La dengue menace l’Europe, faut-il en avoir peur?

Dernière mise à jour 09/05/12 | Article
Moustique tigre
Le virus de la dengue n'épargnera pas la Suisse. Faut-il pour autant craindre une épidémie? Explications.

De quoi on parle?

Quoi: L’alerte a été lancée en France la semaine dernière : la dengue menace le sud du pays. Non content de s’être installé dans la plupart des pays tropicaux, le moustique tigre, vecteur de la maladie, attaquerait également l’Europe. La Suisse n’est pas à l’abri.

Bilan: Si une épidémie n’est pour l’heure pas à craindre, il est néanmoins possible que la maladie se déclare sous nos latitudes.

La dengue est une infection virale, transmise à l’homme par des moustiques dits «aedes», dont le plus connu est le «moustique tigre». Apanage des climats tropicaux, et plus particulièrement de l’Asie du sud-est, la maladie s’est progressivement propagée à travers le monde. Les moustiques vecteurs du virus se sont en effet établis en Afrique, en Amérique et même en Europe. En Suisse, c’est le Tessin qu’ils ont choisi pour établir leur campement.

De grands voyageurs

Si le réchauffement climatique peut jouer un rôle (voir encadré), c’est bien le commerce international de matériaux qui a encouragé leur prolifération. «Nous avons pu observer que le transport de pneus d’un continent à l’autre est en grande partie responsable de leur migration», explique le Dr Serge de Vallière, spécialiste en médecine interne, infectiologie et médecine tropicale au CHUV. A l’intérieur de la courbure des pneus se trouvent en effet de petits réservoirs d’eau, où les moustiques peuvent tranquillement déposer leurs œufs. C’est ainsi qu’ils résistent et survivent au transport de l’Asie du sud-est jusqu’en Europe par exemple», fait remarquer le spécialiste, en ajoutant que «le phénomène est similaire lors du transport de bambous.»

La maladie peut également s’aventurer dans nos régions suite au retour d’un voyageur infecté. «Lorsque celui-ci se fait piquer par un moustique tigre installé en Suisse, l’insecte devient à son tour porteur du virus et peut le transmettre à la prochaine personne qu’il a la bonne idée de piquer», remarque encore le docteur vaudois.

La Suisse terre d’accueil?

Les moustiques prolifèrent donc désormais en Europe. Faut-il pour autant craindre une épidémie de dengue? «Cela dépend de la population de moustiques. Lorsqu’ils s’établissent en grand nombre dans une région, la probabilité que le virus soit transmis d’une personne à une autre est plus importante», explique l’expert. «En Suisse, nous savons que les moustiques sont établis au Tessin, peut-être arriveront-ils à un moment donné à traverser la barrière des Alpes… Leur présence a de plus été remarquée en Hollande et en Belgique, ils résistent donc à des températures relativement froides. On ne peut donc pas totalement exclure que la dengue arrive dans nos régions», souligne l’expert. Et de préciser qu’il faut tout de même relativiser le danger, car si le fait que la maladie touche la Suisse est une possibilité, «nous observons néanmoins que le virus n’a pas encore réussi à s’établir de manière définitive hors des pays chauds».

Une très grosse grippe

Maladie de type grippal, la dengue entraine un fort état fébrile, de violents maux de têtes et d’intenses douleurs musculaires. Elle peut également s’accompagner d’une éruption cutanée qui ressemble à un coup de soleil. La maladie dure environ quinze jours et se résout avec un abaissement de la température. «Dans la grande majorité des cas, l’évolution est spontanément favorable, précise le Dr de Vallière. En revanche, dans les pays à haute endémicité, on peut observer des cas de dengue avec des complications hémorragiques, pouvant entraîner la mort». Cette situation extrême n’a encore jamais été observée en Europe.

«Comme pour beaucoup d’autres maladies virales, nous n’avons malheureusement que très peu de médicaments à disposition, explique le Dr de Vallière. De manière générale, pour les cas de dengue que l’on observe au retour de voyages, nous proposons un traitement simple, à base de  paracétamol, et recommandons du repos». Si pour l’heure aucune solution radicale n’existe, des vaccins sont en voie de développement.

On prend ses précautions

Pour se protéger de la maladie, pas de miracle: il faut utiliser les produits anti-moustiques! Dans les pays où la maladie prolifère, il est de plus recommandé de dormir sous une moustiquaire et de privilégier les endroits avec air conditionné. A noter tout de même que le moustique tigre est un prédateur diurne… Mais la nuit, de proches cousins, vecteurs de la malaria (voir encadré), prennent le relais.

VRAI/FAUX

Le réchauffement climatique, responsable de l'arrivée de maladies tropicales en Suisse?

PROBABLEMENT VRAI, «mais le climat est loin d'être le seul coupable», explique Louis Loutan, professeur de médecine internationale et humanitaire aux HUG. On sait que la température a un impact sur les vecteurs (le moustique tigre, dans le cas de la dengue). Les insectes ont en effet une température de prédilection : plus il fait chaud, plus les moustiques se reproduisent. Les virus, les bactéries ou les parasites doivent accomplir un cycle à l'intérieur du vecteur (insecte). Cycle qui, lui aussi, profite d'une une température de plus de vingt degrés. Il serait donc logique que le réchauffement climatique favorise la diffusion des maladies tropicales. «Mais personne n'est capable de le démontrer avec des chiffres convaincants», tempère le professeur Loutan. Pour que la maladie se propage, il faut en réalité plusieurs facteurs. Un climat suffisamment chaud, certes. Mais aussi un environnement favorable, en particulier de l’eau stagnante, ce qu’offre souvent le milieu urbain. Enfin, il faut que suffisamment de moustiques trouvent des personnes malades à piquer, pour ensuite transmettre la maladie en piquant d’autres personnes, et que se crée ainsi une véritable chaîne d’infections.

La malaria en net recul dans le monde

La malaria était présente en Europe jusqu’au milieu du siècle dernier, notamment en Italie. En Suisse, elle a été éliminée grâce aux mesures – en particulier l’assèchement des marais – prises à l’époque pour diminuer la prolifération des moustiques «anophèles», vecteurs de la maladie. «Ce moustique est encore présent dans le pays, nous pouvons donc potentiellement avoir une transmission de la malaria, remarque le Pr Blaise Genton, médecin chef au service des maladies infectieuses au CHUV. Mais pour que le parasite réapparaisse, il faudrait qu’il y ait une promiscuité relativement importante entre les habitants, ce que l’on ne trouve plus dans nos sociétés passablement individualistes. «De très gros efforts ont été entrepris pour diminuer la malaria au niveau mondial, avec un certain succès», continue l’expert. «Nous avons pu obtenir une réduction de 50% de la maladie dans une quinzaine de pays d’Afrique, ainsi qu’en Asie du sud-est». Quant au développement d’un vaccin, les progrès sont également considérables. «Un vaccin, actuellement en phase finale d’évaluation, s’avère très prometteur, assure le Pr Genton.  Il pourrait entraîner une diminution de moitié des poussées de malaria. Trois autres vaccins se sont également montrés efficaces chez les enfants en Afrique et nous attendons des financements afin de pouvoir confirmer leurs résultats».

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