Des chirurgiens suisses sont parvenus à séparer deux sœurs siamoises nées prématurément

Dernière mise à jour 16/02/16 | Article
Des chirurgiens suisses sont parvenus à séparer deux sœurs siamoises nées prématurément
Réunissant des spécialistes de Berne et de Genève, une équipe multidisciplinaire a réussi cette première au terme d’une intervention de plus de cinq heures. Explications.

C’est par un communiqué de presse daté du 31 janvier que l’Inselspital de Berne et les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) ont annoncé la première: une équipe réunissant des spécialistes des deux institutions avait réussi la séparation de jumelles siamoises âgées de huit jours. Il s’agissait, qui plus est, de deux jumelles siamoises prématurées. Jamais une telle intervention n’avait été pratiquée sur des siamois1. Une prouesse médico-chirurgicale d’une durée de plus de cinq heures qui a été pratiquée le 10 décembre 2015 à la Clinique universitaire de chirurgie pédiatrique de l’Inselspital à Berne.

Les deux fillettes, nées huit semaines avant terme, étaient reliées par le foie. Chacune possédait toutefois la totalité des organes vitaux. La naissance avait eu lieu le 2 décembre 2015, à la 32e semaine de grossesse. Une césarienne avait alors été pratiquée, la mère donnant naissance, outre aux jumelles, à une troisième petite fille, en bonne santé. Mère et enfants ont alors été pris en charge par une équipe multidisciplinaire d’experts en obstétrique, en néonatologie, en soins intensifs pédiatriques, en imagerie et anesthésie pédiatriques, en soins de bloc opératoire et en chirurgie pédiatrique.

Sauver les deux nouveau-nés

Les jumelles siamoises ne pesaient alors que 2,2 kg à elles deux. La situation était redoutablement compliquée du fait de l’existence d’une importante communication sanguine existant entre elles par l’intermédiaire de leur foie commun. Un déséquilibre dans les niveaux de perfusion des deux petits organismes faisait d’autre part que l’une souffrait d’un apport sanguin excessif (cause d’une hypertension artérielle), tandis que l’autre avait une perfusion insuffisante (et donc une hypotension grave).

Avec l’accord des parents et afin de sauver les vies de ces deux nouveau-nés prématurés, l’équipe médicale a décidé de tenter l’opération de séparation à peine plus d’une semaine après la naissance. Tenue régulièrement informée de l’évolution de la situation depuis le mois d’octobre, l’équipe d’experts genevois en chirurgie hépatique pédiatrique était dirigée par la Professeure Barbara Wildhaber, médecin-cheffe du Centre universitaire romand de chirurgie pédiatrique des HUG et du CHUV. L’équipe a finalement été convoquée en urgence au vu de la dégradation de l’état de santé des deux bébés. Le chirurgien en cardiologie pédiatrique bernois Alexander Kadner a également participé à l’intervention car les jumelles étaient également reliées entre elles par leur péricarde et leur cage thoracique.

Travail multidisciplinaire

«La préparation et la prise en charge de la naissance par mes confrères d’obstétrique et de néonatologie constituaient déjà un véritable défi, explique le Pr Steffen Berger, médecin-chef de chirurgie pédiatrique de l’Inselspital, dans le communiqué de presse. La stabilisation consécutive des enfants dans la station de soins intensifs pédiatriques et la technique d’examen IRM développée spécialement par le service de radiologie pédiatrique étaient les conditions indispensables pour tenter l’intervention sur de si petits bébés. Durant l’opération, deux équipes complètes d’anesthésistes pédiatriques ont été mobilisées. Le parfait travail pluridisciplinaire des médecins et du personnel soignant a été la principale contribution à notre succès. Nous sommes ravis que parents et enfants soient désormais en bonne santé et heureux».

Ces trente dernières années, seules trois paires de jumeaux siamois ont vu le jour en Suisse. Habituellement, une intervention pour séparer des siamois n’est envisagée que trois à six mois après leur naissance. Ici, c’est la dégradation de l’état de santé des deux jumelles prématurées qui a contraint les médecins à tenter cette opération en urgence. Une intervention à haut risque aura donc permis de sauver ces deux nouveau-nés qui font encore l’objet d’une surveillance étroite et devraient quitter les soins intensifs d’ici quelques semaines.

On sait que la formation de «vrais» jumeaux (à partir d’un seul embryon) survient très tôt dans le processus du développement, quelques jours seulement après la fécondation. Si la séparation embryonnaire ne s’effectue pas à ce stade, une fusion (plus ou moins importante) des jumeaux subsiste. Dans le cas des jumeaux siamois, la séparation incomplète a généralement lieu entre les 12e et 14e jours après la fécondation

Interventions à très haut risque

L'opération chirurgicale pour séparer des siamois peut, selon le point de réunion, être très complexe et à très haut risque, voire mortelle en fonction des organes qui sont reliés. A ce titre elle n’est pas toujours tentée, même par des équipes hautement spécialisées. On estime entre une sur cinquante mille et une sur cent mille la fréquence des jumeaux siamois; il s’agit le plus souvent d’enfants de sexe féminin.

En mai 2015, le quotidien français Le Figaro avait rapporté l’intervention réalisée à Paris par une équipe de l'hôpital Necker qui était parvenue à séparer des jumeaux siamois nés en Guinée, âgés de quatre mois et liés par l’abdomen.L’intervention avait alors réuni sept chirurgiens, quatre chirurgiens pédiatriques et trois chirurgiens plasticiens. L'équipe chirurgicale dirigée par le Pr Yves Aigrain avait dû séparer le foie et trente centimètres communs.

Quelques semaines plus tôt, le Pr Yves Aigrain expliquait avoir déjà réalisé à Necker trois opérations réussies de séparation de jumeaux siamois en sept ans. «Certains de ces enfants ont des séquelles importantes qui ont ou auront des répercussions sur leur qualité de vie. Certains nécessiteront dans l'avenir d'autres gestes chirurgicaux, expliquait-il alors. Nous recommandons une intervention entre trois et six mois, ce qui ne veut pas dire que ce ne soit plus possible ultérieurement, mais les séquelles psychologiques risquent d’être plus importantes.»

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1. Le terme «siamois» a pour origine Chang et Eng Bunker, jumeaux fusionnés originaires du Siam réunis par la taille. Ils se rendirent à Paris sous le Second Empire en vue d'une intervention chirurgicale. Jugée impossible à l’époque, leur séparation ne put avoir lieu.

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