La crème solaire est insuffisante contre le cancer de la peau

Dernière mise à jour 10/03/16 | Article
La crème solaire est insuffisante contre le cancer de la peau
Opéré d’une tumeur bénigne de la peau, l’acteur Hugh Jackman incite le public à mettre de la crème solaire. Son efficacité contre le mélanome n’est cependant pas prouvée.

De quoi on parle

Sur Instagram, Hugh Jackman a publié au début du mois un selfie où il porte un sparadrap sur le nez. Il annonce de cette manière qu’il s’est fait opérer d’un carcinome basocellulaire, un cancer bénin de la peau. Le cinquième pour l’acteur australien.
«S’il vous plaît, mettez de la crème solaire, et faites des contrôles réguliers» de votre peau, intime celui qui incarne le mutant Wolverine à l’écran. Une recommandation bienvenue contre le cancer de la peau, mais pas suffisante (Image: Instagram)

Quand Hugh Jackman dit de mettre de la crème solaire pour éviter le cancer, on a tendance à l’écouter. L’acteur, qui est connu pour sa sympathie et son professionnalisme, a aussi grandi en Australie, le pays le plus touché du monde par les tumeurs de la peau. Même si l’intention de celui qui incarne Wolverine à l’écran est louable, son message doit être nuancé. En effet, en matière de cancers de la peau, la réalité scientifique est plus compliquée. Tout d’abord, il n’y a pas un, mais des cancers de la peau. On en décrit en effet trois grands types, qui se distinguent par leur degré de nocivité et leur fréquence, et pour lesquels le soleil joue un rôle plus ou moins important.

Le carcinome basocellulaire, celui qui a touché Jackman, est le plus fréquent mais le moins dangereux car il crée rarement des métastases (des tumeurs qui se développent ailleurs dans l’organisme). Un autre type de carcinome, dit spinocellulaire, peut, lui, être plus grave. Mais celui dont on parle le plus est sans doute le mélanome, qui est en réalité le moins fréquent de ces trois cancers, mais le plus mortel car ayant un fort pouvoir métastatique. Les Suisses sont d’ailleurs plus souvent touchés que leurs voisins européens: 2400 Helvètes par an développent un mélanome et 300 en décèdent selon la Ligue suisse contre le cancer.

Grain de beauté ou cancer ?

Soleil parmi les risques

«Les trois types de cancer de la peau sont liés à l’exposition solaire», explique le Dr Olivier Gaide, dermato-oncologue au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Pas de doute: plus on a pris le soleil et exposé sa peau à ses rayons ultraviolets (UV), et ce dès son plus jeune âge, plus on risque de développer un cancer de la peau. Ce lien est néanmoins moins fort pour le mélanome. Car ce type de cancer atteint aussi des personnes qui se sont exposées au soleil de manière raisonnable. De même, le mélanome peut toucher des zones du corps habituellement cachées, car protégées par des vêtements, même à la plage.

En plus des rayons UV, le risque de mélanome est donc aussi influencé par d’autres facteurs. Il augmente si on a la peau claire, beaucoup de grains de beauté et si des membres de sa famille ont eux-mêmes eu un mélanome. Un système immunitaire affaibli – par exemple en raison d’une greffe d’organe ou d’un traitement contre certains cancers – favorise aussi son développement.

La banane noircit comme l’épiderme

Il fallait y penser. La banane, quand elle mûrit, produit des taches noires qui contiennent une enzyme, la tyrosinase. Or un mélanome qui grandit exprime aussi de la tyrosinase. La chercheuse Tzu-En Lin, du laboratoire d’électrochimie physique de l’EPFL, a donc pu utiliser des bananes pour développer un dispositif de détection électrique du mélanome. Il s’agit d’une électrode souple, ressemblant à une sorte de pinceau, explique sa collègue Alexandra Bondarenko. Si l’on promène ce détecteur sur un échantillon de banane ou de peau, le courant varie selon la quantité de tyrosinase. L’équipe a testé le dispositif sur des échantillons humains provenant de neuf patients. «Actuellement, cela permet de déterminer s’il s’agit d’un mélanome de type II», le deuxième stade sur quatre de son évolution, explique la scientifique. Avec l’avantage que la couleur de la peau influence peu une telle mesure électrique contrairement à des méthodes de détection optiques. L’équipe aimerait désormais tester l’appareil en situation clinique et cherche des partenaires pour le faire.

Comment s’en prémunir?

Pour se prémunir des cancers de la peau, les messages de prévention incitent, entre autres, à utiliser de la crème solaire pour protéger sa peau. Or, pour ce qui est du mélanome –le cancer de la peau le plus tueur, rappelons-le– la science reste incertaine. «Nous manquons d’études démontrant clairement que l’utilisation de la crème solaire diminue le nombre de mélanomes», affirme le Dr Gaide. Les spécialistes ne découragent pas son utilisation pour autant. «Mais si le seul message de protection contre le mélanome que le public entend est qu’il faut mettre de la crème, il est faux», résume le médecin. Ce message est en effet réducteur.

«Notre recommandation est beaucoup plus globale, poursuit le médecin. Il s’agit de consommer le soleil avec modération et avec tous les moyens de protection disponibles.» Pour prévenir le cancer, pas question de s’enduire de crème et de lézarder des heures en plein cagnard. Il faut limiter l’exposition, éviter les heures les plus chaudes de la journée et chercher l’ombre. «Entre midi et deux, aux Caraïbes, même la crème solaire la plus forte sera insuffisante», sourit Olivier Gaide.

Deuxième ligne de défense: porter des vêtements au tissage serré qui couvrent le corps, de même qu’un chapeau à large bord qui protège le visage et la nuque du soleil. «Une étude allemande a comparé la protection fournie à des enfants par des T-shirts anti-UV et de la crème solaire, détaille le dermatologue. Les résultats étaient sans appel en faveur des vêtements.» On le comprend d’ailleurs intuitivement: après deux heures dans l’eau, un T-shirt de surf fournit toujours le même écran à votre peau. Ce n’est pas le cas de la crème solaire qu’on devrait de toute manière réappliquer toutes les deux heures et après la baignade.

Autocontrôle tous les trois mois

Bref, «la crème solaire vient en troisième position pour les médecins, après la non-exposition et la protection textile», conclut le dermatologue. Elle a sa place dans la prévention du cancer mais seulement si on l’allie aux autres mesures. Et elle ne doit surtout pas fournir un blanc-seing pour s’exposer des heures au soleil inconsidérément. Hugh Jackman rappelle à juste titre l’importance des contrôles et de l’observation attentive de sa peau. «Ce que nous recommandons au public, c’est un autocontrôle tous les trois mois», explique Olivier Gaide. Il s’agit de regarder ou de montrer sa peau, spécialement les grains de beauté s’ils grandissent vite, ou sont irréguliers, saignent ou démangent. «Si l’on voit quelque chose d’inhabituel, de "bizarre" ou qui n’était pas présent auparavant, il faut le montrer à un médecin», recommande le dermatologue. Le mélanome est d’autant mieux traité et son pronostic d’autant plus favorable qu’il est dépisté précocement.

Globules blancs, soldats contre le mélanome

Le traitement du mélanome est un domaine de recherche en pleine ébullition, explique le professeur Olivier Michielin, oncologue au CHUV. Au centre de ces recherches, l’idée de doper l’immunité du corps pour qu’il combatte plus efficacement la tumeur. Trois approches émergent.

Depuis plusieurs années, on recourt à des médicaments comme l’ipilimumab. Il s’agit d’anticorps qui «stimulent le système immunitaire et l’activent de manière directe, explique le chercheur. Pour une fraction des patients, ils ont amené d’incroyables résultats.»

Selon une approche plus expérimentale, l’équipe du professeur Michielin a développé une technique qui permet de «booster» par génie génétique les globules blancs du malade avant de les lui réinjecter. «On obtient ainsi un "superlymphocyte" qui peut bien mieux tuer les cellules tumorales, détaille-t-il. Les souris traitées survivent beaucoup plus longtemps. Nous aimerions commencer à tester ce traitement chez l’homme d’ici à deux ans.»

Enfin, des essais de thérapie cellulaire vont démarrer au CHUV dans les prochains mois, grâce à l’arrivée récente des professeurs George Coukos et Lana Kandalaft dans l’institution. En résumé, il s’agit de prélever des globules blancs d’une métastase – ils sont probablement plus efficaces que leurs homologues que l’on trouverait ailleurs dans le corps –, de les multiplier, puis de les réinjecter au patient après une chimiothérapie. Les premiers résultats obtenus aux Etats-Unis sont très prometteurs.

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