«Le choc septique est un véritable big-bang pour l’organisme»

Dernière mise à jour 31/01/18 | Questions/Réponses
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Chef du service des maladies infectieuses du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), le professeur Thierry Calandra s’est intéressé aux sepsis, ces infections fulgurantes et souvent mortelles. Ses recherches lui ont valu de recevoir, en avril dernier, l’«Award for Excellence» décerné par la Société européenne de microbiologie et de maladies infectieuses.

Bio express

1980 Diplôme de médecine de l’Université de Lausanne (UNIL).

1990 Docteur en médecine de l’UNIL et thèse de doctorat de l’Université d’Utrecht (Pays-Bas).

1991 Séjour post-doctoral à l’Université Rockfeller et à l’Institut Picower pour la recherche médicale, New York (États-Unis).

1996 Médecin-associé au service des maladies infectieuses du CHUV.

Depuis 2006 Professeur de médecine, chef du service des maladies infectieuses du CHUV.

2012-2016 Chef du département de médecine du CHUV.

Votre diplôme de médecine en poche, vous vous destiniez à la médecine interne, mais vous avez très vite attrapé le virus des maladies infectieuses. Comment?

C’est le fruit du hasard. J’étais interne dans un service de médecine générale lorsqu’un chef de clinique m’a conseillé d’assister avec lui à un colloque sur le choc septique. J’ai été fasciné par ce domaine. Puis, un soir, j’étais de garde avec le professeur Patrick Francioli qui m’a proposé de travailler dans la division des maladies infectieuses. J’y suis allé et j’ai fait un an de formation spécifique dans ce domaine. Je me suis particulièrement intéressé aux infections chez les patients ayant des défenses immunitaires altérées, notamment par une chimiothérapie anticancéreuse. Ces personnes sont à haut risque de développer un sepsis. 

Quelle est la différence entre le sepsis et une infection classique?

Une infection reste localisée, alors que le sepsis a un retentissement général sur l’organisme. Dans ce cas, les micro-organismes ou les toxines que ceux-ci libèrent circulent dans le sang et provoquent des désordres dans tout le corps. On a des frissons, de la fièvre, puis la tension artérielle chute, entraînant une altération de l’état de conscience, voire un coma. L’état le plus grave est le choc septique, un véritable big-bang pour l’organisme. 

Au cours de votre formation, vous avez travaillé aux soins intensifs. Est-ce cela qui vous a orienté vers le sepsis?

Oui, car cette complication se traite principalement aux soins intensifs. Mais on peut aussi être infecté en dehors de l’hôpital. Ce qui m’intéresse, c’est de comprendre pourquoi certaines personnes ne font que des infections relativement banales, alors que chez d’autres il se produit un cataclysme. Pourquoi certains individus en bonne santé, qui croisent un microbe contre lequel ils n’arrivent pas à se défendre, succombent en quelques heures. 

La mortalité due au sepsis est-elle importante?

Elle est de l’ordre de 10% pour le sepsis. Pour le choc septique, elle est d’environ 40%, mais elle peut aller au-delà pour les états les plus fulminants. Cela dit, elle a tendance à baisser grâce à une reconnaissance des signes précoces de la maladie et à une meilleure prise en charge des patients. 

Donne-t-on des antibiotiques aux personnes atteintes?

Les antibiotiques font partie du traitement, mais on remonte aussi leur pression artérielle avec des médicaments et en leur administrant très rapidement de grandes quantités de liquide. On épure leurs reins s’ils sont défaillants, on leur offre une assistance respiratoire si leurs poumons sont touchés, etc. 

D’une manière plus générale, en tant qu’infectiologie, pensez-vous que nous sommes menacés par l’émergence d’un nouveau virus ou d’une superbactérie?

Il y a constamment des pathogènes qui changent d’espèce, notamment au contact d’animaux qui les transmettent ensuite à l’être humain. Nos réponses immunitaires ne sont pas équipées pour les reconnaître. L’humanité a toujours connu de grands fléaux infectieux périodiques : la peste et de multiples autres dans le passé et, récemment, le VIH, Ebola et le SRAS. Il est toujours possible d’assister à l’émergence de pathogènes à potentiel épidémique. 

La Suisse est-elle prête à y faire face?

Oui et non. On a démontré que l’on n’arrive pas à prédire quand ni où ces épidémies vont survenir. Nous avons besoin de réseaux sentinelles très efficaces pour détecter l’émergence des infections. En outre, on a vu récemment que nous n’étions pas très bons au plan international pour répondre rapidement à ce genre de défi, sinon les épidémies n’auraient pas conduit à des pandémies. 

Par ailleurs, êtes-vous inquiet face à la résistance toujours plus grande des bactéries aux antibiotiques?

C’est un problème majeur, en particulier pour une classe de pathogènes, les bacilles (comme Escherichia coli,Pseudomonas ou Acinetobacter). L’exposition à de multiples antibiotiques a pour effet de sélectionner des souches bactériennes résistantes. Pour certains types d’infections, on dispose d’un nombre extrêmement faible d’antibiotiques et on doit maintenant avoir recours à des anciens qu’on n’utilisait plus, car le rapport entre leur efficacité et leur toxicité était défavorable. Notre capacité à développer de nouveaux antibiotiques avec de larges spectres d’action est limitée. Il y a quand même eu des progrès majeurs dans le domaine des médicaments antiviraux –ceux contre le VIH et l’hépatite C en sont de magnifiques exemples–, antifongiques et antiparasitaires. Mais il reste des cas plus difficiles, comme les mycobactéries résistantes et la malaria notamment. 

Quelle est la découverte que vous aimeriez voir avant la fin de votre carrière?

L’un de mes vœux serait que l’on puisse identifier des molécules qui jouent un rôle fondamental dans le sepsis. En les ciblant, on pourrait améliorer le pronostic vital des personnes touchées. Ce serait un progrès magnifique.

Recherche

Dans ses recherches, Thierry Calandra s’est efforcé de «comprendre les mécanismes qui aboutissent à ce désordre global qu’est le sepsis». Il s’est concentré sur le rôle joué par l’immunité innée. «C’est notre première ligne de défense contre les infections, explique-t-il. Son but est de détecter précocement les agents pathogènes (virus, bactéries, etc.), puis de déclencher des signaux d’alarme afin de recruter, sur le site de l’infection, des cellules de la moelle ou du sang qui pourront les éliminer très vite».

L’infectiologue et son équipe se sont notamment penchés sur des bactéries dites bacilles Gram-négatif. Ils ont étudié différentes molécules microbiennes reconnues par le système immunitaire inné, ainsi que les signaux de danger émis par celui-ci.

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Paru dans Planète Santé magazine N° 28 - Décembre 2017