Enfants intersexués: une prise en charge qui évolue

Dernière mise à jour 12/06/19 | Article
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Chaque année, plusieurs nouveau-nés viennent au monde en présentant un développement atypique des organes génitaux.

Vers qui se tourner?

Si vous – ou l’un de vos proches – avez besoin d’obtenir des informations sur la prise en charge en Suisse des personnes intersexuées ou si vous souhaitez tout simplement bénéficier d’une écoute attentive, l’Association InterAction est à votre disposition: www.inter-action-suisse.ch

Permanences téléphoniques

​Pour les personnes concernées:

  • les dimanches de 17h à 19h au +41 79 596 30 28
  • les mardis de 18h à 20h au +41 79 596 30 27

Pour les parents et les proches:

les lundis de 14h à 18h au +41 79 265 21 64

Jusqu’à il y a peu, le protocole médical consistait à opérer dès la naissance les enfants nés avec des organes génitaux indifférenciés afin de leur attribuer d’office un sexe «civil» masculin ou féminin. Mais face aux questionnements médico-éthiques soulevés par ces interventions, les choses sont en train de changer en Suisse (lire encadré).

Dans notre société basée depuis la nuit des temps sur la binarité homme/femme, a-t-on le droit de normaliser par des traitements médicaux non-consentis, et au nom de l’intégration sociale, les enfants qui ne naissent ni fille ni garçon? Telle est la question centrale de la réflexion sur la prise en charge de l’intersexuation. Car à ce manichéisme de genre se heurte la réalité biologique: le développement du sexe d’un individu est parfois soumis à des altérations (chromosomiques, hormonales) entraînant un développement atypique du sexe chromosomique (X et/ou Y), du sexe gonadique (testicules, ovaires) ou du sexe phénotypique (organes génitaux et caractères sexuels secondaires). Le corps se dote alors de caractéristiques biologiques ne correspondant pas typiquement ou ne permettant pas l’assignation à l’un ou l’autre des deux sexes «femme» ou «homme». On parle ici d’intersexualité, d’intersexuation ou encore de variation du développement sexuel (VDS). Par exemple, «dans le cas d’une hyperplasie congénitale des surrénales (maladie génétique qui provoque un trouble endocrinien, ndlr) chez une fille, il y a une surproduction d’androgènes qui entraîne une masculinisation partielle ou complète des organes génitaux externes, explique Serge Nef, professeur à la Faculté de médecine de l’Université de Genève. Au contraire, dans le cas par exemple de résistance complète aux androgènes chez un enfant de sexe génétique masculin avec un set de chromosomes sexuels XY, les testicules se forment normalement mais l’incapacité des cellules à répondre aux androgènes induira une féminisation de l’individu.»

Une prise en charge «normalisatrice»

Pendant longtemps, la pratique médicale standard consistait à opérer les enfants le plus rapidement possible – avant 18 mois – et dans le plus grand secret. «Ce modèle de prise en charge très interventionniste reposait sur la croyance que leur développement psychosexuel "normal" ne serait assuré que si les organes génitaux étaient normalisés chirurgicalement, explique la Dre Cynthia Kraus, philosophe et enseignante chercheuse en Études genre et en Études sociales des sciences à l'Université de Lausanne. La détresse des parents a aussi servi à légitimer ces opérations, comme si dans le cas des enfants intersexués, les opérer permettait de venir en aide aux parents».

Dès leur plus jeune âge, ces enfants ont donc subi des chirurgies visant à «corriger» leurs organes génitaux pour les faire correspondre à des normes préétablies. Des interventions irréversibles et parfois très lourdes, effectuées sans leur consentement, les amenant parfois à vivre dans l’ignorance de leur intersexuation et la douleur de traitements médicaux traumatisants tant sur le plan physique que psychique.

Autre argument souvent évoqué pour justifier ces chirurgies précoces, la crainte de complications médicales liées à l’intersexuation. Un argument aujourd’hui contesté car en tant que tels, des organes génitaux atypiques ne constituent pas un danger pour la vie des enfants concernés. Pour Cynthia Kraus, les chirurgies génitales normalisatrices n’ont pas de nécessité médicale et ne peuvent donc pas être effectuées sans le consentement de la personne directement concernée. «En l’absence d’un tel consentement, ce type de chirurgie constitue tout bonnement une atteinte à l’intégrité physique».

Vers un accompagnement global et sur le long terme

Témoin du mal-être de nombreux patient×e×s devenus adultes et face aux questions éthiques soulevées sous l’impulsion des mouvements intersexes, la communauté scientifique et médicale a progressivement évolué sur la question de la prise en charge des variations du développement sexuel (VDS). Mais «les choses bougent lentement, regrette la Dre Cynthia Kraus, philosophe et enseignante chercheuse en Études genre et en Études sociales des sciences à l'Université de Lausanne. L’argument selon lequel les chirurgies génitales permettraient l’intégration des enfants intersexes reste extrêmement fort».

La Commission nationale suisse d’éthique pour une médecine humaine (CNE) a pourtant pris clairement position sur le sujet: «Les traitements de ce type (les opérations irréversibles de conformation du sexe, ndlr) entrepris uniquement dans le but d’intégrer l’enfant dans son environnement familial et social sont contraires au bien de l’enfant, sans compter qu’ils ne garantissent pas que leur but supposé – l’intégration de l’enfant – soit finalement atteint.»[1]

En ce sens, l’équipe multidisciplinaire basée à Lausanne depuis 2005 fait office de précurseur: une vingtaine de spécialistes suisses en biomédecine et en sciences humaines et sociales se sont regroupés pour proposer une prise en charge globale, non-prioritairement chirurgicale et centrée sur les droits des enfants, qui suit les recommandations de nombreuses organisations internationales et commissions d’éthique. Parmi ces principes: celui de ne plus opérer les organes génitaux des enfants sans leur consentement. Au lieu de cela, ils sont suivis sur le long terme et l’éventuelle intervention chirurgicale est différée jusqu’à ce que l’enfant soit en mesure de participer aux décisions médicales.

Se pose néanmoins toujours la question de l’assignation «administrative» du sexe à l’état civil, obligatoire en Suisse. «Lorsqu’un enfant naît avec un sexe jugé atypique et qu’il n’est pas possible de déterminer à l’œil nu si c’est un garçon ou une fille, des examens complémentaires – cliniques ou en laboratoire – sont nécessaires pour pouvoir déclarer un sexe légal, explique Cynthia Kraus. Mais contrairement à une opération chirurgicale, cette déclaration est réversible.»

________

Paru dans le Quotidien de La Côte le 22/05/2019.

[1] Commission nationale [suisse] d’éthique pour une médecine humaine (NEK/CNE), « Attitude à adopter face aux variations du développement sexuel. Questions éthiques sur l’« intersexualité », prise de position no 20/2012, Berne, 2012, p. 14-15.

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