Environnement et cancer: un duo infernal?
Une maladie bien connue
Pour étudier les rapports entre une maladie et les facteurs environnementaux qui peuvent la favoriser, ou même la déclencher, la condition préalable est évidemment une bonne connaissance de cette maladie. C’est le cas pour le cancer. Les données épidémiologiques (incidence, risques, répartition géographique, etc.) sont nombreuses et fiables, et sont régulièrement collectées dans des «registres» nationaux et internationaux. Le Pr Boffetta l’a souligné en ouverture de sa conférence (Conférence du cinquantième de la Ligue vaudoise contre le cancer à Morges le 11 octobre 2010) : de ce point de vue, le cancer est sans doute la maladie que l’on connaît le mieux avec le sida. Il est donc possible de construire des modèles statistiques et de proposer des hypothèses fondées.
L’orateur a commencé par rappeler les enjeux au niveau mondial, en précisant l’incidence et la mortalité des principaux types de cancer:
Type de cancer |
Incidence |
Mortalité |
Poumon |
12,5% |
17,5% |
Sein |
10,5% |
6,1% |
Colon-rectum |
9,4% |
7,9% |
Estomac |
9,4% |
10,4% |
Prostate |
6,1% |
3,3% |
Foie |
5,9% |
8,9% |
Col de l’utérus |
4,6% |
4,1% |
Œsophage |
4,1% |
5,7% |
Bouche, pharynx |
3,7% |
3,2% |
Autres |
34,5% |
32,9% |
Un enjeu mondial de santé publique
On remarque immédiatement que certains cancers ont une mortalité supérieure à leur incidence (poumon); pour d’autres (prostate ou sein, par exemple), c’est l’inverse. Ces pourcentages prennent toute leur réalité lorsque l’on ajoute que, actuellement, 13 millions de nouveaux cas sont recensés chaque année. Et les prévisions pour 2030 ne sont guère rassurantes: on parle de 27 millions de nouveaux cas, 17 millions de décès, 75 millions de malades. Ces prévisions tiennent compte de la croissance démographique, du vieillissement de la population (le cancer reste, statistiquement, une maladie liée à l’âge) et des changements dans la distribution des facteurs de risque – augmentation ou diminution du tabagisme, modification des habitudes alimentaires, etc.
Les grandes catégories de facteurs de risque
Devant ce gigantesque enjeu de santé publique, il est donc essentiel d’identifier les principaux facteurs de risque. On les classe aujourd’hui dans six grandes catégories:
- le tabagisme;
- les infections chroniques;
- l’hygiène de vie en lien avec la nutrition, y compris la consommation d’alcool, le surpoids et le manque d’exercice physique;
- les facteurs hormonaux et reproductifs;
- les rayonnements ionisants et solaires;
- les expositions professionnelles et environnementales.
Comment calcule-t-on l’impact respectif de ces facteurs ? En évaluant la proportion de cancers qui peut leur être attribuée, à partir de deux données essentielles:
- l’importance de la population exposée;
- la différence d’incidence entre les personnes exposées et celles qui ne le sont pas.
Le risque statistique n'est pas le risque individuel
Ce calcul peut s’avérer assez simple dans certains cas, par exemple celui du tabagisme. Là, la cause est entendue: la courbe de l’incidence des cancers du poumon suit de près celle de l’augmentation (ou de la diminution) de la consommation de tabac. Cependant, cette évidence est statistique: elle vaut pour des groupes de population, non pour un individu donné. C’est l’injustice fondamentale de la maladie, illustrée par les cas que chacun connaît: le non-fumeur frappé par le cancer du poumon, le fumeur invétéré qui décède de mort naturelle a plus de 90 ans…
Les facteurs environnementaux: un problème de définition
En revanche, dans le domaine des facteurs environnementaux, tout se complique. D’abord parce qu’ils peuvent interagir entre eux, ce qui rend difficile l’évaluation du rôle spécifique de chacun. Ensuite parce qu’il faut s’entendre sur les termes: dans l’acception la plus large, tous les facteurs non génétiques peuvent théorique-ment être considérés comme «environnementaux». Il faut donc distinguer ceux sur lesquels nous avons prise (l’alimentation, l’hygiène de vie) et ceux qui nous sont imposés: toutes les sortes de polluants ou de contaminants.
Ce sont évidemment ces derniers qui intéressaient au premier chef le public du Pr Boffetta, comme en témoignèrent les nombreuses questions posées pendant le débat qui a suivi la conférence, questions qui portèrent essentielle-ment sur les «menaces cachées» dont les médias se font régulièrement l’écho: pollutions des eaux, pesticides, ondes de téléphonie mobile, particules fines des moteurs diesel, etc.
Dans cette thématique particulière, l’orateur a rappelé la nécessité d’une méthodologie claire et rigoureuse. Les chercheurs, en effet, se fondent sur de grandes études évaluées par des groupes d’experts et qui prennent en compte trois types de données:
- les études cliniques et épidémiologiques menées sur l’homme;
- les expérimentations à long terme sur l’animal, par exemple, des rongeurs exposés régulière-ment à des agents suspects;
- les résultats des recherches sur la génotoxicité de ces mêmes agents suspects, c’est-à-dire sur leurs mécanismes d’action au niveau molécu-laire ou cellulaire.
Certitude, probabilité ou soupçon?
La synthèse de ces trois séries de données produit plusieurs types de conclusions. Lorsque l’on a des données convaincantes sur l’homme, on peut parler de facteur cancérigène avéré: c’est le cas pour l’amiante, le radon, la combustion de charbon dans des intérieurs mal ventilés (répandue en Asie), ou encore la présence de concentrations d’arsenic dans l’eau (rare en Europe occidentale).
Quand on a des données lacunaires chez l’homme, mais confirmées par l’expérimentation animale et les recherches biomédicales, on peut parler d’un facteur cancérigène probable, comme cela s’est vérifié pour certains pesticides.
Enfin, lorsque les données chez l’homme sont inexistantes (ou contradictoires), mais que les expérimentations animales laissent soupçonner un facteur de risque, on se trouve en face d’un facteur cancérigène éventuel.
Le problème, comme l’ont révélé les réponses de Paolo Boffetta aux questions du public, c’est que la majorité des risques environnementaux débattus à l’heure actuelle – à l’instar de la nocivité supposée des téléphones mobiles – sont du domaine de l’éventuel, non de la certitude. Leur prévention relève donc du principe de précaution, c’est-à-dire d’un choix politique et non d’une conclusion scientifique.
Professeur et vice-directeur du Tisch Cancer Center, Mount Sinai School of Medecine (New York), vice-président et directeur scien-tifique de l’International Prevention Research (Lyon), Paolo Boffetta est également professeur auxiliaire au Département d’épidémiologie de la Harvard School of Public Health (Boston). Il a aussi été chercheur au National Cancer Institute de Washington et a dirigé la section Environnement et le groupe de travail «Mode de vie et cancer» au Centre international de recherche sur le cancer de l’Organisation mondiale de la santé (Lyon). |
Pour en savoir plus...
Cet article est extrait d'Entre Nous, no 27 paru en juin 2011, publication de la Ligue vaudoise contre le cancer. La vidéo de la conférence, accompagnée d’un enregistrement audio du débat avec le public, est disponible sur le site de la Ligue: www.lvc.ch
Article original: http://assets.krebsliga.ch/downloads/lvc_en_juin_2011_def.pdf
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