé du patient. «Tout l’enjeu est de faire la balance entre les risques de l’intervention et ses bénéfices, précise le Dr Bijlenga. On repère par exemple aujourd’hui des anévrismes de très petite taille qui comportent un risque infime de rupture et ne justifient pas de prendre de risques opératoires.» Le plus à craindre? L’accident vasculaire cérébral provoqué par l’intervention. Qu’il s’agisse de la pose d’une prothèse (stent) dans l’anévrisme ou de son obstruction pour dévier la circulation sanguine, les interventions ne concernent ainsi qu’une personne porteuse d’anévrisme sur deux. Pour la moitié restante, une surveillance régulière s’impose, ainsi bien souvent qu’un changement de vie. «On sait notamment que le tabagisme multiplie par six le risque de développer un anévrisme et accentue le risque de rupture. L’hypertension artérielle mais également l’excès de stress influent aussi très probablement», détaille le neurochirurgien.

La recherche, quant à elle, se poursuit. «La piste génétique est sérieuse, mais elle n’est pas la seule, précise le Dr Bijlenga. Nous suivons également celle d’un biomarqueur qui permettrait de repérer par une simple prise de sang la présence d’un anévrisme intracrânien, voire même son degré de dangerosité.» Et de conclure: «L’anévrisme est une pathologie complexe et intrigante. Pourquoi les femmes sont deux fois plus touchées par les ruptures d’anévrisme que les hommes, par exemple? Aujourd’hui, c’est un mystère.»

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Paru dans Le Matin Dimanche le 05/09/2021.

* Bakker MK, van der Spek RAA, van Rheenen W, et al. Genome-wide association study of intracranial aneurysms identifies 17 risk loci and genetic overlap with clinical risk factors. Nat Genet 2020;52:1303-1313.

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