Manipulations des vertèbres cervicales: peuvent-elles faire saigner dans le cerveau?
Pour de nombreux médecins anglophones la lecture du British Medical Journal (BMJ pour les intimes) auprès de son animal domestique favori est un régal hebdomadaire. Ne serait-ce que parce que cette entreprise de formation médicale continue parvient élégamment à conjuguer pragmatisme et prise de distance, ces caractéristiques bien connues de ce peuple insulaire. Dernier exemple en date: le débat organisé par le BMJ sur les bénéfices et les risques des manipulations vertébrales. Faut-il «y croire» ou «pas»? Convient-il d’être «pour» ou «contre»? Le BMJ poursuit son entreprise dans son édition en ligne en publiant deux positions argumentées et opposées concernant l’intérêt ou les dangers des manipulations vertébrales dans la prise en charge des patients souffrant de douleurs cervicales (cervicalgies).
On sait qu’il s’agit là dedouleurs assez fréquentes (parmi lesquelles le torticolis) situées au niveau de l’arrière du cou. Les douleurs gênent les mouvements de la tête, irradient vers les épaules et peuvent être associées à des maux de tête et des vertiges. Elles évoluent sur un mode aigu ou chronique et les médicaments antalgiques peuvent être sans effets ou presque.
Dans ce contexte, les manipulations vertébrales (à distinguer de l’ostéopathie) sont fréquemment mises en œuvre à la demande de celles et ceux qui souffrent. Il s’agit là d’une manœuvre (à la fois rapide et de faible amplitude) de torsion ou de rotation de la colonne vertébrale. Elle peut ou non être accompagnée d'un «clic» sonore parfois impressionnant. Pour sa part le BMJ donne la parole à des spécialistes dont certains expliquent pourquoi ils ont abandonné les manipulations vertébrales pour le traitement de la douleur au cou. D’autres en revanche la reconnaissent toujours comme efficace et comme devant être considérée comme un soin complémentaire précieux pour les patients.
Le BMJ centre le débat sur un risque à la fois très rare et très grave d’accident vasculaire cérébral associé (ou pas) aux manipulations: un accident situé à la base du cerveau (ou accident vertébro-basilaire). Ce risque est estimé à environ un cas sur un million de manipulations. Mais il existerait aussi des formes mineures comportant simplement un état vertigineux ou nauséeux pendant deux à trois jours après la manipulation. Deux études seulement auraient été publiées montrant une association entre ce type d'accident vasculaire cérébral et la manipulation des vertèbres cervicales. Et «association» ne veut pas dire lien de cause à effet.
Dans le BMJ, l'article en faveur de la manipulation vertébrale pour la cervicalgie a été rédigé par le Pr David Cassidy, spécialiste d’épidémiologie (Université de Toronto), Gert Bronfort (Université du Minnesota) et Jan Hartvigsen (Institut des sciences du sport et de biomécanique clinique, Université du Danemark du Sud).
L’article contre la manipulation vertébrale, a quant à lui été rédigé par le Pr Benoît M Wand, spécialiste de physiothérapie (Université Noter-Dame, Australie), Peter J Heine (Université de Warwick, Royaume-Uni) et Neil E O'Connell (Université de Brunel, Royaume-Uni).
Pour: Le Pr Cassidy et ses co-auteurs indiquent en substance que la manipulation du rachis cervical (vertèbres du cou) ne devrait pas être abandonnée. Il rappelle qu'une récente étude internationale a approuvé ce type de manipulation vertébrale comme une option thérapeutique de «première ligne» pour la prise en charge des cervicalgies. Les auteurs soulignent qu’il n’y a pas de bénéfices clairs en termes de qualité de vie à partir des autres approches thérapeutiques (exercices, analgésiques, acupuncture et placebo). Ils recommandent d’associer ces manipulations à d’autres exercices comme certains exercices de yoga comprenant l'extension ou la rotation du cou.
Contre: Le Pr Wand et ses collègues reconnaissent que la manipulation du rachis cervical est une option thérapeutique. Ils invoquent toutefois le risque de provoquer un saignement de l'artère vertébrale, qui peut à son tour entraîner un AVC vertébrobasilaire. Les artères vertébrales alimentent le tronc cérébral et le cervelet à la base du cerveau. Aussi un AVC dans cette région du système nerveux central comporte-t-il un risque élevé de décès ou d'invalidité majeure (paralysie, problèmes d'élocution, de déglutition et de vision). Si ces saignements sont certes rarissimes mais ils existent (même si dans certains cas ils ont pu être attribués par erreur à la manipulation). Selon eux, l’existence de ce risque, même minime réclame que ce type de manipulation ne soit en aucun cas utilisé en «prévention» ou à titre «de conservation». En toute hypothèse il ne devrait être envisagé qu’après toutes les autres pistes thérapeutiques. Ce qui, selon eux, n’est pas toujours le cas.
Pour compléter cet exposé on trouvera ici-même les recommandations détaillées formulées, très précisément sur ce thème, par la Société Française de Médecine Manuelle Orthopédique et Ostéopathique.
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